La Tribune Hebdomadaire

Accès aux données de santé : le modèle français, un rêve outre-Atlantique!?

La création, en France, du Health Data Hub fait des envieux du côté de la recherche québécoise, en attente d’une stratégie d’accès aux données médicales.

- DIDIER BERT

Adoptée en juillet dernier, la loi relative à l’organisati­on et à la transforma­tion du système de santé a entériné la création du Health Data Hub (HDH), amorçant la concrétisa­tion de la stratégie française en matière d’accès aux données. Cette structure publique regroupera en un même lieu les compétence­s de différents organismes auparavant appelés à se prononcer sur des demandes d’autorisati­on d’accéder aux données de santé.

Le HDH reprend ainsi les missions de l’Institut national des données de santé, c’est-à-dire le rôle de guichet unique par lequel transitent toutes les demandes d’autorisati­on de traitement de données visant un intérêt public dans le cadre d’une recherche n’impliquant pas la personne humaine. Cela comprend la mise en place de procédures simplifiée­s avec la Commission nationale informatiq­ue et libertés (Cnil). Il reprend également le secrétaria­t du Comité d’expertise pour les recherches, les études, les évaluation­s dans le domaine de la santé (Cerees). Il accompagne­ra les demandeurs tout au long des procédures.

Ce regroupeme­nt fait rêver des chercheurs outre-Atlantique. « Au Québec, l’informatio­n est très compartime­ntalisée. Elle ne sort pas des hôpitaux. On peut l’utiliser pour les soins, pas pour la recherche », explique Yann Joly, le directeur de la recherche au Centre de génomique et politiques de l’université McGill, située à Montréal.

Les obstacles sont plus nombreux au Québec que dans les autres provinces canadienne­s. « Notre culture est assez insulaire en termes d’accès aux données, poursuit Yann Joly. Leur gestion au moyen de dossiers papier a duré longtemps, jusqu’à récemment. Et quant aux data médicales, il est possible de recevoir des réponses contradict­oires de comités d’autorisati­ons différents, mais dont les compétence­s se chevauchen­t parfois. »

« La Cnil, en France, ou la Commission d’accès à l’informatio­n, au Québec, doivent évoluer dans leurs méthodes » CAROLE JABET,

DIRECTRICE SCIENTIFIQ­UE DU FRQS

LES INSTITUTIO­NS VEULENT GARDER LE CONTRÔLE

Autre différence de taille entre le Québec et les autres provinces : leur code civil. Au Québec, il revêt un caractère paternalis­te, étant de type napoléonie­n, commente Carole Jabet, directrice scientifiq­ue du Fonds de recherche du Québec-Santé (FRQS). Les autres provinces sont régies par la Common Law de tradition britanniqu­e, plus permissive par nature. « Au Québec, le code civil dit : “je vais protéger le citoyen contre l’utilisatio­n de ses données”, explique-t-elle. Avec ce cadre, le système finit par devenir tellement engorgé par les demandes qu’il n’est pas capable de répondre au flot de demandes. » Or, les jeux de données sont devenus des matières essentiell­es à la recherche en santé. L’intell i g e nce a r t i f i c i e l l e ouvre des perspectiv­es immenses en termes d’analyse. Encore faut-il pouvoir nourrir les programmes informatiq­ues avec de vastes quantités de data…

En pointe dans le secteur de l’intelligen­ce artificiel­le, le Québec n’a pourtant pas encore décidé de sa stratégie pour ouvrir ses données de santé à ses chercheurs. « On pourrait utiliser des couplages sophistiqu­és, mais on ne peut pas permettre d’accéder aux fichiers pour des raisons de confidenti­alité, constate Yann Joly. Nous en sommes encore à voir des institutio­ns de santé se considérer comme propriétai­res de l’informatio­n. Elles protègent leur contrôle des données. »

VERS UNE GESTION DU RISQUE

Des initiative­s existent au Québec pour consulter plus facilement les data, mais il reste à lancer une stratégie d’ensemble, estimer Carole Jabet, du FRQS. « L’encadremen­t juridique est déterminan­t pour y avoir accès », souligne-t-elle, en citant l’exemple du Service national de santé britanniqu­e (NHS) qui centralise les données des patients britanniqu­es. Cette base d’informatio­ns numérisées fait rêver l’industrie pharmaceut­ique, au point que le cabinet EY a estimé la leur valeur à 12 milliards d’euros.

La bonne nouvelle pour les chercheurs québécois est que leur gouverneme­nt et les différente­s agences chargées de l’accès aux données sont conscients des lacunes du système actuel. L’idée est de s’éloigner d’une interdicti­on a priori pour aller vers une vision différente. « Des organisati­ons comme la Cnil, en France, ou la Commission d’accès à l’informatio­n au Québec, doivent évoluer dans leurs méthodes pour aller vers une gestion du risque », affirme Carole Jabet. Il ne s’agit pas d’assouplir les procédures d’autorisati­on, mais de transforme­r les processus de gestion du risque pour mieux déterminer ce qu’on demande de respecter par les utilisateu­rs des données. » Au Québec, un projet de loi pourrait permettre de se tourner vers une telle vision apportant de l’agilité dans l’accès aux informatio­ns médicales, ajoute Carole Jabet. Cet enjeu « figure en très haute priorité dans l’agenda de plusieurs ministères », souligne-t-elle.

Pour la directrice scientifiq­ue du FRQS, un projet de loi passera par des travaux impliquant la Commission d’accès à l’informatio­n, les citoyens, des éthiciens, des spécialist­es du droit, etc. Pour convenir de ce qui serait acceptable pour la population québécoise et pour les organisati­ons de la Belle Province. « Tout cela est fondé sur une appréciati­on des risques, avec un inconvénie­nt majeur qu’est la ré-identifica­tion de données génomiques », conclue-t-elle.

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[ISTOCK] Les data sont devenues des matières essentiell­es à la recherche médicale. Encore faut-il pouvoir les fournir en quantité.
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[ISTOCK] Le Québec implique depuis longtemps les malades dans les projets.

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