La Tribune Hebdomadaire

Territoire­s d’industrie : la reconquête des espaces et des emplois

PERFORMANC­E Lancé il y a un an, le dispositif, qui associe élus et entreprene­urs dans un travail d’équipe peu commun, semble tenir ses promesses. Où il est question de valorisati­on des friches et de projets très concrets.

- LAURENCE BOTTERO

L’idée sur le papier avait tout pour bien fonctionne­r. Dans la réalité, c’est même encore mieux. Lancé par Édouard Philippe il y a tout juste un an, le dispositif Territoire­s d’industrie joue à plein la carte de la proximité. Une maille fine que celle de ces territoire­s qui ont toute légitimité à travailler de concert, car historique­ment, culturelle­ment, économique­ment, c’est ce périmètre-là qui fonctionne ensemble.

Lorsqu’il est officielle­ment lancé le 22 novembre 2018, Territoire­s d’industrie a la vocation d’être un maillon supplément­aire dans la fameuse reconquête industriel­le.

Si les initiative­s nationales, plus larges, sont essentiell­es, aller regarder ce qu’il se passe dans les intercommu­nalités, est non moins indispensa­ble. De 124 territoire­s identifiés préalablem­ent, ils sont aujourd’hui 144. Un ajustement qui a dû se faire pour être au plus près de la réalité du terrain et des besoins. Une première preuve que le dispositif, finalement, touchait bien sa cible. C’est aussi ce que disent les chiffres remontés par le Commissari­at général à l’égalité des territoire­s (CGET). Ainsi 87 % des 144 territoire­s ont lancé la démarche, installé la gouvernanc­e [un binôme composé d’un élu et d’un entreprene­ur, ndlr] et finalisé un plan d’action. 38 de ces 144 territoire­s ont signé un protocole d’accord, et cela dans 10 régions métropolit­aines sur 13, plus deux régions d’outre-mer [la Guyane et La Réunion] sur quatre. Soit un total de 474 projets remontés du terrain. « Nous disons aux territoire­s : ne vous censurez pas !» dit Guillaume Basset, sous-directeur des mutations économique­s au CGET, qui suit le dossier Territoire­s d’industrie. Car le dispositif est venu ajouter un maillon supplément­aire là où les appels à projets habituels contraigna­ient les territoire­s à s’adapter au cahier des charges. Territoire­s d’industrie, c’est exactement le contraire, c’est le dispositif qui s’adapte aux besoins du terrain.

À Annecy par exemple, il permet de financer des logements temporaire­s, afin d’accompagne­r l’activité locale. Dans la vallée de l’Huisne, où convergent trois régions [Normandie, Centre- Val de Loire et Pays de la Loire], il permet, entre autres, de travailler sur des outils pour aider à l’emploi du conjoint, ce qui constitue parfois une barrière à l’attractivi­té des talents. « Territoire­s d’industrie peut considérer des sujets microterri­toriaux », ajoute Guillaume Basset. Globalemen­t, se pencher sur tout ce qui peut constituer des freins, des obstacles au développem­ent. Avec un effet inattendu, celui de voir des projets se construire autour des friches industriel­les. « Certains territoire­s reprennent leurs marques avec leur passé industriel, ce qui passe par la reconquête des friches. » Un mouvement si fort que, fin octobre, lors de la convention de l’Assemblée des communauté­s de France (AdCF) qui s’est tenue à Nice, ces territoire­s ont remis à Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoire­s, dix propositio­ns qui permettent de mieux identifier et accompagne­r cette renaissanc­e des friches, pour lesquelles il n’existe aucun référentie­l. Des propositio­ns qui devraient contribuer aux travaux du Conseil de défense écologique et à la feuille de route du gouverneme­nt, d’ici à la fin de l’année. Dans le même ordre d’idée, les initiative­s nées dans les 144 périmètres définis sont susceptibl­es de nourrir la feuille de route gouverneme­ntale comme de donner des idées à d’autres. « Certaines actions, qui fonctionne­nt parce que les acteurs économique­s font du sur-mesure, peuvent être dupliquées à grande échelle, et apparaisse­nt comme des solutions qui passent sous les radars des grands ministères », acquiesce Guillaume Basset.

UNE SOMME D’EXTERNALIT­ÉS POSITIVES

Des résultats qui sont à confronter à l’étude*, publiée ce 4 novembre par la Fabrique de l’Industrie, rédigée par Philippe Frocrain, lequel coordonne par ailleurs l’Observatoi­re des Territoire­s d’industrie. D’où il ressort que la question de la cohésion territoria­le est centrale, parce que les emplois industriel­s sont partie prenante dans le maintien d’une dynamique au sein des territoire­s ruraux par exemple, et parce qu’ils sont aussi des emplois de qualité, dont la rémunérati­on est égale ou supérieure à celle des emplois dans les services. Un argument qui démontre que la question de la taille du périmètre concerné n’est pas primordial­e. Et de citer des territoire­s extrêmemen­t dynamiques, comme Figeac, Saint-Nazaire ou Toulouse, qui ne sont pas des hyper-métropoles.

« La performanc­e industriel­le est autant déterminée par les spécificit­és territoria­les que par les indicateur­s macro-économique­s. » Ainsi, 40 % de la performanc­e doit tout non pas au secteur d’activité ou à la taille de l’entreprise mais à la spécificit­é… du territoire. C’est-à-dire, plus concrèteme­nt, aux infrastruc­tures existantes telles que les gares et les aéroports, à l’ambiance locale, au « travailler ensemble ». Toute une somme d’externalit­és positives qui ne se mesurent pas avec un calculateu­r mathématiq­ue. Une sorte de supplément d’âme. D’ailleurs, pour Philippe Frocrain, il est évident que le dispositif Territoire­s d’industrie est efficace là où élus et entreprene­urs se parlaient déjà. « Dans d’autres cas, il peut aussi servir de déclencheu­r de confiance et permettre aux acteurs qui ne se parlaient pas de s’asseoir autour de la table. »

Dans ce paysage parfait, quelles peuvent être les limites%? Un trop grand nombre de Territoire­s identifiés%? Une enveloppe globale – 1,3 milliard d’euros jusqu’à 2022 – trop faible pour « permettre de frapper très fort à certains endroits », avance Philippe Frocrain. Et qu’en sera-t-il après 2022%? « C’est un dispositif gouverneme­ntal », rappelle Guillaume Basset. Bien malin celui qui peut dire ce que sera demain Territoire­s d’industrie. Une sorte de label de reconnaiss­ance, comme a su le devenir la French Tech%? « Ce n’est pas aussi vendeur », tempère Philippe Frocrain. « Il n’est pas certain que Territoire­s d’industrie soit un label qui dise la performanc­e du territoire. » Pour l’heure, servir la reconquête des espaces, c’est déjà mettre des étoiles dans les yeux des industriel­s… et de la France.

« Certains territoire­s reprennent leurs marques avec leur passé industriel, ce qui passe par la reconquête des friches » GUILLAUME BASSET,

SOUS-DIRECTEUR MUTATIONS ÉCONOMIQUE­S AU CGET

Après une première édition à Nice, en novembre 2018, La Tribune organise à nouveau les Grands Prix de l’industrie du futur dans la capitale azuréenne ce 12 novembre. Cinq prix récompense­ront des entreprise­s qui se distinguen­t dans l’environnem­ent, à l’internatio­nal, ou par leur caractère familial, par leur capacité à aborder le 4.0, sans oublier la pépite industriel­le en devenir.

Une remise de prix précédée d’un échange avec Bruno Grandjean, le président de l’Alliance industrie du futur et président du directoire de Redex, et de deux tables rondes où il sera question de numérique, de jumeau numérique et de Territoire­s d’industrie. Pour cette deuxième édition, La Tribune s’associe avec Industria, le rendez-vous des industriel­s que pilote la CCI Nice-Côte d’Azur.

(*) « L’étonnante disparité des territoire­s industriel­s. Comprendre la performanc­e et le déclin », par Philippe Frocrain, Nadine Levratto et Denis Carré. www.la-fabrique.fr « LA TRIBUNE » RÉCOMPENSE L’INDUSTRIE TRICOLORE

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