La Tribune Hebdomadaire

Le prix interne du carbone, un outil de résilience qui se diffuse dans les entreprise­s

STRATÉGIE Plus de 1!300 sociétés dans le monde attribuent un coût aux émissions de gaz à e"et de serre issues de leurs activités ou projets d’investisse­ment, afin de tenir compte des risques climatique­s. Un prix qui sert parfois à financer des innovation­s

- GIULIETTA GAMBERINI

La pratique croît discrèteme­nt mais fermement. En 2014, seulement 150 entreprise­s mondiales avaient recours à un prix de carbone interne. Elles sont désormais plus de 1!300, selon l’organisati­on britanniqu­e Carbon Disclosure Project (CDP). Ce"e pratique, qui touche tous les secteurs et toutes les zones géographiq­ues, consiste à a"ribuer un coût monétaire aux émissions de carbone d’une activité ou d’un projet, afin d’intégrer la crise climatique dans la stratégie d’entreprise.

Le succès du dispositif va de pair avec « le développem­ent parallèle de réglementa­tions qui, directemen­t ou indirectem­ent, a!ribuent un prix au carbone », explique CDP. Certes, encore seulement 20!% des émissions mondiales de gaz à effet de serre sont couvertes par de telles réglementa­tions, et moins de 5!% d’entre elles ont un prix suffisant pour a"eindre les objectifs de l’accord de Paris, observe la Banque mondiale, dans un rapport publié en 2019. Mais « un nombre croissant de juridictio­ns mettent en"oeuvre ou envisagent de me!re en place une taxe sur le carbone ou un système d’échange de droits d’émission », écrit l’institutio­n. Celle-ci décompte « un total de 57 initiative­s, contre 51 en 2018 » et estime que « ce nombre est appelé à augmenter, conforméme­nt aux engagement­s climatique­s des pays ». S’y ajoute « la pression croissante des actionnair­es et des consommate­urs pour que les sociétés gèrent correcteme­nt les risques liés à la crise climatique », renchérit CDP. En 2018, Standard & Poor’s leur a fourni un nouvel outil d’analyse : les S&P Carbon Price Risk Adjusted Index Series, une série d’indices visant à mesurer la performanc­e des sociétés en tenant compte des prix du carbone prévus en 2030.

UN # PRIX DIRECTEUR $ PUREMENT COMPTABLE

Afin d’assurer leur propre résilience, un nombre croissant d’entreprise­s choisissen­t alors d’anticiper les effets de ces menaces, en développan­t diverses formes de prix internes du carbone en fonction de leurs objectifs et besoins particulie­rs. Dans une étude publiée en 2016, l’associatio­n Entreprise­s pour l’environnem­ent (EpE) et l’Institute for Clima t e E c o n o mi c s (I4CE) en distinguai­ent deux formes principale­s, qui peuvent coexister et sont complément­aires.

Un premier type de prix du carbone interne est le « prix directeur » ou shadow price : purement comptable et plus ou moins contraigna­nt, il est utilisé afin de peser chaque activité et investisse­ment selon des risques réglementa­ires, financiers et de réputation liés à la crise climatique, de les réorienter vers des options moins carbonées et de rassurer investisse­urs et clients. Chez Engie, c’est un tel mécanisme qui « a finalement conduit à la cessation des capacités de développem­ent du charbon fin 2015 » , témoigne son ancien PDG Gérard Mestrallet dans un rapport de la Carbon Pricing Leadership Coalition (CPLC). Grâce à ce coût, entre 2016 et 2018, le pétrochimi­ste brésilien Braskem affirme pour sa%part avoir approuvé 37 projets à meilleur impact carbone, et ainsi évité presque 137!000%tonnes d’émission de CO2. Et l’adoption d’un tel%prix directeur se diffuse dans le secteur financier depuis qu’elle a été recommandé­e par un groupe de tr%vail, la Task Force on Climate-related Financial Disclosure­s (TCFD), parmi%les instrument­s possibles de transparen­ce autour des risques liés au climat. En France, BNP Paribas et%Crédit Agricole ont d’ailleurs un shadow price."

INVESTIR DANS L’EFFICACITÉ ENÉRGÉTIQU­E

Mais lorsque la société veut aller plus loin et utiliser le prix carbone afin de financer sa propre transition, celui-ci peut prendre la forme d’une véritable taxe, payée par chaque activité en fonction de son impact environnem­ental et reversée à des initiative­s et des technologi­es plus propres. Ce"e approche est par exemple adoptée par Société Générale comme par la%Banque Postale. Selon une note publiée par S&P, l’entreprise espagnole du BTP Acciona utilise aussi le prix du carbone interne afin d’investir dans l’efficacité énergétiqu­e, l’innovation bas carbone et les énergies renouvelab­les. Unilever s’en est servi afin de créer un fonds interne qui finance les investisse­ments nécessaire­s pour réduire les émissions de% ses sites. Certaines sociétés vont% jusqu’à mettre en place des marchés d’émissions internes, témoigne encore CDP.

Quant au montant du prix, il peut différer grandement d’une entreprise à l’autre : 15 euros la tonne de CO2 chez Tata Steel, 50 euros chez Michelin, 35 euros chez Danone, selon les exemples cités par CDP. « Les prix internes du carbone rapportés par les entreprise­s sont divers, pouvant varier de 0,3 à 906 dollar(s) la tonne de CO2 équivalent », analyse pour sa part la Banque mondiale. Cependant, note l’établissem­ent, « environ la moitié des entreprise­s qui ont publié leur prix interne du carbone utilisent des montants supérieurs à ceux obligatoir­es dans la juridictio­n où est leur siège ». Il peut d’ailleurs aussi varier à l’intérieur de la même entreprise, selon les zones géographiq­ues, les secteurs ou les horizons temporels : c’est le cas par exemple chez Saint-Gobain, qui applique un montant de 30 euros la tonne aux investisse­ments industriel­s%et de 100 euros aux projets de recherche et développem­ent.

Ces différence­s reflètent la diversité des objectifs, mais également des méthodolog­ies utilisées pour déterminer les coûts. Certaines entreprise­s% anticipent l’évolution des prix% externes, d’autres prennent en%compte les frais associés à la réduction ou à la compensati­on de leurs propres émissions… Et parfois, la somme évolue dans le temps : le constructe­ur%automobile indien Tata Motors et le pétrochimi­ste brésilien Braskem la revoient chaque année en fonction de son efficacité. La banque turque Garanti Bank compte ainsi faire grimper son prix directeur de 5 dollars aujourd’hui jusqu’à 74 dollars dès%2030.%

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