La méthode Safran pour débusquer des pépites technologiques et y investir
Doté de 80 millions d’euros, le fonds Safran Corporate Ventures constitue le complément de la politique d’innovation du groupe Safran, qui possède déjà un très beau portefeuille de pépites technologiques.
Krono-Safe (ingénierie logicielle) en 2015 ; Diota (logiciels de réalité augmentée) en 2016 ; Safety Line (optimisation du carburant), Kalray (processeurs intelligents), Prodways (fabrication additive), Cailabs (technologie optique), Turbotech (turbopropulseurs bas coût) en 2017 ; Oxis Energy (batteries) en 2018 ; et, enfin, Electric & Power Systems (batteries) et un investissement encore confidentiel en 2019... Ce sont les prises de participation dans des startups réalisées par Safran Corporate Ventures (SCV), le fonds de Safran créé en mars 2015 et présidé par Florent Illat depuis juin.
Avec quels objectifs pour le groupe présent dans l’aéronautique, l’espace et la défense"? Doté de 80 millions d’euros, ce fonds « n’est pas un business financier mais le complément naturel de notre politique d’innovation dans un groupe technologique », a expliqué devant la presse le directeur financier de Safran, Bernard Delpit. L’entreprise investit de l’ordre de 600 millions d’euros par an en recherche et technologie (R&T), dont 500 millions en autofinancement. En revanche, la question de la souveraineté des technologies convoitées par SCV ne fait pas partie des objectifs stratégiques prioritaires.
MISER DANS LA R&T
Safran Corporate Ventures n’investit que dans des sociétés qui apportent de nouvelles technologies au groupe dans cinq domaines : l’environnement, l’aviation connectée et autonome, les nouveaux usages, l’expérience passager et l’industrie 4.0. « Safran ne pouvait pas être absent dans ce domaine-là », estime Bernard Delpit. Le principe de base de ce fonds, qui n’a pas d’objectif de retour sur investissement sur le court
terme mais qui est rentable, est d’investir dans la R&T. « On regarde si on peut capturer des technologies uniques », confirme
Florent Illat. Toutefois, le fonds de Safran, qui ne souhaite pas étouffer les startups sélectionnées, participe à des tours de table à hauteur de montants compris entre 1 et 5 millions d’euros. Pas plus, car « la bonne hygiène est d’investir avec d’autres partenaires dans ce domaine », estime le directeur général de SCV. Soit des participations qui n’excèdent pas 15 % du capital d’une startup. « Nous avons un double intérêt : un alignement sur le développement de la startup et sa réussite », souligne-t-il. C’est pour cela que Safran Corporate Ventures investit dans un premier, puis un second tour de table pour
financer la R&T de la startup.
In fine, Safran souhaite récupérer, au pire, le montant de son investissement. Ce n’est pas encore le cas, y compris pour Krono-Safe, (ingénierie logicielle et systèmes temps réel pour électronique), le premier investissement du fonds en 2015. « On va continuer à les accompagner », assure Bernard Delpit. Si l’objectif est de faire respirer le portefeuille des sociétés, Safran « n’en est pas
encore là, estime le directeur financier de Safran. Nous sommesdansunephasedematu
rité. » Donc pas de cession en vue, SCV souhaitant garder ses participations en moyenne pendant cinq à six ans. Chaque année, la petite équipe
« extrêmement agile » (sic) de SCV analyse 600 startups. Elle en rencontre 200, puis examine une centaine de projets d’investissement avec l’aide de l’ensemble du groupe Safran. Au final, une vingtaine de dos
siers sont complètement
« désossés » en vue d’un possible investissement. « Nous sommes très sélectifs et très exigeants, assure Bernard Del
pit. Nous avons une enveloppe
fermée. » Une enveloppe qui a été toutefois augmentée récemment : le plafond du fonds est passé de 50 à 80 millions d’euros. SCV devrait atteindre son plafond d’ici 18 à 24 mois, selon Bernard Delpit. Il est d’ailleurs en train de finaliser un investissement encore confidentiel dans le domaine du véhicule autonome (lidar). Il pourrait s’agir de la startup française Outsight. La croissance du fonds va permettre à Safran d’augmenter ses prises de participation à l’international. D’où la nomination de Florent Illat en remplacement de Grégoire Aladjidi début juin. Le fonds a déjà pris des participations dans deux sociétés spécialisées dans les batteries, la britannique Oxis Energy (batteries lithium-soufre) et l’américaine Electric Power Systems (batteries lithium-ion). En 2019, il a également investi dans le fonds allemand Btov pour internationaliser son portefeuille de façon à repérer plus efficacement les pépites allemandes, autrichienne et suisses. Enfin, Safran étudie un investissement dans un fonds américain. Outre l’internationalisation de son portefeuille, ces participations à des fonds étrangers pour 10 à 12 millions d’euros lui feront accéder à un plus grand nombre de startups. « Cela va nous permettre d’augmenter le deal flow [flux d’opportunités d’investissement, ndlr]
et de passer de 600 à 800 dossiers
supplémentaires », estime Bernard Delpit. Progressivement et prudemment,Safranprendgoût à son nouveau métier.
« Nous sommes très sélectifs et notre enveloppe est fermée »
BERNARD DELPIT,
DIRECTEUR FINANCIER DE SAFRAN