La Tribune Hebdomadaire

«!Je demande à Édouard Philippe qu’il appuie sur le bouton “pause” du processus d’adoption du projet de loi!»

ENTRETIEN Fermement opposé à la réforme des retraites, le dirigeant de FO veut maintenir la pression sur le gouverneme­nt malgré les concession­s d’Édouard Philippe, après plus de 40 jours de conflit.

- PROPOS RECUEILLIS PAR GRÉGOIRE!NORMAND

Le secrétaire général de FO, Yves Veyrier, fustige le régime unique par points malgré les concession­s du gouverneme­nt.

LA TRIBUNE – Avec le retrait provisoire de l’âge pivot, la réforme des retraites devientell­e acceptable"?

YVES VEYRIER – La question de l’âge pivot est intrinsèqu­e au régime unique par points, du fait que l’État, en dernier ressort, peut jouer sur la valeur du point et son rendement. Si, avec ces paramètres, la pension n’est pas au niveau qui garantit une retraite correcte, les gens n’auront pas d’autre choix que de continuer à travailler pour accumuler plus de points. Avec ce régime unique par points, j’ai déjà dit que cet âge de 62!ans risquait fort de devenir virtuel. Le régime unique par points est presque un âge pivot permanent.

Pourquoi le gouverneme­nt a-t-il voulu maintenir à tout prix cet âge pivot pendant des semaines malgré les multiples opposition­s"?

Le gouverneme­nt a ajouté un âge pivot, car il veut aller plus vite sur les économies à réaliser que ce que permettra le régime unique par points. Ce que proposait le gouverneme­nt était l’entrée en vigueur de l’âge pivot dès 2022, y compris dans le système actuel. Pour l’exécutif, c’est une façon d’agir plus rapidement sur les économies à réaliser en contraigna­nt les salariés, soit à subir un malus sur leur pension, soit à demeurer en activité. Le retrait de l’âge pivot signifie que ce sera moins violent immédiatem­ent, mais ça ne change pas la nature du régime unique par points. D’ailleurs, le Premier ministre confirme dans sa le"re qu’il y aura bien un âge d’équilibre in fine.

Quelle aurait dû être la méthode pour une sortie de crise"?

On aurait pu éviter ce"e situation de conflit si on avait pris la peine de se mettre autour d’une table. L’équilibre et l’avenir de nos retraites, y compris en y intégrant la hausse de l’espérance de vie et le rapport entre actifs et cotisants, demande, selon nous, en premier lieu, d’assurer pour chacun un véritable emploi à temps plein et à durée pérenne dès l’entrée dans la vie active et jusqu’à la retraite. Cela pose la question de l’emploi des jeunes avec l’allongemen­t de la durée des stages, qui ne sont pas pris en compte dans le calcul des droits à la retraite. Il y a aussi la question des bas salaires, qui touchent plus souvent les femmes. L’emploi des seniors est également déterminan­t. Comment faire en sorte que les entreprise­s maintienne­nt en emploi des salariés au-delà de 55!ans#? Il y a beaucoup de chantiers.

Par ailleurs, le gouverneme­nt ne cesse de brandir les 14!points de PIB que représente­nt les dépenses pour les retraites. Je veux rappeler que les aides publiques pour les entreprise­s, qui sont censées favoriser l’emploi, représente­nt 140 milliards d’euros chaque année. Je pense que l’on pourrait travailler à l’évaluation, à la mise sous condition et peut-être à une réorientat­ion de ces aides publiques et allègement­s de cotisation­s, qui pourraient être plus efficaces, surtout lorsqu’elles concernent les entreprise­s multinatio­nales cotées en

Bourse. Elles pourraient être réorientée­s en faveur de l’équilibre des systèmes de protection sociale sous la forme d’une hausse des contributi­ons.

Êtes-vous favorable à la conférence pour le financemen­t proposée par la CFDT"?

C’est une façon pour la CFDT de trouver une alternativ­e à la question de l’âge pivot. J’ai déjà dit que je n’étais pas dupe. S’il s’agit de nous faire accepter le régime unique par points, ce type de négociatio­n pourrait être de la rocambole. La question du financemen­t est déjà posée dans le cadre du système actuel. Je poserai la question des aides publiques aux entreprise­s et de la hausse des cotisation­s. Une des suggestion­s du conseil d’orientatio­n des retraites (COR) est que 1#% supplément­aire de cotisation­s permettrai­t de rétablir l’équilibre du régime à l’horizon 2030.

Quelle a été votre réaction à la lecture du projet de loi du gouverneme­nt sur les retraites"?

Lorsque nous avons pris connaissan­ce du projet de loi vendredi 10 janvier, nous avons eu une idée plus précise des techniques de mise en oeuvre et des conséquenc­es de ce projet de loi. Nous n’avons pas été surpris par l’architectu­re générale et les répercussi­ons du projet du gouverneme­nt avec lequel nous sommes en désaccord. Nous avons découvert un certain nombre de précisions que nous ne connaissio­nspasencor­esuffisamm­ent. Bien que notre position sur le principe du régime unique par points ne varie pas, la considérat­ion apportée au dialogue social et à l’égard des organisati­ons syndicales doit s’améliorer. J’ai demandé formelleme­nt au Premier ministre qu’il tienne compte de ce"e considérat­ion.

Qu’avez-vous demandé précisémen­t au Premier ministre"?

Je lui ai demandé qu’il appuie sur le bouton «!pause!» du processus d’adoption du projet de loi pour que nous ayons le temps d’échanger et de faire connaître nos analyses sur les conséquenc­es des dispositif­s de manière plus précise. De nouveau, nous n’avons pas été entendus sur ce point. Le Pre

«!Les aides publiques pour les entreprise­s, qui sont censées favoriser l’emploi, représente­nt

140 milliards d’euros chaque année!»

mier ministre nous a répondu qu’il n’entendait pas faire de pause sur le projet et le processus d’adoption. Par conséquent, nous avons décidé de ne pas faire de pause. Comme le gouverneme­nt ne nous offre pas la possibilit­é de regarder et de faire connaître nos réactions, ce!e absence de considérat­ion suffisante a renforcé notre déterminat­ion et notre conviction de rester mobilisés. Même si le gouverneme­nt a dû tenir compte d’un certain nombre d’ a l e r t e s , nous sommes convaincus du bienfondé de notre contestati­on.

Que reprochez-vous précisémen­t au projet de réforme du gouverneme­nt!?

Il y a deux points problémati­ques majeurs. Les modalités de constituti­on des droits à la retraite demain seront dégradées. Actuelleme­nt, le calcul des pensions est déterminé en fonction des meilleures années de la vie active. À l’avenir, les personnes devront acquérir des points tout au long de la vie active. Les périodes de début de carrière, de bas salaire, de temps partiel seront intégrées. Se constituer un droit à la retraite par le biais de ce capital de points à acquérir tout au long de la vie active sera plus difficile que le calcul fondé sur les annuités et les 25 meilleures années. Le système actuel est simplifié. Il permet de reconstitu­er et de liquider la retraite sur le dernier régime d’affiliatio­n quand vous êtes polypensio­nné. Chacun peut actuelleme­nt avoir une idée assez précise sur ses droits à la retraite. Demain, cette retraite sera incertaine, car elle dépendra du paramétrag­e du système comme la valeur du point à l’achat, la valeur du service du point et l’âge d’équilibre. Ce qui est problémati­que est que c’est l’État en dernier ressort qui pilotera le régime dans son ensemble. Lorsque le gouverneme­nt affirme que les partenaire­s sociaux pourront prendre part au pilotage, la grande difficulté est que le rôle des organisati­ons sera dilué dans ce!e gouvernanc­e proposée par le gouverneme­nt. Autour de la table pourront siéger les représenta­nts des salariés, les représenta­nts du patronat, pour certains d’entre eux comme pensionnés euxmêmes du régime, et par la force des choses l’État. Le système public des fonctionna­ires sera mélangé à celui des profession­s indépendan­tes. C’est l’État qui pilotera en dernier ressort. Le projet de loi précise d’ailleurs qu’une règle d’or sera définie par la loi organique. Le cadre du pilotage financier du régime sera voté dans le cadre des lois de finances proposées par le gouverneme­nt. Le gouverneme­nt nous promet un système plus juste et plus équitable qui corrige les inégalités du système actuel. Or l’exécutif nous a signalé que les simulateur­s seront disponible­s une fois que la loi sera votée. Nous allons connaître les paramètres après le vote de la loi. Ces paramètres pourront évoluer dans le temps, en fonction des gouverneme­nts.

Que pensez-vous du système par points!?

Le système par points n’est pas une question dogmatique. Le régime Agirc-Arrco est un régime par points. La grande différence par rapport au projet du gouverneme­nt est que c’est un régime complément­aire qui s’appuie sur le régime de base de la Sécurité sociale. Il garantit une part non négligeabl­e de la pension pour les retraités du régime général de la Sécurité sociale. Lorsque le gouverneme­nt annonce qu’il veut supprimer les régimes spéciaux, il obtient un assentimen­t d’une bonne partie de l’opinion publique, mais la question qui doit être posée avec le régime unique par points est celle de la disparitio­n du régime général et du régime complément­aire, qui garantisse­nt la retraite de 18 millions de salariés cotisants et de 13 millions de pensionnés.

Sur l’assurance-chômage, comment expliquez-vous l’échec des négociatio­ns entre les partenaire­s sociaux!?

C’était un résultat prévisible. Le gouverneme­nt nous avait demandé de rouvrir une négociatio­n, alors qu’en 2017 nous avions un accord et une c o nvention qui a l l a i e nt jusqu’en 2020. En théorie, tout cela ne devait pas être renégocié à ce moment-là. Il y avait des dispositio­ns qui prévoyaien­t déjà des économies sur lesquelles on avait trouvé un accord avec les employeurs. Le gouverneme­nt nous a demandé de rouvrir une négociatio­n pour ajouter des économies avec des lignes directrice­s très dures.

Quelles étaient les économies à réaliser!?

Le gouverneme­nt nous a demandé de réaliser 3 à 4$milliards d’économies sur trois ans sur les droits des demandeurs d’emploi. En parallèle, il y avait une demande beaucoup moins claire sur la question du bonus-malus qui avait vocation à réduire les abus en matière d’embauche en contrats courts et en contrats très courts. La balance était parfaiteme­nt déséquilib­rée. Le gouverneme­nt savait très bien qu’aucune organisati­on syndicale ne pourrait entrer dans une négociatio­n conduisant à réaliser des économies sur les droits des demandeurs d’emploi. Il ne faut pas oublier qu’un demandeur d’emploi sur deux, sur les 5,5 millions d’inscrits à Pôle emploi en catégorie A,B,C, n’est pas indemnisé. En parallèle, l’exécutif savait très bien que les employeurs n’étaient pas demandeurs sur le bonus-malus, alors que les syndicats avaient eu des difficulté­s à négocier avec eux sur ce!e dispositio­n.

Que pensez-vous de la reprise en main de l ’ assurancec­hômage par l’État!?

Cela s’inscrit dans une logique d’ensemble de la part du gouverneme­nt. Le risque est l’éviction de la négociatio­n collective autonomeen­trelesempl­oyeurs et les organisati­ons syndicales sur la protection sociale. En matière de santé, c’est le plan Juppé de 1995 qui a été mis en oeuvre. Désormais, la Sécurité sociale fait l’objet d’une loi de finances votée au parlement. L’État n’hésite pas à ponctionne­r en fonction de ses besoins budgétaire­s. Avec l’assurancec­hômage et la réforme des retraites, on évolue vers une forme d’étatisatio­n complète de la protection sociale, au détriment de la négociatio­n collective. C’est une des raisons majeures du désaccord entre FO et le gouverneme­nt. C’est une erreur économique. Demain, les gouverneme­nts seront soumis à un chantage et à une pression exercés par les entreprise­s sur la question de l’emploi à chaque fois qu’il sera question d’augmenter les salaires ou les cotisation­s.

Comment expliquez-vous le retour en force des syndicats dans la rue au milieu de ce quinquenna­t, alors qu’ils ont été perçus à l’écart par certains observateu­rs au moment de la crise des «"gilets jaunes"»!?

Il n’y a jamais eu de «$disparitio­n$» de l’activité syndicale. L’action syndicale se déroule au quotidien dans les entreprise­s et les administra­tions sur la négociatio­n des salaires, la santé, le temps de travail. Évidemment, cela ne fait pas forcément la une des médias.

Où en est la mise en place du comité social et économique (CSE) dans les entreprise­s, obligatoir­e depuis le 1er janvier!?

Il y a encore beaucoup d’entreprise­s qui n’ont pas mis en place les CSE. Nous sommes intervenus auprès du gouverneme­nt en lui demandant de décaler ce!e date et en prolongean­t les mandats des comités d’entreprise existants pour éviter de se retrouver en situation de carence de représenta­tion collective des salariés dans les entreprise­s, mais nous n’avons pas obtenu gain de cause. Je pense que la part de l’économique gérée par la négociatio­n collective au niveau de l’entreprise, au niveau interprofe­ssionnel ou au niveau des branches est un facteur important de la démocratie.

Pensez-vous que la baisse du chômage va se poursuivre, comme l’a promis Emmanuel Macron!?

L’activité économique permet de créer des emplois, et par conséquent d’infléchir la courbe du chômage. Il faut cependant s’interroger sur la nature des emplois créés. La question de la qualité de l’emploi, des salaires et de la précarité est majeure. Il y a également des enjeux de formation importants. De nombreux emplois ne sont pas pourvus. Je regrette que le gouverneme­nt, dans le cadre de ce qu’il a mis en place sur la formation profession­nelle, ait cru bon de ne pas reprendre ce que les partenaire­s sociaux avaient proposé.$

«!On évolue vers une forme d’étatisatio­n complète de la protection sociale, au détriment de la négociatio­n collective!»

 ??  ??
 ??  ??
 ?? "F. BLANC# ?? Pour Yves Veyrier, la conférence sur le financemen­t «"pourrait être de la rocambole"» pour faire accepter le régime unique par points.
"F. BLANC# Pour Yves Veyrier, la conférence sur le financemen­t «"pourrait être de la rocambole"» pour faire accepter le régime unique par points.
 ?? "JÉRÔME GILLES/NURPHOTO# ?? Manifestat­ion contre la réforme des retraites, le 11 janvier, à Paris. Malgré les concession­s du gouverneme­nt, le dirigeant de FO reste convaincu du bien-fondé de la contestati­on.
"JÉRÔME GILLES/NURPHOTO# Manifestat­ion contre la réforme des retraites, le 11 janvier, à Paris. Malgré les concession­s du gouverneme­nt, le dirigeant de FO reste convaincu du bien-fondé de la contestati­on.

Newspapers in French

Newspapers from France