Contre le «!greenwashing!», une liste d’actifs verts qui fait débat
HARMONISATION La Commission européenne prépare une classification d’activités durables pour réorienter les flux financiers et lutter contre l’utilisation abusive du label écologique. La France milite pour l’inclusion du nucléaire, d’autres pour celle du g
Eolien, solaire, hydroélectricité, nucléaire, gaz : qu’est-ce qui est « vert » ou ne l’est pas!? La question agite tous les spécialistes de l’environnement, de l’énergie et de la finance en Europe depuis des mois et la tension est montée d’un cran, à partir de septembre, depuis que des tractations ont lieu en coulisses entre États membres. La Commission européenne a publié en mars 2018 un Plan d’action pour la finance durable destiné à réorienter massivement les flux de capitaux, 1!000 milliards d’euros dans la décennie à venir, vers le financement d’investissements durables et la transition vers une économie bas carbone.
La mesure la plus urgente était d’établir un « langage commun », un système de classification ou"une taxonomie des activités économiques jugées « écologiquement durables » : une demande pressante des investisseurs qui se plaignent de l’absence de standards en matière de green bonds, les obligations vertes.
LES ONG SOUHAITAIENT
UNE TAXONOMIE PLUS NUANCÉE
Les ONG auraient préféré une classification complète, déclinant toutes les nuances du vert, du foncé au clair, jusqu’au « brun », pour plus de" transparence sur les activités les moins durables!; les industriels engagés dans la transition aussi, pour accompagner leur trajectoire.
La Commission a choisi une approche plus binaire qui crée des crispations. « Pour investir dans des projets ayant un impact positif, les investisseurs doivent d’abord savoir ce qui est vert. Le manque de clarté nous fait perdre un temps précieux dans la lu!e contre le changement climatique », avait déclaré en mars dernier le commissaire européen Valdis Dombrovskis.
« La taxonomie contribuera à lutter contre le greenwashing [écoblanchiment ou utilisation abusive du terme « vert », ndlr], qui est aujourd’hui très répandu dans le secteur financier de l’UE », a expliqué en septembre dernier le commissaire, qui reste chargé des services financiers dans la nouvelle Commission, lors de son audition devant le Parlement européen. Ce#e taxonomie « servira de fondement à notre travail sur les normes et les labels, tels qu’un standard des green bonds et un écolabel au niveau de l’UE », a-t-il précisé, soulignant qu’elle serait fondée « sur des preuves scientifiques ». La France a pris position publiquement sur le sujet. « Le nucléaire doit être maintenu dans ce!e taxonomie européenne et considéré comme une énergie indispensable à la lu!e contre le réchauffement climatique », a déclaré le 15 octobre dernier le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire. « Nous en déba!rons avec nos partenaires allemands, mais le Giec et de
nombreux scientifiques sont formels sur la nécessité de recourir au nucléaire pour lutter contre le réchauffement climatique. » Une position réaffirmée le 25 octobre, à la conférence de reconstitution du Fonds vert pour le climat de"l’ONU : il a soutenu « un label écologique européen des produits financiers [qui] devra intégrer l’énergie nucléaire. »
Cet avis est loin de faire l’unanimité. En juin dernier, le Groupe d’experts techniques (TEG) mis en place par la Commission, composé de 35"membres issus de la société civile, des milieux académique, d’affaires et financiers, a publié ses propositions de classification dans un rapport de plus de 400 pages. Analysant un large champ d’activités (énergie, transports, agriculture, industries, technologies, immobilier) et recensant des activités à faible intensité de carbone et d’autres de transition, il a recommandé de ne pas inclure « à ce stade » le nucléaire dans la taxonomie verte, jugeant « impossible de conclure que la chaîne de valeur de l’énergie nucléaire ne porte pas préjudice à d’autres objectifs environnementaux à l’échelle de temps considérée ».
Reflétant l’opinion allemande viscéralement antinucléaire, l’eurodéputé vert Sven Giegold, de passage à Paris, a supplié la France de ne pas nuire à la crédibilité de la future taxonomie en poussant à l’inclusion du nucléaire, le 14 novembre dernier, lors d’une conférence consacrée à la finance durable organisée par l’Autorité des marchés financiers (AMF). Les Allemands ont rallié à ce#e cause les Autrichiens, les Italiens, les Luxembourgeois, les Grecs, les Maltais. « La France n’est pas seule : la République tchèque et d’autres États membres d’Europe de l’Est poussent aussi au nucléaire », indique une source bien au fait des tractations en cours.
UN AMENDEMENT VOTÉ CONTRE L’INCLUSION DU NUCLÉAIRE
Le WWF France fait valoir que la position de la France est incohérente. La propre obligation verte souveraine de l’État a exclu explicitement les activités nucléaires, controversées pour les"investisseurs, dans son document cadre. Même EDF, opérateur de centrales nucléaires, n’inclut pas ces activités dans le périmètre de ses green bonds. Par ailleurs, le label gouvernemental Greenfin (ex-TEEC), attribué à 36"fonds"d’investissement verts représentant 10,5 milliards d’euros d’encours, exclut « l’ensemble de la filière nucléaire ».
La taxonomie a été approuvée en mars par le Parlement européen, qui a voté un amendement contre l’inclusion du nucléaire (« les activités de production d’électricité produisant des déchets non renouvelables »). Le 25 septembre, le Conseil européen, qui regroupe les exécutifs des États membres, l’a à son tour approuvée, amendée. Des « trilogues », réunions tripartites entre le Parlement, le Conseil et la Commission, ont donc commencé. Valdis Dombrovskis espère un accord « d’ici à la fin de l’année ». La Commission voulait une application au moins partielle dès 2020, mais les États membres, soucieux de leurs industries, ont repoussé son entrée en vigueur à la fin 2022.
Ce délai fait craindre à certaines ONG un retour du nucléaire dans la taxonomie, voire du gaz, poussé par l’Allemagne notamment : l’énergie fossile la moins polluante, souvent considérée comme une énergie de transition en remplacement du charbon, aurait sa place dans"un scénario compatible avec l’accord de Paris, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Or, la Commission doit définir des « critères d’examen technique », des seuils quantitatifs et qualitatifs qu’une activité doit respecter pour être considérée comme durable. Le gaz pourrait y entrer sous certaines conditions. Un enjeu de taille pour des acteurs tels qu’Engie, premier éme#eur corporate de green bonds, pour financer sa transition vers un modèle bas carbone."
«!Le nucléaire, une énergie indispensable à la lutte contre le réchau"ement climatique!»
MINISTRE DE L’ÉCONOMIE ET DES FINANCES