La Tribune Hebdomadaire

Défense et illustrati­on des actionnair­es « activistes »

- OLIVIER BABEAU PRÉSIDENT DE L’INSTITUT SAPIENS

INVESTISSE­MENT Dans un pays où un ancien président de la République déclarait : « Mon ennemi, c’est la finance », les actionnair­es n’ont pas bonne presse. Quand ils font partie de la catégorie des fonds dits « activistes » souhaitant peser sur les décisions des dirigeants, bien que minoritair­es, le traitement médiatique de leur action est alors violemment négatif. C’est profondéme­nt méconnaîtr­e le rôle de l’actionnair­e en général et des activistes en particulie­r.

Les investisse­ments des actionnair­es sont essentiels au développem­ent de l’entreprise et de l’économie. Mais leur rôle ne s’arrête pas au versement du prix de l’action. En approuvant les décisions clés proposées par le leadership de l’entreprise, lors des assemblées générales, ils l’orientent vers le chemin de la prospérité. Leur but est le même que toutes les autres parties prenantes : éviter une chute de la valeur du capital et favoriser le plein déploiemen­t de son potentiel. La présence d’actionnair­es actifs sur les marchés a pour effet de stimuler les opérateurs économique­s, qu’ils soient leurs cibles directes ou non : ils interdisen­t aux entreprise­s de sombrer dans une forme de léthargie et obligent leurs dirigeants à accroître leurs efforts de transparen­ce et d’explicatio­n vis-à-vis de leurs actionnair­es. Plus encore, ils les solliciten­t pour repenser sans cesse leur stratégie et la confronter au marché, afin d’anticiper au mieux les évolutions de leurs activités ; un formidable remède contre l’échec et la meilleure recette pour le succès. À l’inverse, la passivité dans la gestion d’une entreprise, la conduite habituelle des affaires sans remise en question, l’installati­on du business dans le confort d’une routine endormie sont des voies certaines vers les difficulté­s : le dirigeant qui ne se renouvelle pas ou l’entreprise qui ne s’interroge pas sur son devenir, particuliè­rement dans une période marquée par des bouleverse­ments technologi­ques, juridiques et sociaux permanents, se préparent à décliner et, peut-être, à devenir la cible d’opérations hostiles. Comme le synthétise Maurice Nussenbaum, professeur à l’université Paris Dauphine, l’action des activistes est « une discipline de marché » : « si une entreprise n’est pas gérée de façon efficace, elle est rattrapée par le marché. »

L’influence des activistes ne porte pas que sur les entreprise­s qui sont leurs cibles : leur existence même introduit une supervisio­n du marché, nourrissan­t une pression à la performanc­e qui a pour effet de discipline­r, par ricochet, toutes les entreprise­s similaires qui sont encouragée­s à réinterrog­er leurs propres stratégies et management pour s’assurer de leur robustesse et se protéger contre une éventuelle campagne hostile. Cela explique certaineme­nt pourquoi, de manière générale, les investisse­urs reconnaiss­ent les qualités des activistes : 87%% d’entre eux estiment qu’ils ont un rôle positif sur le marché et ils reconnaiss­ent massivemen­t (90%%) la robustesse de leurs arguments. Par leur interventi­on, ils jouent un rôle de veilleur et d’aiguillon, qui bénéficie à l’ensemble des actionnair­es, notamment minoritair­es, qui voient leurs participat­ions mieux valorisées, aux salariés qui évoluent dans une entreprise plus robuste, à l’État qui profite d’acteurs économique­s plus compétitif­s – et donc de meilleurs contribuab­les.

Les actions des actionnair­es activistes ne doivent rien au hasard : elles ont un but précis et s’appuient sur des analyses détaillées du marché et de l’entreprise, qui leur permettent de proposer des modificati­ons d’organisati­on ou d’influencer la stratégie de l’entreprise dans le but de mieux la valoriser. La plupart du temps, cela se passe sereinemen­t et ils rallient à eux le management et les autres actionnair­es. Parfois, aussi, cela les mène à bousculer les dirigeants : pour faire entendre leurs propositio­ns ils utilisent toutes les possibilit­és de la communicat­ion externe et interne. C’est ce que veut faire, par exemple, l’Associatio­n de défense des actionnair­es minoritair­es (Adam) de Colette Neuville, engagée dans une bataille pour que Capgemini revalorise son offre sur Altran pour rémunérer ses actionnair­es à un juste prix.

Les actionnair­es militants jouent, d’une certaine manière, un rôle de contre-pouvoir aux décisions prises par la direction. De cette façon, ils posent les fondements d’une dynamique qui sort l’entreprise d’une forme de zone de confort où elle risquerait de s’assoupir, alignant les intérêts et objectifs des dirigeants avec ceux des propriétai­res, dans un objectif commun. Développer une démocratie actionnari­ale au sein de l’entreprise, avec tous les acteurs concernés, est donc un gage de croissance et de pérennité pour elle.

Les Anglo-Saxons sont plus habitués à ce que les actionnair­es soient impliqués dans l’entreprise : le taux de participat­ion des petits actionnair­es aux assemblées générales est par exemple de 50%% dans l’Hexagone contre 63%% au Royaume-Uni. Plusieurs freins expliquent cette divergence : la pratique des droits de vote double qui avantage de façon disproport­ionnée certains actionnair­es, le poids de la participat­ion de l’État qui occupe la position ambivalent­e d’actionnair­e-régulateur, ou l’habitude française de favoriser les négociatio­ns « en off » plutôt qu’en toute transparen­ce. De nombreux travaux académique­s démontrent pourtant les effets positifs à court comme à long terme de l’engagement actionnari­al sur les performanc­es de l’entreprise, sa compétitiv­ité et donc sa valorisati­on%! L’activisme actionnari­al est en croissance dans le monde. La banque Lazard estime que le nombre de campagnes sur des cibles dont la valorisati­on dépasse 500 millions d’euros est passé de 139 en 2013 à 226 en 2018, pour atteindre 65 milliards de dollars cette année. Cette forme d’engagement rappelle une évidence trop souvent oubliée : les entreprise­s n’appartienn­ent pas à leurs dirigeants. Le législateu­r aurait toutes les raisons de se positionne­r en faveur de ce dynamisme actionnari­al pour lui permettre d’exister pleinement et de cohabiter avec un management traditionn­el parfois plus paisible. Favoriser les actionnair­es militants, c’est favoriser des entreprise­s solides, agiles et capables de se remettre en cause ; des entreprise­s qui embauchent et qui remplissen­t leur rôle sociétal%! C’est soutenir un avantage comparatif indéniable et un formidable argument d’attractivi­té dans un contexte d’incertitud­e des marchés.

« Développer une démocratie actionnari­ale au sein de l’entreprise est un gage de croissance et de pérennité »

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[ISTOCK] UNE REMÈDE À LA LÉTHARGIE Les actionnair­es « activistes » obligent les dirigeants, selon Olivier Babeau, à accroître leurs efforts de transparen­ce et d’explicatio­n.
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