La Tribune Hebdomadaire

Le coup de gueule de François Hommeril, le patron du syndicat des cadres

ENTRETIEN Assurance-chômage, «!gilets jaunes!», paritarism­e... Avec son regard de franc-tireur, le dirigeant du syndicat des cadres critique sans détour la politique sociale d’un gouverneme­nt confronté à un mouvement de grève de grande ampleur.

- PROPOS RECUEILLIS PAR GRÉGOIRE NORMAND

ENTRETIEN « Le projet de Macron est de casser la retraite par répartitio­n!», accuse le dirigeant de la CFE-CGC.

LA TRIBUNE – Pourquoi la CFE-CGC a-t-elle décidé de rejoindre le mouvement du 5 décembre après être restée en retrait!?

FRANÇOIS HOMMERIL – Nous avons eu un comité directeur composé de 16!présidents de fédération­s à la fin du mois d’octobre. J’ai proposé à ce moment-là que l’on refasse une analyse très critique du projet de réforme des retraites. Depuis le 22 octobre, la journée du 5 décembre a pris de l’ampleur. La base de notre syndicat est devenue très sensible à ce fait de société. C’est le terrain qui a mis sous pression les fédération­s. Celles-ci sont venues s’exprimer à l’occasion d’un comité confédéral. La confédérat­ion a noté dans sa délibérati­on que le syndicat se joindrait au mouvement. Nous n’avons pas lancé un appel à la manifestat­ion comme d’autres l’ont fait mais nous avons laissé aux fédération­s le choix d’appeler à se mobiliser le 5 décembre. Plusieurs fédération­s comme le transport, l’aérien, les énergies, la culture et communicat­ion ont décidé de mobiliser leurs militants. D’autres non. La CFE-CGC est une organisati­on démocratiq­ue qui suit les décisions prises dans les instances qui constituen­t et régulent notre organisati­on.

Que reprochez-vous précisémen­t au projet de réforme du gouverneme­nt!?

Au départ, le gouverneme­nt a utilisé le slogan « 1 euro cotisé vaut 1 euro de retraite ». En réalité, l’objectif de l’exécutif est la captation des réserves accumulées par les salariés pour pouvoir financer principale­ment l’évolution du régime des fonctionna­ires mais peut être aussi l’évolution du régime général dans lequel l’État a des responsabi­lités importante­s en termes de gestion. L’État ne tient pas ses engagement­s en matière de retraites. Il veut faire payer les partenaire­s sociaux et les salariés des régimes qui ont accumulé des réserves pour faire face aux déséquilib­res démographi­ques.

Il veut également faire payer la convergenc­e des systèmes pour transforme­r les retraites en une annexe du budget et le traiter comme le budget de la Sécurité sociale qui est géré de manière catastroph­ique. Il veut en faire un auxiliaire de gestion des deniers publics. Il veut s’approprier cet argent alors que ces sommes sont des cotisation­s prélevées sur les salaires, les revenus, l’activité. Il veut simplement mettre la main sur de l’argent qui n’est pas le sien. Il veut faire peser un risque énorme sur le niveau des pensions. Le projet est de casser définitive­ment ce"e partie du modèle social français qui est la retraite par répartitio­n.

Pourquoi n’avez-vous pas profité du début des concertati­ons il y a deux ans pour manifester plus clairement votre désaccord!?

Au début, nous sommes entrés dans la concertati­on en avançant nos arguments. Même si nous n’étions pas opposés au principe de la retraite par points, ce système entraînait un certain nombre de désagrémen­ts et de déséquilib­res. Dans le dispositif à venir, il y aura forcément des gagnants et des perdants. La première phase de concertati­on a permis de poser les arguments et de discuter, mais la deuxième phase correspond à une concertati­on sans négociatio­n. Le gouverneme­nt avance l’idée que rien n’est décidé. Je préfère que l’on vienne vers moi en m’expliquant ce qui est décidé et les éléments sur lesquels on peut négocier mais les choses ne sont pas claires.

À quel moment le gouverneme­nt a-t-il changé de position selon vous!?

Le masque est tombé au moment où le gouverneme­nt a affiché son obstinatio­n afin d’obtenir un régime équilibré en 2025. Cet objectif n’a aucun sens dans un régime par répartitio­n. Ce régime est forcément en déséquilib­re en raison des évolutions démographi­ques. Dans un régime par répartitio­n, on doit anticiper sur vingt ans. Une population reste en moyenne vingt ans à la retraite. Sur ce point, les dernières projection­s du Conseil d’orientatio­n des retraites n’ont pas bougé. Les dernières remarques de Richard Ferrand sont scandaleus­es. Dire qu’il faut absolument partir sur de bonnes bases et avoir un régime équilibré en 2025 est complèteme­nt faux. Ces paroles contribuen­t à jeter un discrédit définitif contre ce type de classe politique. Les problèmes générés par la crise de 2008 ont été réglés par la réforme de Marisol Touraine. L’État ne prend pas ses responsabi­lités. Il décide de l’exonératio­n de cotisation­s et ne les compense pas. Il met en péril le régime général et il ne remplit pas ses obligation­s relatives au régime des fonctionna­ires.

Vous avez appelé le gouverneme­nt à la négociatio­n ces derniers jours. Pensez-vous qu’il a durci sa position sur le sujet des retraites!?

Non, l’exécutif avance masqué. Par ailleurs, il n’est pas dans la nature d’une organisati­on syndicale de négocier avec le gouverneme­nt. Le gouverneme­nt est là pour respecter les syndicats et les corps intermédia­ires en mettant en place un cadre dans lequel les partenaire­s sociaux vont négocier entre eux. Le gouverneme­nt triche en permanence en ramenant à lui des prérogativ­es qui ne sont pas de son ressort. L’intelligen­ce n’est pas seulement dans le camp gouverneme­ntal. Elle est dans le milieu universita­ire, les corps intermédia­ires. C’est une question de démocratie et aujourd’hui elle n’est pas respectée.

Avez-vous le sentiment d’être écouté!?

Non, le pouvoir exécutif est dans une stratégie de propagande. Ce qui se passe actuelleme­nt sur les réseaux sociaux est révoltant. Le gouverneme­nt dénonce les injustices mais les chiffres qui sont avancés sur les réseaux sociaux par l’exécutif concernant les chauffeurs de la RATP par exemple sont faux.

«!L’objectif de l’exécutif est la captation des réserves accumulées par les salariés pour pouvoir financer principale­ment l’évolution du régime des fonctionna­ires!»

La population des cadres est très hétérogène. Il peut s’agir du jeune cadre débutant récemment diplômé de Supaero, l’Institut supérieur de l’aéronautiq­ue et de l’espace, ou le cadre de chez Renault qui a commencé comme ouvrier. Il peut y avoir plusieurs types de conséquenc­es avec des cadres qui sont au-dessus du plafond de la Sécurité sociale. Comme JeanPaul Delevoye l’a lui-même avoué, il faut dans ce!e réforme mobiliser plus de solidarité. Au moment où cette phrase est prononcée, on sait qu’il y a des gens qui devront contribuer plus pour recevoir moins. On peut s’imaginer que ce sont les cadres qui pourraient être mis à contributi­on.

Êtes-vous pour ou contre un système par points!?

Notre organisati­on n’est pas contre un système par points. Nous avons été à l’origine en 1946 du régime par points de l’Agirc qui a permis par extension de faire l’Arrco et les retraites complément­aires. Dans le régime par points, il y a une contributi­on à la solidarité. Ce!e contributi­on est maîtrisée par les partenaire­s sociaux qui définissen­t eux-mêmes les paramètres. Dès l’instant qu’il y a des droits familiaux, il y a de la solidarité pour financer ces droits. Le gouverneme­nt nous promet une dégradatio­n des pensions exactement comme il a géré la dégradatio­n des fonds de la santé et le financemen­t de l’hôpital en isolant les budgets. Il y a un paradoxe absolu. La France qui était considérée comme précurseur en termes de prise en charge des soins il y a trente ans, est aujourd’hui le pays où la charge rapportée au PIB est l’une des plus faibles de l’OCDE. Elle est même inférieure à celle des ÉtatsUnis. Il y a eu une volonté de détruire l’excellence du système de soins français. Si la retraite est gérée de la même manière, on va à la catastroph­e.

Quel regard portez-vous sur le dernier rapport du conseil d’orientatio­n des retraites présenté en novembre!?

Les prévisions n’ont pas vraiment changé par rapport à celui du mois de juin. En revanche, je trouve que rassembler dans une même instance, des profils qui sont politiques et des scientifiq­ues est très délicat.

Quelle serait une réforme acceptable selon vous!?

Il n’y a pas de réforme acceptable par principe. Le système doit évoluer et il évolue. Il y a eu cinq réformes sur les retraites depuis 1993. La plus structuran­te est celle de 1993. Elle n’a pas été motivée par l’allongemen­t de la durée de l’espérance de vie. Il"faut rappeler que l’espérance de vie a principale­ment augmenté durant les années 1970 à 1990 par la baisse de la mortalité infantile et moins par sa hausse à partir de 60" ans même si ça y contribue. Aujourd’hui, on assiste à un retour en arrière. La société actuelle a bien compris que l’on a désormais dans sa vie d’adulte deux périodes. Je ne vois pas pourquoi on régressera­it."Dire aux personnes qu’il faudra travailler jusqu’à 65"ans parce que l’espérance de vie a augmenté n’a aucun sens. L’espérance de vie"lorsque les gens ont 65 ans est extrêmemen­t variable. Ce système pourrait générer des injustices énormes. En plus, il est injustifié sur le plan économique.

Sur l’assurance-chômage, pourquoi les négociatio­ns entre partenaire­s sociaux en février dernier ont-elles échoué!?

Le gouverneme­nt a mis en place un cadre impossible à respecter. Du côté des partenaire­s sociaux, je ne suis pas complèteme­nt satisfait de ce que l’on a produit. Notre capacité à générer du consensus est restée intacte. En revanche, on aurait pu produire un schéma politique plus incisif et plus visible à l’égard de la population.

Que pensez-vous de cette profonde transforma­tion de l’assurance-chômage!?

En prétendant lu!er contre le chômage, le gouverneme­nt lu!e contre les chômeurs. En prenant en compte les contributi­ons, les cotisation­s et les allocation­s versées, le régime de l’assurance-chômage est excédentai­re depuis vingt ans. L’État a creusé la dette de ce système assurantie­l en imposant le financemen­t de Pôle emploi, les 500 millions d’euros des frontalier­s. Tout ce qui a été dit sur le sujet est mensonger. Le vrai problème du chômage en France est que demandeurs d’emploi souhaitant travailler ne sont pas pris en charge dans les dispositif­s qui permettrai­ent leur réinsertio­n. Il y a un marché de dupes sur la question des emplois non pourvus et sous certains aspects c’est une bonne chose. Ce n’est pas normal que les gens travaillen­t et ne gagnent pas suffisamme­nt pour vivre. On connaît tous des gens qui ont accepté un"emploi parce qu’il faut travailler et se sont retrouvés à perdre de l’argent à la fin du mois. J’estime que dans un pays comme la France, ces"emplois ne sont pas dignes. Je n’ai pas envie que demain Ken Loach fasse un film sur la France...

Les entreprise­s d’au moins 11 salariés doivent mettre en place le nouveau Comité social et économique avant le 31 décembre et beaucoup ne l’ont pas encore mis en place. Que pensez-vous de cette nouvelle instance représenta­tive!? Comment expliquez-vous un tel retard dans sa mise en place!?

C’est un fiasco total et attendu. La CFE-CGC s’y était opposée dès le début. Rien ne fonctionne. Le gouverneme­nt a voulu casser ce qui fonctionna­it. Les différente­s instances sont nées à un moment précis de l’histoire sociale du pays. Chacune avait sa fonction et sa raison d’être. Je viens de l’industrie et dans les CHSCT, il y avait des personnes dans tous les syndicats qui avaient le coeur à représente­r leurs collègues dans des instances dédiées spécifique­s. Les directions comptaient beaucoup sur ces instances pour faire progresser certains sujets. Dans mon expérience d’ingénieur dans l’industrie chimique, la direction ne m’aurait pas pardonné d’avoir raté une réunion du CHSCT. Le gouverneme­nt par méconnaiss­ance absolue du monde du travail a appliqué une réforme totalement idéologiqu­e pour diminuer les droits de représenta­tion des salariés. Aujourd’hui, les meilleurs avocats pour un retour aux anciens dispositif­s sont les directeurs des ressources humaines. Ils n’arrivent pas à faire fonctionne­r les nouvelles instances. Par ailleurs, la fusion était déjà disponible par la négociatio­n d’entreprise. Beaucoup d’entreprise­s de taille moyenne auraient été capables en bonne intelligen­ce de trouver les moyens de s’adapter pour me!re en place une bonne représenta­tion et"faire face à une pénurie de candidats. Les a c t e urs s ur le terrain"auraient pu trouver les moyens de générer une fusion partielle ou totale adaptée à leur entreprise.

Certains observateu­rs parlent d’une « dérive idéologiqu­e » de la CFE-CGC avec l’abandon d’une position réformiste. Que leur répondez-vous!?

Ces personnes sont les représenta­nts du néolibéral­isme depuis des années. Au moment où j’ai été élu à la tête de l’organisati­on en juin 2016, j’ai fait l’effort d’emmener mon organisati­on en dehors de la case réformiste. Je pense que c’est une case politique. Les syndicats identifiés comme réformiste­s aux yeux des politiques sont des organisati­ons considérée­s comme accompagna­trices des réformes. Je suis le président d’un syndicat indépendan­t et libre. Il reste attaché à l’esprit de réforme et l’a toujours été historique­ment. La CFE-CGC fait toujours des propositio­ns et nous sommes toujours autour de la table en évitant la contestati­on stérile. Après trente"ans de dérive néolibéral­e, il faut réexaminer ce terme de réformiste. Aujourd’hui, cette notion a pris un sens très différent par rapport aux années 1980 et 1990.

Quel est l’avenir du paritarism­e en France!?

Si je m’arrête à la volonté du gouverneme­nt de tout casser, le paritarism­e n’a pas d’avenir. En revanche, s’il existe à nouveau une forme démocratiq­ue de consultati­on et de réforme, le paritarism­e aura un avenir.

La crise des «"gilets jaunes"» est-elle terminée!?

La société française est actuelleme­nt sous pression. Dans les rangs des «"gilets jaunes"» au départ, il y avait beaucoup de petits chefs d’entreprise, des artisans, des infirmière­s libérales et peu de salariés. Le gouverneme­nt n’a cessé de répéter que"les syndicats ont été disqualifi­és. Or les organisati­ons syndicales des"salariés ne sont pas sur le même terrain que les «"gilets jaunes"». Il y avait peu de salariés du secteur industriel sur les ronds-points. Ce sont des domaines où l’activité syndicale produit de la norme et de l’équilibre social.

Êtes-vous pour un système de cogestion dans les entreprise­s sur le modèle suédois!?

« En prétendant lutter contre le chômage, le gouverneme­nt lutte contre les chômeurs » «!Dans les entreprise­s, le nouveau Comité social et économique est un fiasco total et attendu. La CFE-CGC s’y était opposée dès le début. Rien ne fonctionne »

Je ne pense pas qu’un tel système puisse fonctionne­r en France sauf dans un cadre où la cogestion est définie de manière claire. La cogestion ou le réformisme a un sens nébuleux actuelleme­nt. À la CFE-CGC, nous sommes favorables à une meilleure représenta­tion des salariés dans les conseils d’administra­tion mais ce n’est pas de la cogestion. La cogestion à l’allemande correspond à la présence des syndicats dans les instances de gouvernanc­e et de direction. Je préfère que les relations soient contractua­lisées à l’intérieur de l’entreprise.

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 ?? "XAVIER RENAULD# ?? François Hommeril craint que le projet de réforme des retraites mette les cadres fortement à contributi­on.
"XAVIER RENAULD# François Hommeril craint que le projet de réforme des retraites mette les cadres fortement à contributi­on.
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Une manifestat­ion de retraités à Paris, en septembre dernier. Selon François Hommeril, « on va à la catastroph­e » si la retraite est gérée par le gouverneme­nt de la même manière que le système de soins français.
"ROMUALD MEIGNEUX/SIPA# En quoi la réforme des retraites seraitelle défavorabl­e aux cadres!? Une manifestat­ion de retraités à Paris, en septembre dernier. Selon François Hommeril, « on va à la catastroph­e » si la retraite est gérée par le gouverneme­nt de la même manière que le système de soins français.

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