[ Les PME de Nouvelle-Aquitaine misent sur le modèle coopératif ]
«!Quand on passe en Scop, on apprend à défendre ses points de vue tout en acceptant ceux des autres!» SOPHIE HUMBERT, DIRIGEANTE DE LA SCOP O TEMPORA
Et la dimension coopérative ne s’arrête pas aux portes de l’entreprise puisque les Scop ont tendance à davantage échanger entre elles que les entreprises classiques et acceptent de verser chaque mois 0,3!% de leur masse salariale à l’Union sociale des Scop afin de financer des outils spécifiques tels que des prêts participatifs, des interventions en capital, des garanties, des avances de trésorerie ou des crédits-bails. En revanche, l’accès aux levées de fonds et aux investisseurs traditionnels est quasi impossible puisque les Scop n’offrent pas de possibilités de plus-values : les parts sont revendues à leur valeur nominale et les salariés doivent détenir au moins 51!% du capital.
Ces cotisations perme#ent aussi de financer l’accompagnement et la formation proposés par les Unions régionales, parce que la création ou la transformation en Scop ne s’improvise pas. Ce#e décision, qui n’a rien d’anodin aussi bien du point de vue du dirigeant que de celui des salariés-associés, est en général le fruit d’un questionnement assez poussé sur le fonctionnement du monde de l’entreprise. Que le basculement en Scop soit fondé sur des considérations purement pratiques ou sur des convictions idéologiques, il implique toujours d’importantes évolutions sur le plan du management.
UNE APPROPRIATION COLLECTIVE DU PROJET
Associer les salariés au capital de l’entreprise présente notamment des vertus de fidélisation et de remobilisation, mais cela peut aussi créer des frictions sur le rôle de chacun au quotidien, quand la répartition des rôles n’est pas suffisamment établie entre la casque#e d’associé et celle de salarié. «!La Scop ne signifie pas la fin de la hiérarchie. C’est une entreprise, avec une organisation, souvent verticale, et un impératif de rentabilité économique. On dit souvent “tous associés, mais pas tous patrons"!” et c‘est une réalité. Il y a donc un gros travail de pédagogie à mener et il faut absolument prendre le temps de bien comprendre le fonctionnement et les implications des statuts coopératifs » , prévient Marc Amorena.
« Quand on passe en Scop, en tant que dirigeant on y laisse du pouvoir, c’est certain, et ça ne convient pas à tout le monde. Mais on y gagne sur le plan humain et collectif, c’est indéniable. Et on apprend aussi à assumer et défendre ses points de vue tout en acceptant ceux des autres » , témoigne Sophie Humbert, dirigeante de la Scop O Tempora, une agence de conseil de 18%salariés. «!Nous avons deux assemblées générales par an, et le dirigeant est élu pour six ans. Tout cela suppose beaucoup de pédagogie et d’explications des décisions qui peuvent parfois être clivantes » , confirme Bruno Fontan, à la tête de la centaine de salariés d’Aquabio, cabinet d’expertise en milieux aquatiques qu’il a lui-même transformé en Scop. «!Certains voient ces moments de concertation comme un handicap pour l’entreprise, moi, je pense que c’est une manière d’associer tout le monde en amont à la direction de l’entreprise. On ne perd pas forcément du temps, mais on gagne en termes d’adhésion des salariés au projet commun » , poursuit-il.
Ce#e nécessaire appropriation collective de la trajectoire de l’entreprise permet aussi de mieux expliciter et identifier d’éventuelles difficultés. Un gage de sécurité –%notamment pour l’emploi local, puisqu’on voit mal des salariés décider eux-mêmes de délocaliser leurs emplois –, qui n’est cependant en aucun cas une garantie de réussite. Et si l’aspect participatif ne peut se résumer à l’assemblée générale, il suppose cependant une organisation claire pour ne pas devenir un handicap et un frein dans les processus de décision, quelle que soit la taille de l’entreprise ou la nature de son marché. De leur côté, les Scic (sociétés coopératives d’intérêt collectif) portent une approche résolument collective en perme#ant d’ouvrir le capital à des acteurs de toute nature%: salariés, clients, bénévoles, fournisseurs, collectivités territoriales, partenaires privés, associations, etc. Un outil parfait pour s’ancrer fortement au sein d’un territoire donné ou d’une problématique économique et sociale tout en gardant une certaine indépendance de fait. C’est le cas d’Aptic, créée à Bordeaux en 2019, qui oeuvre dans l’inclusion numérique, ou du centre de recherche Nobatek/Inef4, basé à Anglet (Pyrénées-Atlantiques), qui se spécialise dans la transition énergétique dans le bâtiment. «!Nous avons pu monter un fonds de dotation associant 31! mécènes du bâtiment pour porter des réflexions communes de recherche et développement, ce qui aurait été beaucoup plus compliqué si nous avions été une entreprise classique ou une association. La Scic nous positionne différemment vis-à-vis des associés, petits et grands, et cet actionnariat multiple, notamment la présence de la Région Nouvelle Aquitaine, rassure tous nos interlocuteurs » , fait valoir André Falchi, le directeur général. La structure, qui génère 5,4%millions d’euros de chiffre d’affaires, emploie 62%salariés, et son capital réunit 75% associés dont 30%salariés. Le dirigeant assume « un aspect idéologique qui promeut à la fois l’indépendance, la démarche collective et une volonté d’associer les collectivités locales à la vie économique. Je vois cela comme un vrai progrès en matière de coopération public-privé.!»
PROMOUVOIR UNE FORME DE SERVICE PUBLIC PLUS LOCAL
Ce#e logique est même poussée un cran plus loin chez Enercoop Aquitaine, un fournisseur d’électricité issue d’énergies renouvelables et, autant que possible, régionales. Mathilde Plaineau, chargée de vie coopérative, est l’une des six salariés et se positionne clairement sur le terrain du service public : «!Notre objectif est de perme$re aux citoyens et aux collectivités d’être acteurs de la transition énergétique sur leur territoire. La logique de la Scic est donc de promouvoir une nouvelle forme de service public plus local, appartenant plus directement et plus concrètement à tout le monde et laissant plus de place aux citoyens.!» Enercoop Aquitaine, créée en 2014 dans le sillage de la structure nationale, compte 2!000% sociétaires en Aquitaine. Il s’agit à 90!% de particuliers-clients, mais il y a aussi deux collectivités : la mairie de Saint-Aulaye (Dorgogne) et celle de Bègles (Gironde) depuis octobre 2019. Et comme d’autres structures de petite taille, Enercoop a choisi un fonctionnement très horizontal avec des fonctions de direction éclatées. Si cet aspect n’est en rien obligatoire, la pratique coopérative tend à créer un rapport différent au travail et à l’entreprise. «!Dans une Scop, on prend l’habitude de dire ce qu’on pense, il me semble très difficile de revenir à un fonctionnement classique après y avoir goûté!» , conclut Bruno Fontan.