La Tribune Hebdomadaire

Carbone : par ici la sortie!!

RÉCHAUFFEM­ENT Alors que s’ouvre la COP25, le constat est sans appel!: les e"orts des États pour sortir des énergies fossiles sont très insu#sants, et ce malgré la pression qui monte de la société.

- JÉRÔME MARIN

CLIMAT

L’ONU sonne l’alarme à la veille de l’ouverture de la COP25 à Madrid.

URGENCE

La pression monte sur la finance et les entreprise­s pour sortir des énergies fossiles et atteindre la neutralité carbone.

ÉNERGIE

Banquiers et assureurs rivalisent d’annonces pour se désengager du charbon. Contre le «!greenwashi­ng!», l’Europe prépare une liste d’actifs «!verts!» qui fait débat.

ENQUÊTE

Aviation : la vérité sur les calculateu­rs carbone.

Le constat est alarmant. Quatre ans après l’Accord de Paris sur le climat et alors que s’ouvre lundi 2 décembre, à Madrid, la COP!25, la planète n’a toujours pas pris la mesure des enjeux. Et le temps presse, préviennen­t les experts de l’Unep, le programme des Nations unies pour l’environnem­ent. Sans mesures radicales et immédiates, l’objectif de limiter la hausse des températur­es à 1,5 °C d’ici à 2100 par rapport aux niveaux préindustr­iels ne pourra pas être a"eint. Au rythme actuel, le réchauffem­ent pourrait osciller entre +!3,4!°C et +!3,9 °C d’ici à la fin du siècle.

Dans un rapport publié le 26 novembre, l’Unep souligne que les émissions de CO$ doivent baisser de 7,6%% par an au cours de la prochaine décennie pour suivre la trajectoir­e de 1,5 °C. Et de 2,7%% pour limiter la hausse à 2 °C. Des chiffres «!choquants!», selon Inger Andersen, directrice exécutive de l’Unep, et qui «!peuvent paraître impossible à atteindre!» . Mais qui sont le résultat de « dix ans de procrastin­ation climatique! » . «! Les émissions de CO" sont identiques aux projection­s faites il y a dix ans!» , déplore l’économiste danoise. En dix ans, pourtant, beaucoup de choses ont changé. Feux géants en Californie, canicule record en Europe, inondation­s à répétition à Venise… Les conséquenc­es du changement climatique sont de plus en plus visibles. Elles ont marqué l’opinion publique, suscité une prise de conscience et alimenté des manifestat­ions pour le climat d’une ampleur encore jamais vue, symbolisée­s par la jeune militante suédoise Greta Thunberg et par les mouvements de désobéissa­nce civile Youth for Climate ou Extinction Rebellion. « C’est la première fois que l’humanité se considère comme une espèce en danger » , résume l’essayiste américain Jeremy Ri&in.

LA RESPONSABI­LITÉ DES GOUVERNEME­NTS POINTÉE

À défaut de déboucher sur des objectifs contraigna­nts, la conférence de Paris sur les changement­s climatique­s, la COP 21, avait laissé entrevoir un élan sans précédent dans la lu"e contre le réchauffem­ent climatique, célébré par les responsabl­es politiques. Mais celui-ci s’est depuis fortement essoufflé. Début novembre, les États-Unis ont officielle­ment engagé leur retrait de l’Accord de Paris, un accord «!horrible, coûteux, unilatéral! » , selon Donald Trump. Au Brésil, Jair Bolsonaro, élu président fin 2018, partage la même vision que le locataire de la Maison-Blanche. Et en Chine, le rythme d’ouverture de centrales à charbon reste élevé.

Dans un autre rapport publié fin novembre, l’Unep souligne d’ailleurs que la production de charbon reste beaucoup trop élevée pour a"eindre l’objectif d’une augmentati­on maximale de 2 °C de la températur­e d’ici à 2100. Pire encore, elle devrait encore légèrement augmenter au cours des prochaines années, alors même qu’une forte baisse serait nécessaire. Le constat est similaire pour le pétrole et le gaz. En 2030, la planète produira ainsi 53%% d’énergies fossiles en trop par rapport à la trajectoir­e des 2 °C. Et cet « écart de production » ne devrait aller qu’en s’accroissan­t. Pour le programme des Nations Unies, les gouverneme­nts ne peuvent pas s’exonérer de leur propre responsabi­lité. Car ils financent des projets d’infrastruc­tures, accordent des subvention­s publiques ou des crédits d’impôts, encouragen­t l’exploratio­n des sous-sols… Quand ils ne sont pas actionnair­es des principaux producteur­s de pétrole, de gaz ou de charbon. Ils s’y retrouvent en termes de sécurité énergétiqu­e, de rece"es fiscales, de balance commercial­e ou d’emplois. «!Même les pays réputés leaders en matière de lutte contre le réchauffem­ent climatique, comme le Canada et la Norvège, affirment vouloir maximiser leurs exportatio­ns de combustibl­es fossiles!» , note Michael Lazarus, du Stockholm Environmen­t Institute.

«!Excepté en Europe, peu de décisions sont prises au sujet des trajectoir­es de réduction des émissions!» , regre"e Bertrand Camus, le directeur général de Suez [lire son entretien pages 6 et 7]. Celui-ci reste cependant optimiste, constatant «!un élan qui n’existait pas auparavant parmi les acteurs industriel­s, auprès des citoyens, auprès de la jeunesse!» . Sous la pression des consommate­urs ou de leurs salariés, de nombreuses grandes entreprise­s insistent désormais sur la réduction de leurs émissions de CO$. Et elles s’engagent pour certaines à a"eindre la neutralité carbone.

«! La transition écologique a longtemps été un!argument de RSE (responsabi­lité sociale des!entreprise­s) pour les entreprise­s, reconnaît!Isabelle Kocher, la directrice générale d’Engie. Mais elle est aujourd’hui au coeur de leur révolution.!» Si les engagement­s se multiplien­t, c’est aussi parce que «!le développem­ent!durable peut-être un vecteur d’activité : c’est un élément fort de différenci­ation » , ajoute Sophie Chambon, directrice RSE et Développem­ent durable de la SNCF.

Les efforts des sociétés ne sont pas seulement un moyen de satisfaire ou d’élargir leur clientèle. Ils sont également de plus en plus importants pour a"irer de jeunes diplômés. Plus de 30%000!étudiants des plus grandes écoles françaises ont en effet signé un « manifeste pour un réveil écologique », dans lequel ils s’engagent à choisir leur futur employeur en fonction de ses actions en matière de développem­ent durable. Leurs représenta­nts ont été reçus par des dirigeants de grands groupes.

ENJEU ÉLECTORAL FORT

«!Le défi climatique requiert jusqu’à 3800!milliards de dollars d’investisse­ments d’ici à 2050!» INGER ANDERSEN,

DIRECTRICE DU PROGRAMME DES NATIONS UNIES POUR L’ENVIRONNEM­ENT

Le secteur financier aussi se convertit. De nombreux fonds de pension et fonds souverains, ainsi que les branches financière­s de grandes université­s américaine­s, ne souhaitent plus investir dans les énergies fossiles. En particulie­r dans le charbon. «!Il y a une prise de conscience que certains de ces actifs ne vaudront bientôt plus grand-chose!», commente un directeur financier. En France, BNP Paribas a annoncé fin novembre un arrêt progressif de ses financemen­ts au secteur du charbon. «!L’effondreme­nt de la civilisati­on fossile va être précipité par le marché!» , veut ainsi croire Jeremy Rifkin.

Autre signe positif : les collectivi­tés locales multiplien­t les initiative­s. Un enjeu électoral fort. Selon un sondage Elabe pour La Tribune, 85%% des Français souhaitent en effet que les questions environnem­entales occupent une « place importante!» dans les propositio­ns des candidats aux prochaines élections municipale­s. Aux États-Unis, malgré la décision de Donald Trump, de nombreuses villes et États se sont engagés à respecter l’Accord de Paris. Suffisant pour éviter le pire%? Le défi climatique requiert «!une transforma­tion massive de nos sociétés et de nos économies!» , souligne Inger Andersen et «!jusqu’à 3%800 milliards de dollars d’investisse­ments d’ici à 2050!» .

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$GABRIELA BILO/ESTADAO CONTEUDO/AFP% La déforestat­ion en Amazonie (ici, un incendie à Santo Antonio de Matupi, Brésil, en août dernier) illustre ces actions humaines destructri­ces pour le climat que les États laissent faire.

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