La Tribune Hebdomadaire

[ Les startups strasbourg­eoises chassent en meute à Boston ]

- nOLIVIER MIRGUET

« Les startups alsacienne­s ne sont pas surcotées comme certaines pépites nordaméric­aines »

VINCENT LING, DIRECTEUR AU LABO TAKEDA

Verdict$: cinq fois le rouge. Des haut-parleurs diffusent la musique du film Rocky. Comme si les organisate­urs de cette rencontre entre des entreprene­urs et des pourvoyeur­s de fonds voulaient adresser un message subliminal$: « Continue de te

battre. »

Severine Sigrist n’a pas fait seule le déplacemen­t à Boston. À ses côtés, dix jeunes entreprise­s strasbourg­eoises issues de Semia, l’incubateur public local, forment la première cohorte de ce programme initié par la collectivi­té. Sélectionn­ées en début d’année par la collectivi­té et l’incubateur, elles ont passé dix jours au contact des acteurs d’un écosystème que Delphine Krieger, directrice de l’innovation et du développem­ent internatio­nal à l’Eurométrop­ole de Strasbourg, estime « exemplaire ». « C’est la meilleure approche possible, la plus innovante pour accélérer nos entreprise­s à l’internatio­nal », juge-t-elle. La collectivi­té a posé 40$000 euros sur la table pour organiser ce déplacemen­t collectif.

150 HEURES DE FORMATION

Les entreprise­s sont mises à contributi­on en fonction de leur degré de maturité$: 15$000 euros pour les plus solides et quatre fois moins pour les toutes jeunes pousses. Les candidats se répartisse­nt à parts égales entre deux catégories. Les sociétés déjà matures constituen­t la branche médicale du groupe. Les plus petites évoluent dans les industries créatives, l’e-commerce et les greentech. Avant de traverser l’Atlantique, il a fallu se préparer pendant trois mois, recevoir 150 heures de formation, appréhende­r le système j u r i d i q u e a mé r i c a i n , apprendre des méthodolog­ies de levées de fonds.

« Nous sommes partis comme ambassadeu­rs de notre écosystème », estime Luc Soler, l’un des dirigeants strasbourg­eois qui ont fait le déplacemen­t à Boston. Son entreprise, Visible Patient, fournit des modèles 3D de patients, utilisés par les chirurgien­s en phase pré- et peropérato­ire. Pour Luc Soler, l’objectif est clair : il cherche des débouchés internatio­naux. Sa levée des fonds (11,3 millions d’euros) a été bouclée en France avant l’été. « Je veux comprendre le territoire nord-américain et rencontrer des clients. ». L’ouverture d’une filiale aux États-Unis est prévue mi-2020. Il a profité du voyage pour visiter des centres de formation, des hôpitaux, rencontrer des chirurgien­s et des assureurs. Philippe Bastide, fondateur de Dianosic, a lui aussi visité des hôpitaux pour sonder l’intérêt des services d’urgence pour un autre dispositif médical, un ballonnet asymétriqu­e qui réduit les saignement­s intra-nasaux. Camille Srour, qui a mis au point un système pour traiter les hernies discales lombaires avec sa jeune société, SC Medica, a orienté sa tournée vers des établissem­ents spécialisé­s dans la chirurgie du rachis. Il cherche 6 millions de dollars pour accélérer son développem­ent. « Les ÉtatsUnis, c’est 50!% de notre marché en valeur », calcule-t-il.

« Nous proposons des sessions de travail en commun et une autre partie du programme sur mesure » , résume Alistair Schneider, directeur d’Innouvo, la société locale d’investisse­ment et de conseil prestatair­e des autorités strasbourg­eoises. Les bureaux d’Innouvo, où les entreprise­s se sont entraînées à « pitcher » pendant deux demi-journées consécutiv­es, offrent une vue plongeante sur l’école de management du MIT. L’environnem­ent propose tous les ingrédient­s pour les inspirer : Kendall Square, le quartier d’affaires où les Strasbourg­eois ont posé leurs valises, abrite l’essentiel des centres de recherche de l’agglomérat­ion de Boston, où se trouve aussi l’université de Harvard. L’Américain Vincent Ling, directeur des nouvelles technologi­es du laboratoir­e pharmaceut­ique Takeda, a prêté une oreille aux présentati­ons des Strasbourg­eois avant de formuler des recommanda­tions sur leurs stratégies. Il est venu en voisin$: ses bureaux se situent à Kendall Square, entre le MIT et Novartis. « Les startups alsacienne­s ne sont pas surcotées comme peuvent l’être certaines pépites nord-américaine­s. J’y vois de bonnes opportunit­és d’investisse­ment » , reconnaît-il. « Ces jeunes entreprise­s maîtrisent leurs techno

« Nous ne sommes pas l’Église catholique"! Nous sommes là pour faire du business, point final »

TIM O’MALLEY,

DIRECTEUR D’EURUS INCORPORAT­ED

logies, mais elles ne savent pas appliquer la touche de polish indispensa­ble pour transforme­r leurs projets en succès. Je suis prêt à leur donner des conseils gratuits » , propose-t-il. Takeda n’investira pas cette fois-ci. « Nous accueillon­s toute l’année à Boston des délégation­s semblables à celle-ci, qui cherchent des fonds » , reconn a î t Vi n c e n t L i n g . L a démarche strasbourg­eoise ne serait-elle qu’un copier-coller des missions nord-américaine­s de tous les écosystème­s du monde$? Pour avoir la réponse, il faut se rendre au Venture Café, dans un espace de détente aménagé dans un cinquième étage à Kendall Square. C’est l’un des plus grands incubateur­s de startups à Boston, qui ouvre ses portes chaque jeudi soir à la communauté locale de l’innovation. L’ambiance est festive, la bière gratuite. Incontourn­able pour ceux qui cherchent de nouveaux contacts avec des scientifiq­ues, des créateurs d’entreprise­s ou des financiers. Ce soir-là, un groupe d’entreprene­urs brésiliens en visite à Boston sponsorise le buffet. Des Espagnols sont venus aussi « pour faire du business ». Il y a également des Allemands, des Chinois. « Ce qui distingue les Alsaciens, c’est le caractère régional de la mission, et la façon dont ils se sont préparés », défend Alistair Schneider. « Quand ils nous présentent leur écosystème, tous ces visiteurs prétendent qu’ils sont les plus grands, les meilleurs », persifle Tim O’Malley, directeur d’Eurus Incorporat­ed, qui se présente comme spécialist­e des investisse­ments dans les startups du secteur médical. Au terme des pitches des sociétés alsacienne­s, il se déclare déçu$: « J’aimerais que tous ces entreprene­urs arrêtent de nous parler du point de vue du patient et de la qualité de la vie. Nous ne sommes pas l’Église catholique!! Nous sommes là pour faire du business, point final. »

CARTONS ROUGES

L’écosystème a de quoi faire des envieux. « 1!000 startups dont 400 biotechs se concentren­t sur un mile carré autour de Kendall Square », rappelle Sarah Delude, chargée du développem­ent économique à la ville de Boston. Les quatre hôpitaux universita­ires implantés dans le quartier de Longwood, en plein centre de Boston, dépensent autant en frais de recherche que pour soigner leurs patients. « Ici, tout semble tellement dynamique que tout le monde veut tout, tout de suite », observe Khadija Elabid, venture manager chargée des investisse­ments pour l’hôpital pédiatriqu­e de Boston. « Votre démarche est la bonne », confirme-t-elle à l’intention des visiteurs strasbourg­eois : « Ici, la mentalité est différente. L’effet réseau fonctionne­ra beaucoup mieux qu’en France. » Les Strasbourg­eois repartent avec sa carte de visite.

Aucune levée de fonds n’a été signée pendant la mission alsacienne à Boston. Mais elle pourrait porter ses effets dans les prochains mois. Séverine Sigrist, sanctionné­e par une volée de cartons rouges, va diviser sa startup en deux. Le projet du pancréas artificiel sera ouvert aux investisse­urs. Américains$? Pourquoi pas.

 ?? [O. MIRGUET] ?? Séverine Sigrist, présidente de Defymed, et Manuel Pires, son directeur du développem­ent, sont venus à Boston en septembre défendre leur projet de levée de fonds.
[O. MIRGUET] Séverine Sigrist, présidente de Defymed, et Manuel Pires, son directeur du développem­ent, sont venus à Boston en septembre défendre leur projet de levée de fonds.
 ?? [O. MIRGUET] ?? Luc Soler, président de Visible Patient, est venu à Boston présenter son dispositif d’imagerie médicale en réalité augmentée.
[O. MIRGUET] Luc Soler, président de Visible Patient, est venu à Boston présenter son dispositif d’imagerie médicale en réalité augmentée.

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