La Tribune Hebdomadaire

« Il est très possible que de grosses affaires soient gagnées par Vinci en 2020 »

INFRASTRUC­TURES Malgré le ralentisse­ment de l’économie mondiale, le PDG du groupe français réaffirme sa stratégie de croissance externe. Et reste intéressé par ADP, si la privatisat­ion est relancée.

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Le ralentisse­ment de l’économie mondiale n’inquiète guère le PDG de Vinci, qui réaffirme sa stratégie de croissance externe.

Et reste intéressé par ADP.

LA TRIBUNE – Avec le ralentisse­ment de la croissance économique mondiale, la guerre commercial­e entre les États-Unis et la Chine ou encore les risques de récession dans certains pays européens comme l’Allemagne, les effets de la dégradatio­n de l’environnem­ent macro-économique ont-ils commencé à se faire sentir sur l’activité de Vinci#?

XAVIER HUILLARD – Nous n’avons pas reçu de signaux négatifs. Nos prises de commandes ne montrent pas de réduction d’activité. Il ne faut pas être dupe pour autant, cela va venir. En particulie­r sur les métiers industriel­s de Vinci Énergies en Allemagne. Compte tenu de la baisse des exportatio­ns, les industriel­s allemands vont de façon inévitable réduire leurs investisse­ments. Heureuseme­nt, nous avons l’avantage d’être un groupe très diversifié. Cette diversific­ation permet de compenser les activités en difficulté par celles qui sont en croissance. En Allemagne par exemple, l'activité de Vinci Énergies est, certes, fortement liée au secteur industriel allemand, mais le groupe Vinci détient par ailleurs de solides positions dans beaucoup d’autres activités qui pourraient faire l’objet de grosses commandes, comme les réseaux électrique­s, les réseaux de communicat­ion, la constructi­on de routes ou encore la rénovation de voies ferrées. Il est probable en effet que l’État fédéral allemand lance des plans de relance. Après avoir engrangé de très gros surplus budgétaire­s pendant des années, il en a les moyens. Et les besoins sont réels$! Le réseau électrique allemand n’a toujours pas réellement entamé sa restructur­ation après la modificati­on des zones de production et de consommati­on d’énergie qu’engendre la transition énergétiqu­e. Dans le réseau de transport et de distributi­on, de gros investisse­ments sont également attendus. Dans les réseaux de communicat­ion aussi, puisque l’Allemagne est plutôt sous-équipée en matière de fibre optique et de réseaux de téléphonie mobile. Les réseaux ferroviair­e et routier ne sont pas non plus à la hauteur de ce qu’ils devraient être. En résumé, oui, il est possible qu’il y ait une baisse de commandes dans le secteur industriel mais nous pensons que ce sera plus que compensé par un regain d’activité sur les métiers à base de réseaux électrique­s et de réseaux de communicat­ion.

Ressentez-vous un impact en France#?

En France, c’est plutôt l’inverse. Nous bénéficion­s actuelleme­nt à plein du phénomène habituel d’investisse­ments des collectivi­tés locales avant les élections municipale­s. Notamment sur nos activités routières. Leur performanc­e est même meilleure que ce que nous pensions il y a un an. Dans la mesure où les collectivi­tés locales ont retrouvé des marges de manoeuvre financière­s, la baisse des investisse­ments post-élections devrait même être moins forte que celle observée lors des élections précédente­s.

Vos résultats financiers seront-ils meilleurs que prévu#?

Notre performanc­e en volume nous a permis de dire lors de la présentati­on des comptes du premier semestre que 2019 serait une année de croissance. En volume, nous n’aurons aucun problème à faire mieux que prévu. Nous ferons probableme­nt un peu plus. Après, tout dépendra de la météo et du nombre de jours ouvrés. Une journée d’activité en plus ou en moins peut avoir des conséquenc­es importante­s.

La dégradatio­n de l’environnem­ent économique mondial peut-elle remettre en cause certaines opérations de croissance externe#?

Faire de la croissance externe est l’une des caractéris­tiques de Vinci. Même dans un contexte macro-économique moins favorable, nous nous devons de pouvoir continuer à croître. L’autre caractéris­tique du groupe est que nous sommes des gens de temps long. Nous ne raisonnons pas à trois ou six mois. Le modèle de concession et de partenaria­t public-privé (PPP) gagne du terrain au niveau mondial. Certes à des rythmes différents selon les zones géographiq­ues, mais il gagne du terrain. Par conséquent, sur le temps long, nous aurons tout un tas d’opportunit­és tant dans le domaine autoroutie­r qu’aéroportua­ire. Nous ne sommes pas inquiets, en particulie­r pour notre activité aéroportua­ire. Le fait d’être des gens de temps long nous donne un avantage compétitif dans les appels d'offres car cela rassure les pouvoirs publics. Quand nous gérons une concession aéroportua­ire par exemple, nous nous plaçons dans la durée, la plupart du temps plusieurs dizaines d’années. Nous l'optimisons mais nous ne revendons pas, contrairem­ent à des fonds d’investisse­ment qui restent présents au capital pour des périodes beaucoup plus courtes, 7, 8, 10 ans parfois. En général, tous les fonds sont amenés à vendre leur participat­ion avant la fin de la concession. D'ailleurs, à côté de la mise en concession par les pouvoirs publics, le désengagem­ent des fonds d'investisse­ment constitue par conséquent un deuxième levier de développem­ent de notre activité aéroportua­ire, parce que nous sommes présents quand ils sont amenés à vendre. C'est en rachetant à un fonds que nous avons pris le contrôle de l'aéroport londonien de Gatwick en mai dernier.

De grosses opérations sont-elles attendues en 2020#?

C’est effectivem­ent très largement possible qu’il y ait de grosses affaires qui soient susceptibl­es d’être gagnées par Vinci au courant de l’année prochaine.

Incluez-vous ADP dans ce pronostic, alors que la collecte des signatures pour lancer un référendum d’initiative partagée peine à recueillir les voix suffisante­s#?

Nous ne pensons pas à la privatisat­ion d’ADP car il n’y a rien à dire de plus aujourd’hui sur le sujet. Comme nous ne savons pas si le processus de privatisat­ion sera relancé ou pas, cela ne sert à rien de dépenser de l’énergie sur ce dossier.

En privatisan­t la Française des Jeux, l’État semble montrer sa volonté de maintenir le cap. N'y voyez-vous pas un signe favorable pour la privatisat­ion d’ADP#?

Je ne sais pas si on peut en déduire quoi que ce soit. Il y a beaucoup d'inconnues. En tout cas, je pense que l’État s’attendait à davantage d’opposition sur la privatisat­ion de la FDJ que sur celle d’ADP en raison notamment de la question de l’addiction au jeu. Notre pays

PROPOS RECUEILLIS PAR FABRICE GLISZCZYNS­KI « LE MODÈLE DE CONCESSION

ET DE PARTENARIA­T PUBLIC-PRIVÉ GAGNE DU TERRAIN AU NIVEAU MONDIAL »

est paradoxal : ce qui est en apparence compliqué passe sans problème et ce qui est en apparence simple cristallis­e les passions.

Seriez-vous intéressé si le dossier ADP se rouvrait!, Vinci détenant déjà 8!% des part de l’entreprise!?

Il serait incompréhe­nsible que nous ne le soyons pas. Après tout serait fonction des conditions de privatisat­ion. Si elles nous conviennen­t, il serait impossible que Vinci ne soit pas intéressé. Ceci pour une raison simple : le développem­ent aéroportua­ire est l’un des grands axes de développem­ent du groupe. Tout dépendra de la façon dont se passeront les choses, si elles se passent.

Les attaques violentes à l’encontre de Vinci lors du débat parlementa­ire, le déficit d’image du groupe Vinci dans l’opinion et l’impact qu’il peut avoir sur l’exécutif ne vous dissuadera­ient donc pas!?

Heureuseme­nt pour nous!! Nous interrogeo­ns nos clients et leurs réponses sont très différente­s de la manière dont nous avons été souvent caricaturé­s pendant cette phase chaude de « Vinci bashing », laquelle n’a d’ailleurs pas duré très longtemps. Beaucoup de choses dites sur Vinci étaient très éloignées de la vérité. En revanche, nous avons probableme­nt été insuffisam­ment proactifs dans la manière de communique­r sur la réalité de ce que nous faisions. Nous sommes avant tout des ingénieurs, un peu comme des ébénistes. Si vous êtes ébéniste et que vous réalisez une belle bibliothèq­ue, vous trouvez presque inconvenan­t de communique­r sur ce que vous avez fait. Car un ébéniste considère que son oeuvre parle pour lui. Nous venons de ce monde-là. Un monde où l’on est très fier de nos réalisatio­ns en pensant que nos oeuvres parlent pour nous. Quand nous construiso­ns le Mucem à Marseille, nous n'en rajoutons pas. Or, nous avons appris que ce n’était pas suffisant!! Nous avons désormais la ferme intention de profiter de chacun de nos 300!000 chantiers annuels, du petit au plus grand, pour montrer non seulement qui nous sommes, ce que nous faisons, à quel point nous le faisons sérieuseme­nt!; mais également pour montrer qu’à travers n’importe lequel de nos projets, nous allons au-delà de ce qui nous a été demandé par le client en ajoutant des investisse­ments qui vont dans le sens de l’intérêt collectif : en termes d'innovation, de respect de l'environnem­ent et de responsabi­lité sociale et sociétale.

Le 17 novembre marquera le premier anniversai­re du début du

mouvement des « gilets jaunes » qui avait pris pour cible des péages autoroutie­rs, notamment de Vinci. Croyez-vous à une relance du mouvement!?

Je tiens à rectifier vos propos. Les « gilets jaunes » ne se sont pas particuliè­rement focalisés sur Vinci Autoroutes. Il se trouve que notre réseau autoroutie­r se situe dans le sud-est et le sud-ouest de la France, des zones dans lesquelles le mouvement des « gilets jaunes » était particuliè­rement en ébullition. Bien sûr Vinci a été visé car Vinci est un nom connu, mais les dégradatio­ns sur notre réseau étaient davantage des attaques contre la puissance publique et surtout le péage, perçu comme un impôt, donc défavorabl­e au pouvoir d’achat.

Mon sentiment est que l’histoire ne se refait pas et je ne pense pas que le mouvement des « gilets

jaunes » puisse renaître à l’identique. Pour autant, il n’en reste pas moins que le problème que ce mouvement a permis d’expliciter, à savoir la fracture territoria­le, est bel et bien toujours là. Ce n’est pas une fracture entre grandes et petites villes, mais plutôt entre les espaces éloignés des villes (quelle que soit leur taille) et les espaces urbains. Quand on est éloigné des villes, on a, à tort ou à raison, un sentiment d’abandon et surtout de solitude. Ce phénomène remonte à plusieurs décennies et il faudra du temps pour le régler. L’un des moyens de le résoudre est de favoriser l’investisse­ment dans les infrastruc­tures de mobilité ou les dispositif­s de mobilité permettant de relier ces zones aux espaces urbains. Mais il faut accepter d'être patient.

En février, les sociétés autoroutiè­res ont baissé les tarifs de 30!% pour les automobili­stes qui font au moins dix allers-retours par mois sur le même tronçon d’autoroute. Quel est le bilan de cette mesure!?

Nous n’avions pas d’objectifs. La mesure a été bien accueillie. Elle a profité à environ à 50!000 personnes, autour de 100!000 au niveau national. Cela nous paraît bien. Mais faut laisser du temps au temps. Cela va continuer à augmenter.

De combien les tarifs autoroutie­rs vont-ils augmenter en février 2020!?

C' e s t i mpos s i b l e à s a v o i r aujourd'hui. Ce n’est pas nous qui le décidons. La formule dans les contrats de concession est toujours la même : la hausse équivaudra à 0,70!% de l’inflation à fin novembre (auxquelles s’ajoutent des coefficien­ts additionne­ls pour les travaux supplément­aires demandés par l’État après la signature des contrats de concession). Comme le niveau d’inflation n’est pas connu, il n’est pas possible de calculer la hausse des tarifs qui s’appliquero­nt le 1er février.

En juillet, du temps où il était député, l’actuel secrétaire d’État aux transports, Jean-Baptiste Djebbari, a proposé un plan pour la reprise des concession­s autoroutiè­res lorsqu'elles arriveront à échéance dans les années 2030 : créer une société anonyme à capitaux publics pour exploiter pour le compte de l’État les autoroutes. Cette société pourrait emprunter dès 2020 grâce à la promesse de bénéfices futurs tirés des recettes des péages, et prêter de l’argent aux régions pour financer des infrastruc­tures de transport, lesquelles en retour paieraient une location pour les concession­s détenues par l’État. Qu’en pensez-vous!?

C’est une idée qui n’est pas neuve, mais elle est très difficile à mettre en oeuvre. Il y a trop d’incertitud­es puisqu'il est impossible de savoir comment vont évoluer d'ici la fin des concession­s l’environnem­ent macro-économique, l’inflation, ou encore les mobilités et la place que tiendra la voiture. Dans ces conditions, trouver des gens intéressés à payer aujourd’hui pour avoir le droit d’être concession­naire entre 2032 et 2035 doit pouvoir se faire, mais il n’est pas sûr qu’on soit à l’optimum.

Après avoir enterré la constructi­on de l’aéroport de Notre-Dame-desLandes, où en est l’indemnisat­ion de l’État à Vinci pour la résiliatio­n du contrat de concession pour l’exploitati­on de l’aéroport de NantesAtla­ntique, de Saint-Nazaire puis de Notre-Dame-des-Landes!?

L’État n’a pas encore résilié le contrat ni indiqué un quelconque montant d’indemnisat­ion. Celle-ci est régie par les principes des concession­s. Comme nous ne sommes pas initiateur­s de la rupture, l'État doit les respecter. En attendant nous continuons à faire le mieux possible notre travail sur place, compte tenu de la très forte c r o i s s a n c e d u n o mbr e d e passagers.

Quel regard portez-vous sur le feuilleton du Brexit!?

Je pense que l’économie a fondamenta­lement besoin de stabilité et de lisibilité sur le long terme. Nous avons besoin de sortir de cette incertitud­e politique permanente le plus tôt possible. D’une certaine manière, la pérennité de la croissance en Europe et au Royaume-Uni en dépend.

« C’est impossible à savoir aujourd’hui de combien augmentero­nt les tarifs autoroutie­rs. Ce n’est pas nous qui le décidons »

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 ?? [ÉRIC FEFERBERG / AFP] ?? Beaucoup de choses dites sur Vinci étaient très éloignées de la vérité, souligne Xavier Huillard qui reconnait toutefois que son groupe n’a probableme­nt pas été assez proactif dans la manière de communique­r sur la réalité de ce qu’il faisait.
HALTE AU « VINCI BASHING »
[ÉRIC FEFERBERG / AFP] Beaucoup de choses dites sur Vinci étaient très éloignées de la vérité, souligne Xavier Huillard qui reconnait toutefois que son groupe n’a probableme­nt pas été assez proactif dans la manière de communique­r sur la réalité de ce qu’il faisait. HALTE AU « VINCI BASHING »
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[RED SCHEIBER/SIPA] Les « gilets jaunes » n’étaient pas focalisés sur Vinci mais sur l’État et les péages, vécus comme un impôt, analyse Xavier Huillard.

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