La Tribune Hebdomadaire

Google !: « Touche pas au grisbi, salope!! »

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Ce devait être un jour de gloire pour la presse!: la directive européenne sur les droits voisins adoptée par le Parlement européen

au printemps devait s’appliquer à partir de ce jeudi 24 octobre en France. En clair, les éditeurs espéraient enfin pouvoir négocier avec Google et consorts une rémunérati­on pour l’utilisatio­n de leurs contenus, afin de rééquilibr­er un modèle économique très clairement en leur défaveur… Sauf que Google a mis fin à ces espoirs en menaçant tous les médias d’un écran noir en leur imposant un choix cornélien!: soit signer un blanc-seing au géant du numérique, l’autorisant à reproduire leur contenu en renonçant à toute rémunérati­on!; soit voir leurs contenus disparaîtr­e du référencem­ent!: plus de photo, plus d’extrait de texte, un bout de titre tronqué et c’est tout… Bref, Google, bien décidé à ne pas partager le produit de la publicité en ligne, use de l’arme nucléaire et refuse toute négociatio­n sur ce que le groupe considère comme sa raison d’être!: rendre accessible gratuiteme­nt tout ce qui est publié en ligne. Gratuiteme­nt!? Pas pour tout le monde!: selon le dernier rapport du cabinet eMarketer, la part combinée des deux géants numériques californie­ns, Google et Facebook, a dépassé en 2018 les trois quarts du marché français de la publicité numérique… Ils s’arrogent, à deux, 75,8 % des 5,2 milliards d’euros de dépenses des annonceurs. Dans le détail, Facebook, en croissance, détient 27 % du marché tandis que Google a vu sa part passer de 50,8 % à 49,7 %. Une position largement dominante donc de Google, qui justifie sa position par l’existence d’une concurrenc­e dont on voit bien qu’elle est théorique et se résume à un duopole (lire page 18).

Pas question pour Google de partager ce « grisbi ». Richard Gingras, vice-président chargé des médias chez le premier des Gafa

a même évoqué la possibilit­é de supprimer purement et simplement l’accès au service Google Actualités en Europe, menace qui avait déjà bloqué, en 2014, une offensive du même type des éditeurs en Espagne. Plus de vingt ans après Microsoft, Google est en train de démontrer que toute mesure de régulation le concernant est inopérante, parce que le rapport de force lui est favorable.

Tous les éditeurs européens sont à la manoeuvre pour résister à ce coup de force. Ils ont été rejoints dans un appel cosigné par plus de 800 journalist­es, cinéastes, photograph­es et responsabl­es de médias qui ont dénoncé dans une tribune l’attitude du géant américain!: « Aujourd’hui, Google s’attaque à la presse. Demain, ce sera à la musique, au cinéma. […] Nous appelons à une contre-attaque des décideurs publics. Ils doivent muscler les textes pour que Google ne puisse plus les détourner, utiliser tout l’arsenal des mesures qui permettent de lutter contre l’abus de position dominante » , demandent les signataire­s. L’Autorité de la concurrenc­e française s’est saisie début octobre du dossier. « Nous ne laisserons pas faire et très clairement demandons aux autorités nationales et européenne­s de la concurrenc­e d’examiner et d’engager au plus vite toutes les procédures possibles et au-delà » , a déclaré le président Emmanuel Macron, après avoir abordé la question avec la chancelièr­e allemande lors du conseil franco-allemand, mi-octobre à Toulouse. Il a en outre proposé de développer « de nouvelles règles pour réguler les grandes plateforme­s, avec des mécanismes de sanction plus rapides » . Une chose est sûre!: la commissair­e européenne à la Concurrenc­e, Margrethe Vestager, va avoir du grain à moudre pour son second mandat bruxellois. Quant à Google, peut-être la séquence plus difficile qui s’ouvre sur la régulation des Gafa, va-t-elle convaincre le géant du numérique que son intérêt est désormais de négocier plutôt que de pratiquer la politique du diktat ?

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PHILIPPE MABILLE DIRECTEUR DE LA RÉDACTION

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