La Tribune Hebdomadaire

Soutenu par Bill Gates, ce four solaire produira du ciment et de l’acier sans C02

ÉNERGIE La start-up américaine Heliogen promet de générer une chaleur extrême, utilisable par des industries fortement émettrices de carbone, au moyen d’une technologi­e dopée à l’IA.

- JÉRÔME MARIN !

Un four solaire à très haute températur­e qui ne brûle aucune énergie fos

sile. » Son CEO Bill Gross l’assure, l’avancée est « majeure » dans la lu!e contre le réchauffem­ent climatique. À Lancaster, en Californie, à une heure de route au nord de Los Angeles, sa start-up Heliogen a déployé mi-novembre le prototype d’une centrale solaire dopée à l’intelligen­ce artificiel­le. Et qui serait capable de générer une chaleur extrême, supérieure à 1"000 °C. De quoi produire du ciment, de l’acier, et même de l’hydrogène en réduisant fortement les émissions de gaz à effets de serre. Ce!e installati­on repose sur le procédé du solaire thermique à concentrat­ion (CSP, en anglais) : de nombreux miroirs, appelés héliostats, reflètent, vers un réceptacle fixé en haut d’une tour, les rayons du soleil, qui sont alors convertis en chaleur sous forme de vapeur. Pour son démonstrat­eur californie­n, Heliogen a placé sur le sol quelque 400$miroirs de petite

taille, moins chers et plus faciles à transporte­r et à installer. Le principe n’est pas nouveau mais l’entreprise assure pouvoir le pousser beaucoup plus loin. « Jusqu’à présent, la chaleur a!eignait entre 500 et 600 °C »,

souligne Bill Gross. Suffisant pour produire de l’électricit­é en faisant tourner des turbines. Maisdouble­rce!etempératu­re permettrai­t d’ouvrir de nouveaux débouchés en débloquant une série de réactions chimiques. «"Le solaire pourrait impacter des industries traditionn­ellement très polluantes »,

se félicite l’entreprene­ur.

ORIENTÉS DE MANIÈRE ULTRAPRÉCI­SE

Pour a!eindre les 1"000 °C, la start-up mise sur un logiciel de vision par ordinateur alimenté par quatre caméras et propulsé par un puissant processeur graphique (GPU). En analysant l’intensité lumineuse autour de chaque rayon de soleil –$les caméras ne pouvant pas filmer directemen­t les rayons, sous peine de fondre$–, le système peut alors orienter, en temps réel, de manière extrêmemen­t précise tous les miroirs. Cela permet d’augmenter la concen

tration solaire. Et donc la températur­e par rapport aux installati­ons traditionn­elles, dont les miroirs suivent un mouvement défini par avance, en fonction de la position antici

pée du soleil dans le ciel. « Notre technologi­e est dix fois plus précise, tout en offrant des coûts inférieurs car il n’y a plus besoin de réaliser des études sur le rayonnemen­t solaire et de recalibrer les miroirs en fonction de paramètres qui peuvent varier », avance Bill Gross. Les centrales solaires thermiques à concentrat­ion ont connu un essor rapide à partir de 2009, en particulie­r en Espagne et aux États-Unis, qui cumulent plus des deux tiers de la capacité aujourd’hui installée dans le monde. Ces dernières années, pourtant, le rythme a ne!ement ralenti. En cause : la forte baisse des coûts des panneaux solaires, qui ont rendu l’énergie photovolta­ïque beaucoup plus compétitiv­e que les CSP. Bill Gross l’a d’ailleurs appris à ses dépens : fondée en 2007, sa précédente entreprise eSolar n’a jamais pu a!eindre les grandes promesses qu’elle avait faites. Et qui avaient convaincu des investisse­urs, dont General Electric et Google. org, la branche philanthro­pique du moteur de recherche, d’injecter plus de 200 millions de dollars dans la société. En 2015, celle-ci est vendue à un groupe chinois.

C’est peu après cet échec cuisant que naît l’idée d’Heliogen. Elle a été rendue possible par les progrès des processeur­s graphiques, qui ont permis de démultipli­er la puissance de calcul informatiq­ue tout en abaissant ne!ement la facture. Et donc de tirer profit d’algorithme­s sophistiqu­és d’intelligen­ce artificiel­le. Le financemen­t initial est apporté par Bill Gates, le cofondateu­r de Microso% et deuxième fortune mondiale. D’autres investisse­urs ont depuis suivi. Pour autant, le

précédent eSolar incite à la prudence. « Ils n’ont pas encore

démontré leur procédé », souligne ainsi Stéphane Abanades, chercheur au laboratoir­e Promes (Procédés, matériaux et énergie solaire) du CNRS, qui note d’autres zones d’ombre. À l’époque déjà, Bill Gross avait installé un démonstrat­eur à Lancaster. Tout en multiplian­t également les effets d’annonce. La centrale d’Heliogen n’est pas la première à dépasser la barre des 1"000 °C. Certaines perme!ent même d’a!eindre des températur­es beaucoup plus élevées : au-delà des 3"000 °C par exemple pour le four solaire d’Odeillo, dans les Pyrénées-Orientales. Mais ce site, exploité par le CNRS, est utilisé à des fins de recherche, notamment dans le cadre du projet européen Solpart. Comme le four solaire de Parkent en Ouzbékista­n, il est également gigantesqu­e –$54 mètres de haut et 48 mètres de large$–, pour des coûts de constructi­on et d’exploitati­on sans commune mesure. La start-up américaine mise, elle, sur des installati­ons bien plus petites, pouvant être déployées, en quelques semaines et à moindres frais, à côté de sites industriel­s. Heliogen espère débuter l’exploitati­on commercial­e au coursdespr­ochainesse­maines. « Plus de 1$000"entreprise­s nous ont contactés dans les jours qui ont suivi la présentati­on de notre technologi­e, explique son

patron. De petites sociétés mais aussi des grandes, dont un important groupe minier qui souhaite réduire sa consommati­on d’énergie. »

Leur intérêt est avant tout économique, reconnaît Bill Gross, qui assure que l’investisse­ment initial devrait être amorti en deux ou trois ans. Sans toutefois indiquer le montant nécessaire pour installer les héliostats. « Ensuite, l’énergie sera gratuite », promet-il. Pour d’autres entreprise­s, soumises à un seuil d’émissions, cela permettrai­t d’augmenter leur production.

UN DEMI!HECTARE DE TERRAIN PAR MÉGAWATT

Pour Heliogen, le défi du lancement commercial ne sera pas simplement technologi­que. Il sera aussi dans l’intégratio­n de son four solaire au sein des usines et des processus industriel­s de ses clients. La difficulté est renforcée par la nécessité d’adopter un système hybride, fonctionna­nt aux énergies fossiles lorsque le soleil ne brille pas. C’est d’ailleurs une autre limite de ce!e technologi­e, qui ne peut être déployée que dans des zones de fort ensoleille­ment. Sans oublier la place nécessaire : un peu moins d’un demi-hectare de terrain pour chaque mégawa! de puissance. Bill Gross reconnaît ainsi que la moitié des sites industriel­s dans le monde sont trop petits. La start-up souhaite d’abord se concentrer sur quelques secteurs spécifique­s, comme le ciment et l’acier, dont la production nécessite des températur­es très élevées ne pouvant aujourd’hui être atteintes qu’en utilisant des énergies fossiles. Selon l’Agence internatio­nale de l’énergie, l’industrie du ciment représente à, elle seule, 7"% des émissions mondiales. « Ils n’ont pas les moyens d’utiliser des énergies renouvelab­les », note Bill Gross. À plus long terme, lorsque son four solaire sera capable d’atteindre les 1"500 °C, l’entreprene­ur espère produire de l’hydrogène, aujourd’hui essentiell­ement issu d’énergies fossiles. « Ce serait une percée révolution­naire », s’enthou

siasme-t-il déjà.

« Plus de 1$000 entreprise­s nous ont contactés dans les jours qui ont suivi la présentati­on de notre technologi­e%»

BILL GROSS,

FONDATEUR D’HELIOGEN

 ?? "BUSINESS WIRE# ?? Sur le site d’Heliogen, à Lancaster, près de Los Angeles. La températur­e produite par l’ensemble des miroirs pourrait dépasser les 1"500 °C, de quoi permettre la production d’hydrogène, aujourd’hui surtout issue des énergies fossiles.
"BUSINESS WIRE# Sur le site d’Heliogen, à Lancaster, près de Los Angeles. La températur­e produite par l’ensemble des miroirs pourrait dépasser les 1"500 °C, de quoi permettre la production d’hydrogène, aujourd’hui surtout issue des énergies fossiles.

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