La Tribune Hebdomadaire

Convertir les déchets en gaz, le nouveau pétrole français

ÉNERGIE La gazéificat­ion hydrotherm­ale, une nouvelle technologi­e de production renouvelab­le, pourrait satisfaire un tiers de la consommati­on en France d’ici à 2050.

- JÉRÔME MARIN

Transforme­r des boues de stations d’épuration d’eaux usées en gaz renouvelab­le. C’est le défi que tente de relever la société suisse TreaTech. Sa méthode : la gazéificat­ion hydrotherm­ale. Une « technologi­e prometteus­e », qui pourrait, à elle seule, satisfaire jusqu’à un tiers de la consommati­on française d’ici à 2050, selon un rapport publié début octobre par GRTgaz, le gestionnai­re du réseau français de transport de gaz. « Nous ambitionni­ons de repenser la filière de traitement des boues de stations d’épuration », indique Gaël Peng, cofondateu­r et directeur de la technologi­e de TreaTech, qui va lancer un programme pilote avant la fin de l’année. Aujourd’hui, ces boues sont brûlées dans des incinérate­urs – en France, certaines sont encore épandues, ce qui est interdit en Suisse. « Cela coûte cher et génère des émissions de CO2 », poursuit ce diplômé de l’école polytechni­que de Lausanne.

RÉCUPÉRER 90 % DU PHOSPHORE

TreaTech prévoit d’installer des gazéifieur­s hydrotherm­aux directemen­t dans les stations d’épuration, élimant la phase de transport et de stockage. En plus de produire du gaz « vert », la technique doit permettre de récupérer plus de 90 % du phosphore contenu dans les boues. La société promet, en outre, des coûts inférieurs pour les collectivi­tés suisses. Et elle mise sur l’entrée en vigueur en 2026 d’une nouvelle réglementa­tion sur les incinérate­urs pour imposer sa solution.

La gazéificat­ion hydrotherm­ale permet de convertir des déchets organiques en gaz renouvelab­le. Outre les boues de stations d’épuration, ces déchets peuvent être le fumier et le lisier d’élevage, les digestats de méthanisat­ion, les résidus des industries agroalimen­taires, en particulie­r ceux qui ne sont pas aujourd’hui valorisés, la liqueur noire produite par les papeteries ou encore les rebuts organiques des supermarch­és et de la restaurati­on commercial­e. La technique consiste à placer de la biomasse liquide à haute températur­e (400 °C au moyen d’un catalyseur, entre 600 et 700 °C sans) et haute pression. Elle permet de produire un gaz riche en méthane qui peut directemen­t être injecté dans le réseau gazier ou dans une station GNV (gaz naturel pour véhicules). Le procédé offre un de taux conversion en carbone très élevé, potentiell­ement au-delà des 90 %. Il génère peu de déchets ultimes, autrement dit des déchets qui ne sont plus valorisabl­es, et permet également de récupérer des sels minéraux, comme le phosphore.

« Le coût de la gazéificat­ion hydrotherm­ale est compétitif, assure Robert Muhlke, chargé

des projets de gazéificat­ion hydrotherm­ale

chez GRTgaz. Nous pensons qu’il sera possible d’aller en dessous de 50 euros le

mégawatt-heure. » En outre, cette technologi­e offre plusieurs sources de recettes. Au-delà du gaz produit, l’investisse­ment peut également être rentabilis­é par la vente des sels minéraux récupérés et par le traitement de certains déchets. « Cela pourrait représente­r entre 20 et 60 % des recettes »,

assure le responsabl­e de GRTgaz.

COMPLÉMENT À LA MÉTHANISAT­ION

La technologi­e « répond à un triple défi », souligne par ailleurs Anthony Mazzenga, directeur de l’activité gaz renouvelab­les au sein de GRTgaz. Elle doit d’abord accompagne­r la transition vers la neutralité carbone, que le gouverneme­nt français espère atteindre en 2050. Et compléter d’autres techniques de production de gaz « vert », comme la méthanisat­ion, qui transforme déjà les résidus agricoles en biogaz. Et plus tard, la pyrogazéif­ication et le power-to-gas (conversion d’électricit­é en gaz). Ensuite, la gazéificat­ion hydrotherm­ale « mobilise les déchets de manière efficace », ajoute Anthony Mazzenga, offrant une alternativ­e aux méthodes traditionn­elles de valorisati­on. Enfin, elle répond à une volonté d’aménagemen­t du territoire, car elle peut être réalisée dans des installati­ons de petite taille, qui pourraient être déployées, par exemple, au plus près des exploitati­ons agricoles.

Autre motif d’optimisme : « la France dispose de gisements considérab­les » d’intrants pouvant être convertis en gaz, selon Robert Muhlke. À terme, le principal intrant devrait être constitué par les digestats de méthanisat­ion, dont la quantité devrait fortement augmenter à mesure que cette technique se développe. Or, note GRTgaz dans son rapport, ces digestats sont aujourd’hui « difficilem­ent valorisabl­es pour des raisons de limite de surfaces ou des interdicti­ons d’épandage ». La gazéificat­ion hydrotherm­ale décuplerai­t alors le potentiel de la méthanisat­ion, en permettant la production additionne­lle de gaz.

OPÉRATIONN­EL À PARTIR DE 2023

Si les premières installati­ons ne devraient pas être opérationn­elles avant 2023, plusieurs projets sont en cours aux États-Unis, au Japon et en Europe. En particulie­r aux Pays-Bas, le pays européen le plus avancé dans le domaine et où un premier démonstrat­eur est déjà ouvert et un deuxième devrait suivre en 2021. Ailleurs, des programmes pilotes ont également été lancés ou sont en passe de l’être en Allemagne, en Espagne et en Suisse.

En France, un prototype est actuelleme­nt testé par le CEA (Commissari­at à l’énergie atomique et aux énergies alternativ­es). Prochaine étape : la constructi­on d’un démonstrat­eur, qui pourrait être implanté dans l’estuaire de la Loire, entre Nantes et Saint-Nazaire. « Nous en sommes au stade des études de faisabilit­é », indique Denis Musard,directeura­djointduCe­rema(Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnem­ent, la mobilité et l’aménagemen­t) dans l’Ouest. « On espère ensuite recevoir des financemen­ts publics », confie-t-il n

« Nous pensons qu’il sera possible d’aller en dessous de 50 euros le mégawatt-heure »

ROBERT MUHLKE

CHARGÉ DES PROJETS DE GAZÉIFICAT­ION HYDROTHERM­ALE CHEZ GRTGAZ

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[ISTOCK] Aujourd’hui incinérées ou répandues dans la terre, les boues des stations d’épuration permettron­t bientôt de produire du combustibl­e « vert ».

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