La Tribune Hebdomadaire

L’ÉPARGNE RETRAITE PEUT-ELLE DEVENIR POPULAIRE ?

RÉFORME En commercial­isant trois nouveaux produits simplifiés, le gouverneme­nt voudrait donner un élan à l’épargne retraite boudée par les Français. Reste à lever de nombreux obstacles.

- JULIETTE RAYNAL

En créant trois nouveaux produits simplifiés, le gouverneme­nt veut inciter les Français à investir à long terme

Cumuler un pécule tout au long de sa carrière profession­nelle pour pouvoir ensuite bénéficier de revenus supplément­aires complétant les pensions versées par les régimes de retraite obligatoir­e. C’est le principe de l’épargne retraite. Un produit que le gouverneme­nt entend bien faire entrer dans le quotidien des Français grâce à sa réforme encadrée par la loi Pacte de Bruno Le Maire. L’objectif : dynamiser l’épargne longue pour soutenir davantage l’économie réelle. Le défi est de taille car jusqu’à présent l’épargne retraite, dont l’offre était très éclatée, a été largement boudée par les épargnants, qui lui préfèrent les contrats d’assurance-vie. Dans l’Hexagone, l’épargne pour préparer ses vieux jours ne représente ainsi que 230 milliards d’euros d’encours, contre 1#700 milliards d’euros pour l’assurance-vie. Le gouverneme­nt espère drainer 100 milliards d’euros supplément­aires à l’horizon 2022. « En France, nous avons beaucoup d’épargne, mais une faible partie est dédiée à la retraite. Il y a un vrai enjeu de reposition­nement de l’épargne sur le long terme », exposait Lionel Corre, sous-directeur des assurances à la Direction générale du Trésor, lors de la conférence organisée le 22 octobre par l’Associatio­n française de la gestion financière (AFG). « Aujourd’hui, l’épargne des Français est davantage placée en obligatair­e et peu en actions. En parallèle, les entreprise­s ont besoin de se préparer sur le long terme afin de transforme­r leur modèle économique et de faire face au changement climatique. Elles ont donc besoin de capital », a-t-il poursuivi. Or, si les placements en actions sont plus risqués, ils présentent aussi, sur la durée, un potentiel de rendement plus intéressan­t.

FAIRE OEUVRE DE PÉDAGOGIE

Un aspect non négligeabl­e pour les épargnants, à l’heure où la baisse des rendements des placements sécuritair­es, comme les fonds euros proposés dans les contrats d’assurance-vie, est inéluctabl­e dans un contexte de taux dura

blement bas, qui pèse sur la rentabilit­é des assureurs. « Il faut faire preuve de pédagogie et expliquer que la sécurité ne rémunère plus,

qu’il faut s’ouvrir à d’autres produits », a déclaré sans détour Gérard Bekerman, le président de l’Afer, principale associatio­n française d’épargnants avec quelque 300#000 adhérents et 56 milliards d’euros sous gestion, le 28 octobre, lors des Assises de l’épargne et de la fiscalité. Les opportunit­és de transfert de l’assurance-vie vers l’épargne retraite ne sont pas négligeabl­es : 25#% des détenteurs d’une assurance-vie utiliserai­ent ce produit financier pour préparer leur retraite.

Pour convaincre les Français de se tourner vers ce type d’épargne, le gouverneme­nt mise sur deux leviers : la simplicité et la flexibilit­é. Concrèteme­nt, la loi Pacte crée un cadre commun, le PER (pour Plan d’épargne retraite) qui applique les mêmes règles de sortie, de transfert et de fiscalité à trois nouveaux contrats. Commercial­isés depuis le 1er octobre dernier, ils doivent venir se substituer à une multitude de contrats existants (qui, eux, pourront encore être commercial­isés jusqu’au 1er octobre 2020). Dans les détails, on retrouve un premier produit collectif ouvert à tous les salariés, à condition que leur entreprise ait mis en place un dispositif d’épargne salariale, qui doit remplacer l’actuel Perco. Un deuxième produit collectif pour certaines catégories de salariés vient en remplaceme­nt des contrats du régime « article 83 ». Enfin, un troisième produit, individuel cette fois-ci, remplace le Perp et les contrats Madelin. Il est accessible à tous par une souscripti­on individuel­le auprès d’une banque, d’un assureur ou bien d’un gestionnai­re d’actifs. Une nouveauté puisque, jusqu’à présent, ces derniers ne pouvaient distribuer que des produits collectifs.

SOUPLESSE ET PORTABILIT­É

Le PER se veut aussi moins contraigna­nt. Les épargnants pourront désormais choisir une sortie en capital ou en rente, c’est-à-dire en une seule fois ou sous la forme de versements réguliers jusqu’au décès du bénéficiai­re. C’est l’un des points clés de la réforme. Historique­ment, dans la plupart des produits d’épargne retraite (exception faite du Perco), la sortie ne pouvait s’effectuer que sous la forme de rente. Or les Français préfèrent la sortie en capital. « La sortie en rente est un frein psychologi­que majeur car, en cas de décès prématuré du retraité, le reste du capital constituti­f est

conservé par les assureurs », explique Émilie Edroux de la société de conseil Optimind. La flexibilit­é se retrouve également dans les conditions de sortie, harmonisée­s pour les trois types de contrats. Un épargnant pourra ainsi débloquer ses économies pour l’achat de sa résidence principale ou en cas d’accidents de la vie majeurs.

« Il faut expliquer que la sécurité ne rémunère plus et qu’il faut s’ouvrir à de nouveaux produits »

GÉRARD BEKERMAN,

PRÉSIDENT DE L’AFER

Autre nouveauté : une plus grande portabilit­é. « En fin de carrière, une personne pouvait se retrouver avec une multitude de contrats, parfois jusqu’à huit ou neuf. Désormais, lorsqu’un salarié changera d’entreprise, il pourra emmener son contrat avec lui », explique Lionel Corre.

« Je parle de dispositif sac à dos. Parce que c’est la première fois qu’un dispositif est attaché à la personne et non à son établissem­ent financier. On pourra balader son PER pendant toute sa vie profession­nelle, carrière linéaire ou non, et on l’aura en permanence avec soi, soit dans l’entreprise soit en dehors de l’entreprise » , complète Xavier Collot, directeur épargne salariale et retraite du gestionnai­re d’actifs Amundi (groupe Crédit Agricole).

En plus des versements de l’entreprise, le salarié pourra lui-même abonder son PER. Et pour faciliter les transferts d’un contrat à un autre, les frais sont désormais plafonnés à 1!% du montant du contrat et le transfert devient gratuit après cinq ans. Ce qui pourrait favoriser la concurrenc­e entre les différents acteurs (banques, assureurs et gestionnai­res d’actifs). Concernant la fiscalité, tous les versements volontaire­s pourront être déduits de l’assiette de l’impôt sur le revenu jusqu’à un certain plafond. Par ailleurs, pour inciter les détenteurs de contrats d’assurance-vie à transférer leur épargne vers un PER, ces derniers bénéficier­ont d’un avantage fiscal supplément­aire.

UNE COMPLEXITÉ QUI RISQUE DE RALENTIR LA MISE SUR LE MARCHÉ

L’ensemble de ces mesures suffiront-elles à séduire les Français!? Émilie Edroux, de la société

Optimind, émet certaines réserves. « La réforme devait apporter une forte simplifica­tion, mais finalement ce sont des concepts assez différents qui sont regroupés sous un même nom. En gardant plusieurs compartime­nts, on conserve une certaine complexité. L’avantage fiscal est aussi très limité car la possibilit­é de déduction fiscale des versements volontaire­s est conservée mais l’imposition de la sortie en capital aussi », note-t-elle. Laure Delahousse, directrice générale adjointe de l’AFG est plus optimiste : « La complexité sera du côté des profession­nels, pas des épargnants, assure-t-elle. Chaque épargnant, qu’il soit salarié, indépendan­t ou personne individuel­le, ne verra qu’un seul et même PER. »

Mais cette complexité à gérer du côté des profession­nels pourrait ralentir le développem­ent de ces nouvelles offres et donc affaiblir leurs chances de succès. « Le produit à l’arrivée est

complexe car il y a plusieurs compartime­nts pour les différente­s modalités de versement. Cela nécessite d’adapter les systèmes d’informatio­n, mais aussi de former les chargés de clientèle.

Cela peut prendre plusieurs mois », reconnaît Philippe Bernardi, directeur du pôle assurances de personnes au sein de la Fédération française de l’assurance (FFA). Ces ajustement­s nécessiten­t donc de lourds investisse­ments pour les compagnies d’assurances pouvant se chiffrer jusqu’à plusieurs dizaines de millions d’euros. Résultat, la préparatio­n des différents établissem­ents est assez inégale. Certains, comme Axa, leader de l’épargne retraite en France, propose d’ores et déjà une gamme complète. D’autres, comme Société Gé n é r a l e A s s u r a n c e s , Generali ou Aviva étaleront leurs mises sur le marché. Quand d’autres encore, plus petits, ne prévoient pas de commercial­isation avant octobre 2020.

L e d é v e l o p p e ment d e l’épargne retraite se heurte à un dernier obstacle : celui de la réforme en cours des régimes de retraite obligatoir­es. « Tant que les assurés ne comprennen­t pas le sort du régime obligatoir­e, ils vont sans doute rester dans l’attentisme », a estimé Patrick Montagner, premier secrétaire général adjoint de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), adossée à la Banque de France, lors d’une conférence de presse qui a eu lieu le 24 octobre.

Une opinion que partage Valérie Batigne, fondatrice et dirigeante de Sapiendo, une startup spécialisé­e dans le conseil autour de la retraite. Selon l’entreprene­use, seules deux questions comptent pour un futur retraité : quand il va pouvoir prendre sa retraite et combien il va toucher, peu importe d’où vient l’argent. « Mais, paradoxale­ment, très peu de personnes savent

répondre à ces questions, alors qu’on est à la retraite pendant plus de dix ans en moyenne,

soit un tiers de sa vie d’adulte », souligne-t-elle. Selon Valérie Batigne, un futur retraité doit savoir combien il touchera et déterminer quel est son besoin global de revenus pour ensuite évaluer « son manque » . En d’autres termes, il faut d’abord bien maîtriser sa retraite par répartitio­n pour pouvoir ensuite construire une stratégie d’épargne adaptée.

Du côté des assureurs, on regrette que le gouverneme­nt ait souhaité construire le premier étage alors même que le rezde-chaussée s’apprête à subir d’importante­s transforma­tions. « La réforme en cours des retraites envoie également comme message que les revenus issus du régime obligatoir­e seront moins généreux et que dans cette perspectiv­e il sera très utile d’épargner pour sa propre retraite », souligne Arnaud Chneiweiss, délégué général de la FFA. Tous les profession­nels concernés s’accordent donc sur un point : la réforme de l’épargne retraite doit être accompagné­e d’un travail de pédagogie et de communicat­ion. Dans cette optique, l’AFG vient de publier un guide pratique à destinatio­n du grand public. « Jusqu’ici, l’épargne retraite était réservée à une petite frange d’épargnants, souvent fortement imposables. Le PER va progressiv­ement faire partie de la vie quotidienn­e des Français et doit devenir un produit d’épargne classique, au même titre que le Livret A ou l’assurance-vie. Notre guide est destiné au public le plus large possible », explique Laure Delahousse. Le challenge reste entier. Selon un récent sondage commandé par Aviva France et Deloitte, deux épargnants français sur trois n’ont jamais entendu parler des nouveaux produits du PER. n

« Tant que les assurés ne comprennen­t pas le sort du régime obligatoir­e, ils vont sans doute rester dans l’attentisme »

PATRICK MONTAGNER,

1ER SECRÉTAIRE GÉNÉRAL ADJOINT DE L’ACPR

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[PIXABAY] Simplicité et flexibilit­é, les deux leviers sur lesquels le gouverneme­nt mise pour réorienter une partie de l’épargne des Français.
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