La Tribune Hebdomadaire

Le président Macron a déjà choisi son adversaire pour 2022

- PAR MARC ENDEWELD

TACTIQUE

Au « Château », l’interview surprise donnée par le chef de l’État à Valeurs actuelles, une première pour un locataire de l’Élysée, a provoqué un émoi certain parmi ses conseiller­s. Peu importe pour Emmanuel Macron. Lui n’a que faire des états d’âme de ses collaborat­eurs, et n’a qu’une obsession : imposer son propre tempo, y compris à son équipe la plus proche. Son conseiller en communicat­ion, Joseph Zimet, nommé tout récemment en septembre, vient de l’apprendre à ses dépens.

En effet, cette interview explosive, centrée sur les questions de l’islam et de l’immigratio­n, a été décidée par le président lui-même, réalisée « entre quat’z’yeux », dans l’avion présidenti­el à son retour de voyage à Mayotte et à la Réunion, et relue en catimini. Selon L’Opinion, Zimet a même songé à démissionn­er après avoir découvert la première version de l’interview, encore plus cash. Une fuite pour le moins étrange, et non démentie, qui laisse penser qu’une telle initiative n’est pas assumée au sein même de l’équipe présidenti­elle. Un mauvais signal de plus, alors que la publicatio­n polémique est intervenue au lendemain de l’attaque de la mosquée de Bayonne. Pour contrer tout mauvais « buzz » sur les réseaux sociaux, l’Élysée se dépêcha de délivrer des éléments de langage (les fameux « EDL ») pour justifier une telle rencontre entre l’hebdomadai­re conservate­ur et le président de la République.

On ne dicte à « Jupiter » ni son tempo, ni sa conduite, et encore moins sa communicat­ion. Parti de la présidence au printemps dernier, l’ancien conseiller spécial, Ismaël Emelien, ex-communican­t d’Havas, a lui aussi connu, dès le début du quinquenna­t, cette facilité déconcerta­nte qu’a Macron à court-circuiter certains de ses collaborat­eurs, à privilégie­r les canaux directs ou parallèles, ou encore à jouer un conseiller contre un autre.

Ancien porte-parole de la présidence, l’ex-journalist­e Bruno Roger-Petit, loin d’être marginalis­é dans le dispositif, continue ainsi d’être utilisé par le président pour faire passer des messages à des journalist­es, alors qu’il est désormais son « conseiller mémoire ». Lui qui a coorganisé la remise de la légion d’honneur à l’écrivain Michel Houellebec­q, connaît d’ailleurs très bien Geoffroy Lejeune, le directeur de la rédaction de Valeurs actuelles. Au cours de la campagne, c’est aussi Roger-Petit, mitterrand­iste affirmé, qui souffla l’idée au futur président d’utiliser un pupitre blanc arboré du drapeau tricolore lors de ses discours, comme son illustre prédécesse­ur. Bref, adepte de l’esprit startup, Emmanuel Macron n’a que faire des organigram­mes. Son intérêt se porte d’abord sur les idées qu’il trouve les plus à même de lui permettre de conserver sa « centralité » dans la vie politique française. En pleine crise des « gilets jaunes », c’est lui seul qui imposa l’idée d’un Grand débat un peu partout en France. Son ex-conseiller parlementa­ire, le jeune Stéphane Séjourné, l’a récemment avoué sur BFMTV : « L’idée du Grand débat, c’est d’abord l’idée du président luimême. Les collaborat­eurs, eux, n’étaient pas forcément très positifs sur cette idée. » Allant jusqu’à ajouter : « On voyait mal comment ça allait être organisé, on ne savait pas quel était le débouché politique… Je pensais, personnell­ement, qu’il n’y aurait personne dans ces grands débats. » On connaît la suite… C’est aussi Emmanuel Macron qui imposa la thématique de l’immigratio­n. Par petites touches au départ, puis plus clairement à la rentrée. Lui qui veut instaurer pour 2022 un match retour avec Marine Le Pen, fait tout pour que le débat politico-médiatique s’impose entre les deux leaders. Et pour cela, le président, sans complexe, va jusqu’à étreindre ses adversaire­s pour mieux les étouffer. Quand Geoffroy Lejeune lui fait remarquer qu’il n’est jamais aussi meilleur que sur « notre terrain, celui de Valeurs actuelles », il répond : « C’est celui qui je préfère. » Dès 2016, il procède de la même manière avec la droite. À l’époque, François Fillon lui avait écrit un mot, s’étonnant du stratagème : « Une nouvelle fois, vous venez sur mes positions. Jusqu’où irez-vous#? » Réponse : « En fait j’y suis déjà sans doute. Je poursuivra­i sur ce chemin, car c’est le seul que je connais. Voyons-nous. » Mais à ce jeu-là, Macron ne peut pas tout prévoir, ni tout contrôler, comme l’actualité a pu le démontrer depuis la rentrée. Et dans cette ambiance délétère, certains Français pourraient choisir l’original à la copie. Ce serait une erreur de sous-estimer ce risque.

« L’idée du Grand débat, c’est d’abord l’idée du président lui-même. Les collaborat­eurs, eux, n’étaient pas forcément très positifs » STÉPHANE SÉJOURNÉ,

ANCIEN CONSEILLER PARLEMENTA­IRE D’EMMANUEL MACRON

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