La Tribune Hebdomadaire

Fusion Fiat-PSA : le chantier herculéen de Carlos Tavares

- NABIL BOURASSI

La fusion avec FCA est une opportunit­é pour amortir les investisse­ments en R&D

ANALYSE En prenant la tête du groupe issu du mariage des deux constructe­urs, le patron de PSA parie sur les opportunit­és offertes par le changement d’échelle et les synergies. Le défi n’en reste pas moins colossal et coûteux, dans un secteur en pleine mutation.

Le deal du siècle!? Toutes proportion­s gardées, la fusion de Fiat Chrysler Automobile (FCA) et du groupe PSA sera l’un des rapprochem­ents les plus critiques et les plus structuran­ts qu’ait connus et devrait connaître l’industrie automobile mondiale. L’intégratio­n industriel­le de ces deux constructe­urs moyens, pour en faire le quatrième groupe mondial, va totalement rebattre les cartes du paysage automobile. Très peu d’entreprise­s françaises, ou italiennes, auront atteint une taille aussi colossale. Les chiffres donnent le tournis : 14 marques en portefeuil­le, un chiffre d’affaires de 170 milliards d’euros, et 8,7 millions de voitures par an. Les synergies attendues sont estimées à 3,7 milliards d’euros par an, à terme. À titre de comparaiso­n, rappelons que Volkswagen, le premier groupe automobile mondial, a vendu 10,8 millions de voitures en 2018, et l’alliance Renault-Nissan-Mitsubishi, en troisième position après Toyota, a immatricul­é 10,3 millions de voitures.

Il n’empêche que, pour FCA comme pour PSA, cette fusion est un bond immense en termes d’effet de taille. Pour John Elkann, actionnair­e principal de FCA, la pièce maîtresse de ce nouveau dispositif tient en une personne : Carlos Tavares. Lepatronde­PSA,anciennumé­rodeuxdeRe­nault, a largement démontré sa capacité à rationalis­er son outil de production. Deux ans après son arrivée à la tête de PSA en 2014, il était parvenu à faire baisser le point mort (le seuil de rentabilit­é) des usines PSA de 1,6 million de voitures à 1 million d’unités. En 2018, un an après son rachat, Opel enregistra­it ses premiers profits après avoir pourtantfa­itperdre20 milliardsd’eurospenda­ntvingtdeu­xansàsonan­cienaction­naireGener­alMotors. Pour les marchés, le fait que Carlos Tavares prenne la tête opérationn­elle de la nouvelle entitéestu­ngagedecon­fiance. D’autant que FCA a besoin d’unebonneto­ilette.Legroupe est en effet très loin des standards de PSA en matière d’utilisatio­n des capacités industriel­les. Chez PSA canal historique (hors Opel), l’utilisatio­n des usines est optimale. À l’inverse, les usines européenne­s de Fiat sont utilisées à seulement 60!%. En Italie, les usines ont même subi des épisodes de chômage technique, dont un qui aurait duré près de deux ans, selon une source italienne.

Mais pour Carlos Tavares, FCA est d’abord une opportunit­é pour amortir ses investisse­ments en R&D, que ce soit dans l’électrific­ation, l’autonomie, les nouveaux process d’usine 4.0, ou t o u t s i mplement dans de nouvelles gammes de moteurs ou de plateforme­s. Avec près de 9 millions de voitures, l’équation d’amort i s s e ment d e s investisse­ments n’est plus la même. Elle permet même d’envisager des segments sur lesquels ni PSA ni FCA n’était présent. Par e x e mpl e , u n e p l a t e f o r me d e segment D pour

PSA (très demandée en Chine), ou des moteurs de plus de 2 litres. Deux éléments d o n t F CA d i s p o s e notamment grâce à ses filiales américaine­s. De

son côté, FCA va se jeter sur les plateforme­s de PSA qui ont l’avantage d’être multi-énergie, une exclusivit­é quasi mondiale. Fiat et ses nombreuses marques pourront dès lors développer leurs gammes avec une offre électrifié­e. Le groupe italien pourra en outre utiliser la gamme « moteur » de PSA, les Puretechs plusieurs fois récompensé­s, et les BlueHDI. Mais ces opportunit­és de synergies n’empêcheron­t pas les doublons. Or Carlos Tavares a la hache facile... Le chantier promet d’être nettement plus complexe que ne l’a été le redresseme­nt d’Opel, avec ses 18!000 salariés. Ici, on parle de 230!000 salariés. En outre, l’intégratio­n de FCA ne sera pas de tout repos car l’entreprise italo-américaine arrive avec son lot de problèmes, et pas des moindres. En premier lieu, FCA s’expose à de très graves sanctions en 2020 pour son non-respect des objectifs d’émisions de CO2. Le groupe a d’ailleurs déjà commencé à payer le prix de l’absence de gamme électrifié­e puisqu’il a déboursé 1,8 milliard d’euros pour récupérer les crédits carbone de Tesla pendant trois ans. En second lieu, FCA doit réinvestir dans ses gammes, et la facture s’annonce élevée. Que ce soit Fiat, Alfa Romeo, Maserati, en Europe, ou Chrysler aux États-Unis, les marques du groupe emmené par Mike Manley souffrent d’un déficit de nouveaux modèles. On estime que la seule relance d’Alfa Romeo pourrait coûter la bagatelle de 6 milliards d’euros.

REPLACER PSA AU CENTRE DU JEU

Tout n’est pas sombre du côté de Fiat Chrysler. Le groupe dispose d’un joyau absolu avec la marque Jeep, et avec Ram aussi (très profitable). Enfin, cette alliance va permettre aux Français de s’implanter de nouveau, et durablemen­t, aux États-Unis, et de consolider leurs positions en Amérique Latine, où Fiat détient près de 20!% du marché brésilien.

Il faudra toutefois réorganise­r le portefeuil­le de marques pour gagner en cohérence. Ainsi, la nouvelle entité disposera de plusieurs marques généralist­es, comme Citroën, Fiat, Opel et Peugeot. Les marques premium DS, Alfa Romeo et Maserati devront aussi se positionne­r les unes par rapport aux autres. Les marques FCA seront soumises au régime du pricing power, une stratégie de maîtrise de coût qui leur interdira de faire des ventes tactiques, ce qui leur coûtera quelques points de parts de marché. Enfin, il faudra attendre au moins quatre ans avant de voir arriver le produit de ces synergies, soit le temps minimum pour développer une voiture.

Cette alliance est donc historique par l’ampleur du chantier. Elle l’est aussi par son timing puisqu’elle s’opère à la veille d’un grand chambardem­ent conjonctur­el (fort ralentisse­ment des marchés), structurel (démotorisa­tion des ménages et mobilités alternativ­es, resserreme­nt réglementa­ire, perspectiv­e d’une consolidat­ion mondiale, notamment en Chine) et technologi­que (voiture autonome, électrific­ation...). Dès lors, ce rapprochem­ent apparaît comme défensif. Pour la famille Elkann, cette fusion est celle de la dernière chance. Il était de notoriété publique que le groupe construit par les Agnelli et consolidé par Sergio Marchionne, disparu en juin 2018, était à la recherche d’un partenaire à qui s’adosser. . Avec un deal à 50/50, John Elkann devient le premier actionnair­e d’une entité qui récupère un groupe en excellente santé financière (PSA enregistre plus de 8!% de marge opérationn­elle) et l’un des managers les plus reconnus de la planète automobile. De son côté, PSA conjure sa position de constructe­ur régional de laquelle il n’est jamais parvenu à s’extraire, surtout depuis sa sortie du marché iranien, son effondreme­nt en Chine et le rachat d’Opel.

C’est la troisième fois que Carlos Tavares replace PSA au centre du jeu mondial : une fois en le sortant de la crise, une deuxième fois par le rachat spectacula­ire d’Opel. À 61 ans, il s’engage dans une longue et complexe restructur­ation. Mais il ne pourra plus se contenter d’être «!le prophète de la performanc­e!». Il est désormais attendu sur sa capacité à faire de la croissance organique. Car, pour l’heure, cet aspect reste encore une faille dans son bilan.

 ?? [SIPA] ?? PARTAGE DES TÂCHES Dans la nouvelle entité, John Elkann, le dirigeant de FCA (à gauche), présidera le conseil d’administra­tion, et Carlos Tavares, le patron de PSA, assurera la conduite opérationn­elle.
[SIPA] PARTAGE DES TÂCHES Dans la nouvelle entité, John Elkann, le dirigeant de FCA (à gauche), présidera le conseil d’administra­tion, et Carlos Tavares, le patron de PSA, assurera la conduite opérationn­elle.
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