La Tribune Hebdomadaire

De l’eau dans le gaz entre Merkel et Macron

- PAR MARC ENDEWELD

Entre la France et l’Allemagne, rien ne va plus. Lors d’un dîner célébrant le trentième anniversai­re de la chute du mur de Berlin, Angela Merkel a fait part de son mécontente­ment à Emmanuel Macron au sujet de son interview à The Economist, dans laquelle le président français expliquait que l’Otan était dans un état « de mort cérébrale ». Le clash public entre les deux chefs d’État est rapporté par The New York Times, et selon le quotidien, la chancelièr­e était « furieuse » et n’aurait pas mâché ses mots face au président français : « Je comprends votre désir de politique disruptive, mais je suis lasse de ramasser les morceaux. Encore et encore, je dois recoller les tasses que vous cassez pour que nous puissions nous asseoir et prendre le thé ensemble. » C’est peu dire si les déclaratio­ns d’Emmanuel Macron sur l’Otan, à la suite de l’offensive turque contre les Kurdes en Syrie, ont jeté un trouble parmi les pays européens. « Je ne peux pas rester là et faire comme si rien ne s’était passé », a répondu Macron à la chancelièr­e. Son principal tort"? Avoir dit tout haut ce que pensent de nombreux experts, diplomates et militaires… Comme à son habitude, le président français essaie de bousculer les positions par des propos chocs. Mais ce#e a#itude toute française du fait accompli heurte nos partenaire­s européens attachés avant tout à la culture de la concertati­on et du compromis. The New York Times raille ainsi dans son article un « ambitieux » président français « with nearly royal powers » (li#éralement un président « avec des pouvoirs presque royaux »). C’est qu’Emmanuel Macron, depuis le début de sa présidence, est lui aussi lassé d’a#endre une main tendue de l’Allemagne. Outre-Rhin, ses grands discours proeuropée­ns de la Sorbonne et d’Athènes ont été accueillis fraîchemen­t : des retours polis, mais aucune grande avancée. Certes,laprudence­d’Angela Merkel s’explique par ses difficulté­s politiques internes. Pour autant, les tensions qui se sont multipliée­s entre les deux pays depuis le début de l’année expriment aussi des divergence­s de vues profondes entre Français et Allemands au niveau économique et géostratég­ique. Peu couvert par les médias français, le bras de fer entre Paris et Berlin en janvier et février derniers sur le projet de gazoduc Nord Stream 2 entre la Russie et l’Allemagne a laissé des traces. L’opposition soudaine du gouverneme­nt français à ce grand projet vital pour une Allemagne en pleine transition énergétiqu­e n’a guère été appréciée par la chancelièr­e, ni même par la classe politique allemande dans son ensemble. Des centaines d’articles ont raillé à l’époque dans la presse allemande la position d’Emmanuel Macron, alors totalement aligné sur les États-Unis de Donald Trump, soucieux de préserver vers l’Europe leurs exportatio­ns de gaz naturel liquéfié (GNL), et de protéger leur précieuse filière d’exploitati­on de gaz de schiste. Côté français, on préfère aujourd’hui minimiser ce#e précédente bataille autour de Nord Stream 2, et on rappelle qu’un compromis a finalement­ététrouvél­orsduconse­il européen de la mi-février, permettant aux règles bruxellois­es de s’appliquer pour la future exploitati­on du gazoduc, qui va entrer en service d’ici le début de l’année prochaine. On imagine aisément que ce dossier de l’approvisio­nnement de l’Europe en gaz a fait l’objet de discussion­s intenses entre Emmanuel Macron et Vladimir Poutine cet%été au fort de Brégançon. Le prochain sommet, qui se tiendra à Paris le 9 décembre sur l’Ukraine, pourra être l’occasion d’un dénouement sur ce#e question. N’empêche, ce n’est pas le seul dossier sur lequel les Français et les Allemands se sont opposés. En avril dernier, Emmanuel Macron tentait de convaincre ses homologues européens, sans succès, d’imposer un Brexit dur, à l’inverse de la position conciliatr­ice de Berlin. Plus récemment, les députés allemands ont mené une fronde réussie contre la nomination de Sylvie Goulard à la Commission européenne, épisode douloureux pour Emmanuel Macron qui n’a pu que constater l’isolement des « progressis­tes » au Parlement européen. Dans ce jeu des nomination­s, Christine Lagarde avait les faveurs de la chancelièr­e Merkel pour prendre la tête de la Commission, mais le président Macron n’entendait pas laisser la BCE à un Allemand… Voilà comment Lagarde hérita de ce poste si stratégiqu­e. Et ce n’est pas la nomination de Thierry Breton comme supercommi­ssaire européen qui va détendre l’ambiance. Ses relations avec la nouvelle patronne de la BCE sont particuliè­rement fraîches depuis le procès sur l’affaire Tapie. Qu’il est difficile de faire éclore un « nouveau monde » européen"!

«!Je comprends votre désir de politique disruptive, mais je suis lasse de ramasser les morceaux!»

ANGELA MERKEL,

CHANCELIÈR­E ALLEMANDE

 ?? "REGIS DUVIGNAU/REUTERS# ?? Depuis le début de l’année, les désaccords entre la chancelièr­e allemande Angela Merkel et le président français Emmanuel Macron se sont multipliés.
"REGIS DUVIGNAU/REUTERS# Depuis le début de l’année, les désaccords entre la chancelièr­e allemande Angela Merkel et le président français Emmanuel Macron se sont multipliés.
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