Et si Singapour devenait le hub des startups de la finance ?
VITALITÉ La cité-État compte désormais 600 fintech contre moins de 100 en 2016. Beaucoup ciblent les marchés d’Asie du Sud-Est, insu!samment ou très mal bancarisés.
De Noel Quinn, le nouveau patron par intérim d’HSBC, à John Dugan, le président de Citigroup, en passant par Nik Storonsky, directeur général de Revolut, Luiz Be!ega de la fintech brésilienne Creditas ou encore Maxima Zorreguieta, la reine des Pays-Bas… Tout le monde se presse au Fintech Festival de Singapour, qui est devenu en quelques années la grand-messe internationale des startups du monde de la finance, concurrençant directement Money2020, à Las Vegas, l’autre rendez-vous incontournable du secteur, et écrasant la Fintech Week de Hong Kong.
Né en 2016, l’événement, organisé du 11 au 15 novembre dernier, a!endait près de 60"000 visiteurs venus de 130#pays, pour sa quatrième édition. Une affluence telle que le salon s’étend désormais sur six halls du grand parc des expositions, situé à quelques kilomètres de l’aéroport, contre trois halls il y a deux ans. À l’image des plus grands salons de la tech, les participants s’y bousculent pour découvrir# les centaines de stands de startups et grands groupes. Ici et là, des zones de# pitchs, de démonstrations et plusieurs scènes dédiées aux conférences faisant systématiquement salle comble.
LA BANQUE CENTRALE COMME MOTEUR DE L’INNOVATION
Le succès du Fintech Festival, organisé par l’autorité monétaire locale, la Monetary Authority of Singapore (MAS), est loin d’être un hasard. La cité-État, où le secteur financier occupe une place prépondérante, avec une contribution de 13"% au PIB, 200"000 employés et quelque 150#fonds de capital-risque, mène depuis quatre ans une politique très volontariste pour soutenir ses propres fintech et devenir le pays le plus a!ractif en la matière. Le développement de ce!e expertise figure même parmi les axes majeurs du plan gouvernemental Smart Nation. « Smart Nation needs a smart financial center », aime à répéter Ravi Menon, le directeur général de la MAS. Objectif de la mégalopole asiatique"? Conserver son rang de quatrième place financière du monde,
voire rafler la troisième place qu’occupe aujourd’hui Hong Kong, en pleine tourmente, derrière Londres et New York.
Pour y parvenir, la MAS multiplie les initiatives. La mise en place d’une sand
box (ou « bac à sable » réglementaire) est l’une des plus emblématiques. Ce dispositif, que Londres a également instauré, vise à encourager les expérimentations et permet aux jeunes startups du secteur de lancer leurs solutions en bénéficiant d’un cadre réglementaire adapté, évoluant au fur et à mesure de leur développement. DES STARTUPS DYNAMIQUES
En parallèle, l’autorité a mis à la disposition de l’écosystème des jeux de données réelles et a ouvert un espace de coworking géant, le RR80, pour favoriser les échanges et les synergies entre fintech. La MAS a aussi publié des directives relatives à l’adoption du cloud, à la cybersécurité, et prévoit encored’accorder cinq licences bancaires digitales pour faciliter le développement d’acteurs venus d’autres horizons.
Force est de constater que ces efforts commencent à porter leurs fruits. Selon l’Association des fintech de Singapour (SFA), la cité-État dénombre désormais quelque 600 startups de la finance, contre moins de 100 en 2016, mais aussi une trentaine de laboratoires d’innovation de grands groupes financiers. Elle a!irerait également 40"% des fintech fondées en Asean, la# zone économique et politique regroupant dix pays d’Asie du SudEst. Parmi elles, Coda Payments, spécialisée dans les paiements en ligne, la plateforme de prêts aux particuliers Credit Culture ou encore Aspire, qui propose des services financiers aux PME et Deskera, spécialiste de la comptabilité dans le cloud, valorisée 500 millions de dollars. « L’écosystème fintech singapourien est très dynamique. Il y a de plus en plus de startups qui parviennent à a!eindre des stades de développement importants. C’est le cas par exemple de SoCash, qui permet aux utilisateurs de retirer de l’argent directement à la caisse d’un magasin. Nous comptons aussi plusieurs licornes, qui à l’origine ne viennent pas du monde de la fintech mais développent des solutions de
paiement, comme le service de VTC Grab ou encore Razer, une entreprise spécialisée dans l’e-sport », témoigne
Jerry Tay de la SFA.
Les investissements quant à eux grimpent aussi en flèche. Selon Accenture, les fonds investis dans les fintech singapouriennes ont augmenté de près de 70"%, atteignant 735 millions de dollars au cours des neuf premiers mois de l’année 2019, contre 435 millions de dollars sur la même période un an auparavant. À#titre de comparaison, les fintech françaises ont levé 370 millions d’euros sur l’ensemble de l’année 2018, selon le décompte du cabinet KPMG. L’écosystème singapourien, qui reste encore modeste à côté de géants voisins, comme les marchés chinois et indien, s’inscrit néanmoins dans la région du monde la plus dynamique en la matière. « Parmi les 100" fintech les plus prometteuses selon"notre dernier classement Fintech100, 42 se situent en Asie Pacifique. Et sur les dix"premières, sept sont asiatiques », souligne Stéphane Dehaies, associé KPMG France, en charge des banques et des fintech.
Outre le soutien très appuyé du gouvernement, connu pour son approche
interventionniste, l’écosystème fintech singapourien bénéficie d’une étroite collaboration avec les grands groupes financiers. « Parmi nos 350"membres, 20#% sont des banques, des grands groupes asiatiques et des fonds d’investissement », indique Jerry Tay de la SFA. Sur le salon, les plus importantes banques de la place (UOB, DBS et OCBC) disposent de leur propre stand et toutes organisent en parallèle des événements dans leurs locaux, me!ant en avant leurs derniers partenariats et innovations avec les fintech. « Lors de notre dernier appel à candidatures, 700 fintech
issues de 48 pays ont candidaté », se félicite Félix Tan, le directeur de Finlab, un programme d’accélération financé à hauteur de plus de 1 million de dollars par le gouvernement et UOB, me!ant en avant l’a!ractivité du dispositif.
Si l’on devait caricaturer, deux grands types de fintech se développent à Singapour. Les premières visent surtout le marché local, qui ne compte certes que 5,6 millions d’habitants, mais plus de 200 institutions financières, et développent des solutions BtoB destinées à améliorer les procédés actuels des banques. C’est le cas par exemple de MoneyThor qui propose d’améliorer l’engagement de leurs clients, de Dathena, qui permet à une banque de connaître exactement où#se situent ses données sensibles, de Silo, qui met à disposition des établissements financiers des modules d’IA et de blockchain pour accélérer le lancement de nouveaux produits sur le marché, ou encore de Tookitaki qui aide les banques à détecter plus efficacement les transactions frauduleuses.
UN MARCHÉ XXL SOUS"BANCARISÉ
Les autres fintech choisissent Singapour pour son positionnement stratégique en Asie du Sud-Est, un marché composé de 650 millions de per
sonnes. « 70#% de cette population a moins de 40 ans et est donc particulièrement friande de nouvelles technologies. Et chaque année, 12 millions de personnes accèdent à la classe moyenne », souligne un expert de la région. Autre caractéristique clé : la sous-bancarisation de ces habitants.
« Sur la population adulte d’Asie du
Sud-Est, 104 millions de personnes sont bancarisées, 98 millions disposent d’un compte bancaire mais pas d’autres services financiers et 198 millions d’entre elles ne sont tout simplement
pas bancarisées », explique Christian-Laurent Bonte, directeur d’Arc Capital à Singapour.
Outre une ouverture sur ce marché gigantesque, Singapour met en avant plusieurs atouts : de très bonnes infrastructures, un haut niveau de sécurité –!permis par l’omniprésence des caméras de vidéosurveillance ainsi que par une justice très sévère!–, peu d’embouteillages et une!politique fiscale douce avec un!impôt sur les sociétés forfaitaire de 17"%. De quoi transformer la cité-État en véritable rampe de lancement. Ces fintech ont davantage une approche d’inclusion bancaire et développent des services directement!destinés aux particuliers. La plus emblématique est sans aucun doute Grab, valorisée plus de 14 milliards de dollars. Née comme un simple service de VTC, ce#e startup est devenue une « méga-application » et propose de plus un portefeuille digital, des micro-assurances ou encore des prêts pour les PME. Grab, qui n’est pas encore rentable, espère générer 2 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2019.