La Tribune Hebdomadaire

La fintech française rêve de briller à l’internatio­nal

PÉPITES Face aux mastodonte­s américains et asiatiques, les startups tricolores de la finance peinent à exister. La faute à des investisse­ments trop faibles et à l’absence de vaisseau amiral.

- JULIETTE RAYNAL, À SINGAPOUR

Le Royaume-Uni, Israël, le Japon, le Luxembourg, l’Inde, le Canada, la Suisse, mais aussi la France... Les allées du Fintech Festival de Singapour, la grand-messe des startups de la finance qui accueillai­t près de 60!000 participan­ts du 11 au 15 novembre dernier, avaient des airs de compétitio­n internatio­nale : les pays du monde entier ont répondu présent pour tenter de me"re sous le feu des projecteur­s leurs pépites nationales regroupées autour de pavillons plus ou moins imposants.

UN CONDENSÉ DE RENDEZ!VOUS

Pour la France, ce"e présence était une première. « Participer à ce salon est un enjeu de visibilité. Ne pas y être envoie un message négatif », estime Arnaud Caudoux, le directeur général adjoint de Bpifrance, qui y emmenait pour la première fois une délégation de huit fintech tricolores dans le but d’accélérer leur croissance et leur internatio­nalisation grâce à un condensé de rendez-vous organisés avec les établissem­ents financiers de la place, l’autorité de régulation et les fintech locales ainsi que des investisse­urs.

« Aujourd’hui, dans le domaine des fintech, on entend davantage parler de Londres et Berlin que de Paris. Ce qu’il nous manque c’est une néobanque à succès ou un flagship [un vaisseau vaisseau amiral, ndlr], même si Younited Credit [plateforme de crédit à la consommati­on qui a levé 167 millions d’euros depuis sa création en 2010] est proche de ce cap-là », ajoute Matthieu Heslouin, directeur du digital au sein de la Banque publique d’investisse­ment. « Nous n’avons pas de gros acteurs sur les paiements. Nos fintech sont plus pointues mais moins visibles. Elles ont, par ailleurs, été étouffées par un système bancaire redoutable­ment efficace », complète Arnaud Caudoux.

Des propos corroborés par les chiffres. Selon l’édition 2019 du Fintech 100 de KPMG, qui répertorie les 100 startups de$la finance les plus prometeuse­s dans le monde, seules quatre d’entre elles sont françaises (Dether, quoique basée à Gibraltar, Lunchr, Spendesk et Moonshot-Internet), alors que le Royaume-Uni en compte 11, les États-Unis 15, la Chine 10 et l’Inde 8.

« Le classement est élaboré à partir de cinq critères : les montants levés au cours des douze"derniers mois, la proportion des fonds levés par rapport au capital, leur développem­ent géographiq­ue, leur diversité sectoriell­e et leur degré d’innovation, que l’on appelle le facteur X. La force des fintech françaises c’est justement ce facteur X. En revanche, ce qui leur manque c’est la capitalisa­tion et la diversité géographiq­ue », commente Stéphane Dehaies, associé KPMG France, responsabl­e banque et fintech. Pour dépasser ces écueils, l’expert plaide notamment pour un soutien public-privé plus important afin d’animer l’écosystème, citant l’exemple du rôle prépondéra­nt de la banque centrale singapouri­enne, la Monetary Authority of Singapore (MAS), dans le développem­ent des fintech. Preuve de l’importance des régulateur­s dans l’innovation financière, ces derniers avaient pour la première fois une zone qui leur était dédiée lors du salon. « Notre mandat n’est pas le même que celui de la MAS, mais nous sommes un des contribute­urs de l’écosystème en échangeant très régulièrem­ent avec les fintech », explique Olivier F liche, directeur du pôle fintech et innovation del’ Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), adossée à la Banque de France.

EN MANQUE D’ACTEURS DE RÉFÉRENCE

Si les fintech françaises peinent à devenir des acteurs de référence à l’échelle mondiale, certaines gagnent tout de même du terrain en dehors de nos frontières. C’est le cas par exemple de Younited Credit, présente dans trois autres pays européens, tout comme la plateforme de prêts participat­ifs October (ex-Lendix). La fintech Wynd, à cheval entre la distributi­on et le paiement, est quant à elle déjà sur place en Italie, en Espagne, au Portugal, au Maroc, aux Émirats arabes unis, à Hong Kong ainsi qu’en Thaïlande. Shi% Technology, qui entend diffuser l’intelligen­ce artificiel­le dans l’assurance, est peut-être la plus internatio­nalisée, avec des bureaux à Singapour, Hong Kong, Boston, Tokyo, Londres, Madrid, Zurich, Toronto et São Paulo. « Nous sommes une équipe de 18 personnes à Singapour. Depuis ce bureau, nous servons d’autres marchés comme l’Indonésie, la Malaisie et la Thaïlande et nous souhaitons augmenter notre empreinte dans la région », indique Jong Tong Foo, directeur des ventes de Shi% en Asie. Kyriba, spécialist­e de la gestion de trésorerie dans le cloud, a également choisi de s’implanter à Singapour il y a quelques années pour couvrir le sud-est asiatique où elle compte une vingtaine de clients locaux.

PARIER SUR L’ASIE

D’autres fintech tricolores pourraient suivre leurs traces. La startup ICA, dont la solution de big data vise les responsabl­es du risque en banque de financemen­t et d’investisse­ment, s’apprête à s’installer à$ Singapour où elle a déjà séduit une première grande banque, dont le nom reste confidenti­el. D’autres startups de la délégation emmenée par Bpifrance songent à s’y implanter par opportunis­me. « Nous n’envisageon­s pas de nous développer dans ce#e région du monde sur le plan B to C. En revanche, nous voyons certaines opportunit­és sur le plan B to B : nous pourrions me#re à dispositio­n des banques asiatiques notre savoir-faire technologi­que lié à la DSP2 [nouvelle directive européenne relative au paiement] car un équivalent doit s’appliquer à Singapour dès 2020 », confie Charles Egly, cofondateu­r de Younited Credit.

Adina Grigoriu, cofondatri­ce de la fintech niçoise Active Asset Allocation, ressort également confiante de différents rendez-vous avec quelques poids lourds de la finance singapouri­enne, dont DBS, UOB et BOS. « Plusieurs prospects sont très intéressés par notre solution », assure-t-elle. Neo, une fintech créée par des Européens, dont deux Français et spécialist­e des paiements internatio­naux, lorgne également sur Singapour. « Nous parions beaucoup plus sur l’Asie que sur les États-Unis, qui est un

marché complexe où il est nécessaire d’aller chercher des licences dans les différents États. Et, compte tenu de l’actualité, nous préférons Singapour

à Hong Kong"», explique Emmanuel Anton, l’un des cofondateu­rs.

Outre les rendez-vous business, les fintech tricolores de la délégation Bpifrance ont également pu se confronter à leurs concurrent­s étrangers. « L’objectif de les amener à Singapour était aussi qu’elles puissent voir, in situ, la puissance holistique des acteurs asiatiques comme Gojek, qui est ce qu’on appelle une méga

« Plus pointues mais moins visibles, nos fintech ont été étou"ées par un système bancaire redoutable­ment e#cace »

ARNAUD CAUDOUX,

DG ADJOINT DE BPIFRANCE

applicatio­n. Il y a un vrai manque de compréhens­ion de la menace que ces acteurs représente­nt à moyen terme. Car si ces entreprise­s ne prévoient pas de se développer tout de suite en Europe, en raison notamment du RGPD [règlement européen relatif à la protection des données personnell­es], elles le feront un jour. Ce règlement repousse leur arrivée mais ne l’exclut pas », prévient Arnaud Caudoux, de Bpifrance. La Banque publique d’investisse­ment, qui se considère ellemême comme une fintech, profitait du déplacemen­t pour effectuer sa propre veille stratégiqu­e, comprendre les nouvelles tendances du secteur et identifier les acteurs qui pourraient lui perme"re d’accélérer sa propre transforma­tion digitale. « La banque singapouri­enne DBS a été élue meilleure banque du monde. Sa transforma­tion digitale est remarquabl­e. Historique­ment, il s’agissait de la banque publique de développem­ent », souligne avec amusement Ma"hieu Heslouin.$

4 TARTUPS FRANÇAISES DE LA FINANCE CLASSÉES PARMI LES 100 PREMIÈRES MONDIALES, SELON LE PALMARÈS DE KPMG.

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!YOUNITED CREDIT" Les locaux de Younited Credit, à Paris. La plateforme de crédit à la consommati­on songe à s’implanter en Asie.

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