La Tribune Hebdomadaire

« Nous avons nos propres usages dans nos pays »

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En deux génération­s, la population de Lagos, capitale économique du Nigeria, a été multipliée par 100, passant de 200!000 personnes à 20 millions d’habitants, selon une étude publiée en 2016 par l’Internatio­nal Institute for Environmen­t and Developmen­t (IIED). Ces proportion­s jamais égalées dans l’histoire de l’urbanisati­on sont caractéris­tiques des villes africaines, faisant ressortir l’impératif de concevoir des modèles propres d’urbanisati­on ou de bien adapter des concepts « importés » – dont les smart cities – aux réalités locales.

Proposée comme solution à l’urbanisati­on rapide et anarchique, la smart city a été imaginée à l’origine pour résoudre les problèmes d’urbanisme et de développem­ent durable des villes de pays développés. Et ce, à travers la conception d’établissem­ents publics écologique­s, l’utilisatio­n de matériaux favorisant l’efficacité énergétiqu­e, le développem­ent du numérique, la création d’emplois, mais aussi au moyen d’innovation­s perme#ant d’améliorer la mobilité, réduire la consommati­on d’énergie, offrir des solutions optimales pour la gestion des déchets et l’assainisse­ment.

En Afrique, tous ces dispositif­s sont à adapter aux besoins locaux. « En termes de challenge, lorsque l’on veut s’inspirer de modèles extérieurs, il est essentiel de garder en tête que nous avons nos propres usages dans nos pays », nous expliquait Ousseynou Nakoulima, alors directeur du départemen­t énergies renouvelab­les de la Banque africaine de développem­ent. La configurat­ion des smart cities doit en effet tenir compte des usages « en particulie­r dans les domaines du social et de la mobilité », ajoutait-il, afin qu’ils puissent s’adapter à la réalité de chaque pays. Pour Raymond Aboki, spécialist­e de l’accompagne­ment des collectivi­tés et de l’aménagemen­t urbain, la smart city devrait surtout proposer « des solutions africaines aux enjeux et problémati­ques africaines ».

Les images promotionn­elles de smart cities futuristes, sous la gestion de tours de contrôle des mégalopole­s, s’appliquera­ient difficilem­ent en Afrique où la conception de villes intelligen­tes apparaît dans un paysage dominé par l’informel. Une urbanisati­on anarchique dans laquelle les pays africains ont la possibilit­é de développer des pôles urbains smart à partir de zéro. Il ne s’agit pas uniquement d’infrastruc­tures, mais également d’une étude des normes culturelle­s et locales pour parvenir à une implémenta­tion efficace des projets, dépassant la vision d’un avenir technologi­que, axée sur les données.

« En Afrique, la smart city doit mettre l’humain au coeur de la cité », considère la Franco-camerounai­se Amélie Essesse, architecte et experte en conservati­on du patrimoine.

En Afrique, terre de disparités sociales, la conception des villes intelligen­tes devra intégrer la dimension de réduction des inégalités, favoriser la mixité sociale, tout en évitant la focalisati­on excessive sur la surveillan­ce de l’espace urbain au risque d’une disruption par rapport aux modes de fonctionne­ment usuels de ces villes. La question de la gestion du foncier est également à placer au coeur du dispositif dans la conception des smart cities pour prévenir les spoliation­s foncières et ses conflits sous-jacents.

OUSSEYNOU NAKOULIMA, DIRECTEUR DE DÉPARTEMEN­T !BAD"

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