La Tribune Hebdomadaire

La nouvelle guerre froide n’est pas forcément celle que l’on croit

-

GÉOPOLITIQ­UE

Sur le front internatio­nal, Emmanuel Macron surprend son monde. Multiplian­t les formules chocs, il tente de bousculer le petit village des relations internatio­nales, notamment les diplomates et leurs oeillères si confortabl­es. Fin août, lors de son discours aux ambassadeu­rs, il avait stigmatisé « l’État profond » qui régnerait au Quai d’Orsay, et qui résisterai­t à tout rapprochem­ent avec la Russie de Vladimir Poutine. Étrange victimisat­ion publique de la part d’un chef d’État qui fait part ouvertemen­t de son impuissanc­e à transforme­r en profondeur l’administra­tion diplomatiq­ue. Doublement étrange, car cette formule, celle de « l’État profond », est utilisée régulièrem­ent par Donald Trump et ses partisans face à l’establishm­ent de Washington, et face au Pentagone et aux services de renseignem­ent. Reste qu’aux États-Unis, le « complexe militaro-industriel » existe bel et bien, et a naturellem­ent tendance à s’autonomise­r des responsabl­es élus. En pleine guerre froide, le président Eisenhower, héros de guerre, décriait à raison ce véritable lobby d’État alors hostile à toute détente vis-à-vis du bloc soviétique. On est bien loin de ce!e situation en France. Au cours de sa campagne, Emmanuel Macron avait annoncé la couleur. Dans ses discours, il affirmait vouloir tourner la page du « néoconserv­atisme », et assumait se placer dans une logique«gaullomi!errandienn­e ». Dans son livre Révolution, il consacrait un chapitre aux relations internatio­nales, dans lequel il critiquait­l’ interventi­onnisme militaire au nom de considérat­ions humanitair­es, tirant notamment les leçons du fiasco de l’après-guerre en Libye. Il annonçait aussi vouloir rétablir un dialogue avec la Russie. Dans son interview choc à The Economist, dans laquelle il constate « la mort cérébrale de l’Otan », Emmanuel Macron propose un diagnostic sans concession de la nouvelle donne. Constatant le désengagem­ent américain vis-àvis de l’Europe, il souligne « l’effondreme­nt du bloc occidental ». C’est pourquoi il exhorte ses partenaire­s à assumer l’établissem­ent d’une « Europe puissance » pour assurer leur autonomie stratégiqu­e et leur sécurité : « Vous devez réinternal­iser votre politique de voisinage, vous ne pouvez pas la laisser gérer par des tiers qui n’ont pas les mêmes intérêts que vous. » Ajoutant : « Je pense que l’Europe ne sera respectée que si elle-même a une réflexion en termes de souveraine­té. »

Contrairem­ent à de nombreux acteurs – diplomates, journalist­es, intellectu­els – qui n’ont pas mis à jour leurs cartes mentales dès qu’il s’agit de relations internatio­nales, Emmanuel Macron prend en compte l’actuel renverseme­nt du monde. Dans la guerre froide opposant l’ex-URSS et le « bloc occidental », l’Europe était au coeur du choc. Aujourd’hui, c’est l’Asie qui se retrouve au centre du jeu, tant au niveau économique que d’un point de vue géopolitiq­ue, à travers la guerre commercial­e entre la Chine et les États-Unis, pouvant amener à une marginalis­ation de l’Europe. Dans ce contexte, les défenseurs du « bloc occidental » comme les tenants du « gaullo-mitterandi­sme », deux écoles du Quai d’Orsay, sont aveugles aux menaces croissante­s qui visent le Vieux Continent. N’oublions pas que durant la guerre froide, les « conflits périphériq­ues » se multipliai­ent en Asie ou en Afrique, et justement, l’Europe est bien en train de devenir la périphérie du monde… Alors, face à l’émergence chinoise, Emmanuel Macron propose à la Russie de « rétablir une politique d’équilibre avec l’Europe ». À The Economist, il présente sa stratégie avec un brin de malice : « Je regarde les plans de table qui sont faits dans les réunions pour la nouvelle route de la soie, et le Président russe est de moins en moins près du Président Xi Jinping. Il voit les choses qui changent et je ne suis pas sûr que ça lui plaise. […] Je ne crois pas une seule seconde que sa stratégie soit d’être le vassal de la Chine. »

Il dévoile aussi sa volonté de ne pas laisser aux Chinois le monopole technologi­que sur le développem­ent de la 5G en Europe, au nom de la protection des données : « Pendant des années, on a délégué aux opérateurs de télécommun­ications des choix souverains, des sujets d’intérêt général qui ne peuvent pas être gérés par les entreprise­s. » En privé, Emmanuel Macron ne cesse de dénoncer « les réseaux pro-chinois en France », et s’est fortement opposé à ce que les opérateurs Free et SFR équipent leur prochain réseau 5G avec du matériel du géant Huawei, au grand dam de Patrick Drahi et de Xavier Niel, toujours soucieux de réduire leurs coûts. Le chef de l’État est également a!entif au projet chinois des routes de la soie, qui vise à perme!re à la Chine de mieux contrôler les points d’entrée avec ses clients (lire aussi page#7). Dans ce contexte, qu’en sera-t-il de l’industrie nucléaire, un domaine dans lequel Chinois et Français ont appris à coopérer depuis quarante ans#?$

«!Je ne crois pas une seule seconde que la stratégie du Président russe soit d’être le vassal de la Chine!» EMMANUEL MACRON,

PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

 ?? "STEPHANE DE SAKUTIN/POOL/AFP# ?? Face à l’émergence chinoise, Emmanuel Macron souhaite rétablir le dialogue avec la Russie
"STEPHANE DE SAKUTIN/POOL/AFP# Face à l’émergence chinoise, Emmanuel Macron souhaite rétablir le dialogue avec la Russie
 ?? PAR MARC ENDEWELD ??
PAR MARC ENDEWELD

Newspapers in French

Newspapers from France