La Tribune Hebdomadaire

[ Les PME de Nouvelle-Aquitaine misent sur le modèle coopératif ]

- PIERRE CHEMINADE

«!Quand on passe en Scop, on apprend à défendre ses points de vue tout en acceptant ceux des autres!» SOPHIE HUMBERT, DIRIGEANTE DE LA SCOP O TEMPORA

Et la dimension coopérativ­e ne s’arrête pas aux portes de l’entreprise puisque les Scop ont tendance à davantage échanger entre elles que les entreprise­s classiques et acceptent de verser chaque mois 0,3!% de leur masse salariale à l’Union sociale des Scop afin de financer des outils spécifique­s tels que des prêts participat­ifs, des interventi­ons en capital, des garanties, des avances de trésorerie ou des crédits-bails. En revanche, l’accès aux levées de fonds et aux investisse­urs traditionn­els est quasi impossible puisque les Scop n’offrent pas de possibilit­és de plus-values : les parts sont revendues à leur valeur nominale et les salariés doivent détenir au moins 51!% du capital.

Ces cotisation­s perme#ent aussi de financer l’accompagne­ment et la formation proposés par les Unions régionales, parce que la création ou la transforma­tion en Scop ne s’improvise pas. Ce#e décision, qui n’a rien d’anodin aussi bien du point de vue du dirigeant que de celui des salariés-associés, est en général le fruit d’un questionne­ment assez poussé sur le fonctionne­ment du monde de l’entreprise. Que le basculemen­t en Scop soit fondé sur des considérat­ions purement pratiques ou sur des conviction­s idéologiqu­es, il implique toujours d’importante­s évolutions sur le plan du management.

UNE APPROPRIAT­ION COLLECTIVE DU PROJET

Associer les salariés au capital de l’entreprise présente notamment des vertus de fidélisati­on et de remobilisa­tion, mais cela peut aussi créer des frictions sur le rôle de chacun au quotidien, quand la répartitio­n des rôles n’est pas suffisamme­nt établie entre la casque#e d’associé et celle de salarié. «!La Scop ne signifie pas la fin de la hiérarchie. C’est une entreprise, avec une organisati­on, souvent verticale, et un impératif de rentabilit­é économique. On dit souvent “tous associés, mais pas tous patrons"!” et c‘est une réalité. Il y a donc un gros travail de pédagogie à mener et il faut absolument prendre le temps de bien comprendre le fonctionne­ment et les implicatio­ns des statuts coopératif­s » , prévient Marc Amorena.

« Quand on passe en Scop, en tant que dirigeant on y laisse du pouvoir, c’est certain, et ça ne convient pas à tout le monde. Mais on y gagne sur le plan humain et collectif, c’est indéniable. Et on apprend aussi à assumer et défendre ses points de vue tout en acceptant ceux des autres » , témoigne Sophie Humbert, dirigeante de la Scop O Tempora, une agence de conseil de 18%salariés. «!Nous avons deux assemblées générales par an, et le dirigeant est élu pour six ans. Tout cela suppose beaucoup de pédagogie et d’explicatio­ns des décisions qui peuvent parfois être clivantes » , confirme Bruno Fontan, à la tête de la centaine de salariés d’Aquabio, cabinet d’expertise en milieux aquatiques qu’il a lui-même transformé en Scop. «!Certains voient ces moments de concertati­on comme un handicap pour l’entreprise, moi, je pense que c’est une manière d’associer tout le monde en amont à la direction de l’entreprise. On ne perd pas forcément du temps, mais on gagne en termes d’adhésion des salariés au projet commun » , poursuit-il.

Ce#e nécessaire appropriat­ion collective de la trajectoir­e de l’entreprise permet aussi de mieux expliciter et identifier d’éventuelle­s difficulté­s. Un gage de sécurité –%notamment pour l’emploi local, puisqu’on voit mal des salariés décider eux-mêmes de délocalise­r leurs emplois –, qui n’est cependant en aucun cas une garantie de réussite. Et si l’aspect participat­if ne peut se résumer à l’assemblée générale, il suppose cependant une organisati­on claire pour ne pas devenir un handicap et un frein dans les processus de décision, quelle que soit la taille de l’entreprise ou la nature de son marché. De leur côté, les Scic (sociétés coopérativ­es d’intérêt collectif) portent une approche résolument collective en perme#ant d’ouvrir le capital à des acteurs de toute nature%: salariés, clients, bénévoles, fournisseu­rs, collectivi­tés territoria­les, partenaire­s privés, associatio­ns, etc. Un outil parfait pour s’ancrer fortement au sein d’un territoire donné ou d’une problémati­que économique et sociale tout en gardant une certaine indépendan­ce de fait. C’est le cas d’Aptic, créée à Bordeaux en 2019, qui oeuvre dans l’inclusion numérique, ou du centre de recherche Nobatek/Inef4, basé à Anglet (Pyrénées-Atlantique­s), qui se spécialise dans la transition énergétiqu­e dans le bâtiment. «!Nous avons pu monter un fonds de dotation associant 31! mécènes du bâtiment pour porter des réflexions communes de recherche et développem­ent, ce qui aurait été beaucoup plus compliqué si nous avions été une entreprise classique ou une associatio­n. La Scic nous positionne différemme­nt vis-à-vis des associés, petits et grands, et cet actionnari­at multiple, notamment la présence de la Région Nouvelle Aquitaine, rassure tous nos interlocut­eurs » , fait valoir André Falchi, le directeur général. La structure, qui génère 5,4%millions d’euros de chiffre d’affaires, emploie 62%salariés, et son capital réunit 75% associés dont 30%salariés. Le dirigeant assume « un aspect idéologiqu­e qui promeut à la fois l’indépendan­ce, la démarche collective et une volonté d’associer les collectivi­tés locales à la vie économique. Je vois cela comme un vrai progrès en matière de coopératio­n public-privé.!»

PROMOUVOIR UNE FORME DE SERVICE PUBLIC PLUS LOCAL

Ce#e logique est même poussée un cran plus loin chez Enercoop Aquitaine, un fournisseu­r d’électricit­é issue d’énergies renouvelab­les et, autant que possible, régionales. Mathilde Plaineau, chargée de vie coopérativ­e, est l’une des six salariés et se positionne clairement sur le terrain du service public : «!Notre objectif est de perme$re aux citoyens et aux collectivi­tés d’être acteurs de la transition énergétiqu­e sur leur territoire. La logique de la Scic est donc de promouvoir une nouvelle forme de service public plus local, appartenan­t plus directemen­t et plus concrèteme­nt à tout le monde et laissant plus de place aux citoyens.!» Enercoop Aquitaine, créée en 2014 dans le sillage de la structure nationale, compte 2!000% sociétaire­s en Aquitaine. Il s’agit à 90!% de particulie­rs-clients, mais il y a aussi deux collectivi­tés : la mairie de Saint-Aulaye (Dorgogne) et celle de Bègles (Gironde) depuis octobre 2019. Et comme d’autres structures de petite taille, Enercoop a choisi un fonctionne­ment très horizontal avec des fonctions de direction éclatées. Si cet aspect n’est en rien obligatoir­e, la pratique coopérativ­e tend à créer un rapport différent au travail et à l’entreprise. «!Dans une Scop, on prend l’habitude de dire ce qu’on pense, il me semble très difficile de revenir à un fonctionne­ment classique après y avoir goûté!» , conclut Bruno Fontan.

 ?? "AQUABIO# ?? TOUS DANS LE MÊME BAIN. Cabinet d’expertise en écologie aquatique, Aquabio a été transformé en Scop par son créateur, qui met en avant l’e!et positif de la concertati­on sur la centaine de salariés associés.
"AQUABIO# TOUS DANS LE MÊME BAIN. Cabinet d’expertise en écologie aquatique, Aquabio a été transformé en Scop par son créateur, qui met en avant l’e!et positif de la concertati­on sur la centaine de salariés associés.

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