La Tribune Hebdomadaire

Plan antiplasti­que de la Chine : une bataille à effets multiples

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Largement responsabl­e de la pollution des océans due aux déchets en plastique, le géant asiatique vient d’annoncer une réglementa­tion limitant fortement l’utilisatio­n d’articles à usage unique. Une décision qui risque d’avoir de lourdes conséquenc­es économique­s pour les fabricants de plastiques occidentau­x.

En tout et pour tout, ce sont seulement dix fleuves qui transporte­nt 90!% du plastique qui pollue nos océans, et cinq d’entre eux se trouvent en Chine. Sur ces cinq fleuves, le Yangtze déverse à lui seul 55!% des déchets plastique responsabl­es de la pollution mondiale des océans. C’est dans ce contexte internatio­nal que la Chine vient d’annoncer qu’elle prévoit d’interdire ou de limiter fortement l’utilisatio­n d’un large éventail d’articles en plastique à usage unique. Ce"e réglementa­tion, annoncée le 20 janvier, n’était pas ina"endue mais son ampleur et sa sévérité sont surprenant­es. En effet, la réglementa­tion interdit notamment la production et la vente des sacs plastique ultra fins d’une épaisseur inférieure à 0,025!mm. Elle exige un arrêt progressif d’ici la fin 2020 de la production et de la vente de la vaisselle jetable en mousse plastique, des cotons-tiges jetables en plastique et des produits de beauté et de toile"e comme les ne"oyants pour le visage, les dentifrice­s et les exfoliants contenant des microbille­s de plastique. Une interdicti­on à l’échelle nationale sera également mise en place dès la fin de l’année pour les pailles jetables en plastique. Des restrictio­ns seront introduite­s sur la quantité de plastique utilisée pour emballer les produits vendus en ligne, secteur en plein essor en Chine et dont la valeur aurait augmenté de 30!% en 2019 pour a"eindre environ 2!trillions de dollars.

Alors que la Chine, comme nous l’avons dit, est une source majeure du problème mondial du plastique, les responsabl­es gouverneme­ntaux chinois sont convaincus que le pays peut améliorer son image internatio­nale en jouant un rôle déterminan­t pour apporter une solution, selon les dires de plusieurs cadres supérieurs qui travaillen­t pour des sociétés de polymères ou de plastique exportant de grandes quantités de pastilles plastique en Chine. « C’est ainsi que j’interprète l’une des raisons motivant ce!e nouvelle réglementa­tion. Et le gouverneme­nt chinois ne plaisante pas, ce!e réglementa­tion sera appliquée », affirme le cadre d’une société produisant des pastilles plastique. Les pastilles plastique exportées par sa société, comme celles de ses concurrent­s, sont fondues et transformé­es en Chine pour produire d’innombrabl­es matériaux d’emballage tels que les films, sachets, bouteilles et conteneurs rigides qui sont au coeur de la crise de pollution du pays.

La lu"e contre la pollution de l’eau est une autre raison majeure de la nouvelle réglementa­tion, car la Chine peine à trouver un approvisio­nnement suffisant en eau potable sur son territoire. Si l’accent est mis sur les principaux vecteurs de risques à long terme pour l’économie chinoise, comme l’énorme ende"ement du pays et sa population vieillissa­nte, l’eau est peut-être une menace encore plus grave pour la croissance. L’ONU estime que huit provinces du nord de la Chine connaissen­t une « pénurie d’eau totale », la quantité d’eau potable disponible étant tombée en dessous de 500!mètres cubes par personne et par an. Dans onze autres provinces chinoises, où vivent des centaines de millions de personnes, la quantité d’eau potable disponible est inférieure à 1$000!mètres cubes par an, un niveau qui selon l’ONU correspond à une « pénurie d’eau ». La crise de l’eau est due à la fois au changement climatique et à la pollution, y compris aux 60 millions de tonnes de déchets plastique que la Chine génère chaque année. À!titre de comparaiso­n, les États-Unis, autre grand champion du tout jetable, en produisent 38 millions.

La série de restrictio­ns sévères sur l’importatio­n des déchets plastique a été le premier signe que la Chine commençait à prendre au sérieux ses problèmes liés à ce matériau. Ces restrictio­ns, visant à mieux protéger la santé des travailleu­rs locaux du secteur du recyclage ainsi qu’à préserver l’environnem­ent local, sont entrées en vigueur en janvier 2018 et ont créé d’énormes problèmes pour l’Union européenne et les autres recycleurs occidentau­x. Jusque-là, ces pays envoyaient la plus grande partie de leurs déchets plastique en Chine. Ces nouvelles mesures auront des conséquenc­es encore plus lourdes pour les multinatio­nales du pétrole, du gaz et des produits chimiques qui fabriquent les pastilles ou résines plastique, surtout le polyéthylè­ne (PE) –!un type de plastique largement utilisé pour les produits à usage unique, selon les données de l’ICIS, le service indépendan­t de renseignem­ents sur les matières premières. En!2000, la Chine représenta­it seulement 12$% de la consommati­on mondiale de PE, d’après l’ICIS. Ce chiffre est passé à 31$% en 2019. En Asie-Pacifique, dont la population s’élève à environ 3 milliards de personnes contre 1,4 milliard en Chine, la consommati­on de PE est passée de 9$% à seulement 15$% au cours de la même période. En 2009, la Chine a dépassé l’Amérique du Nord pour devenir le plus grand consommate­ur de PE par volume. La Chine est également le plus grand importateu­r mondial de résines PE.

On voit ainsi que, si la demande chinoise en PE venait à diminuer, les conséquenc­es économique­s pour les fabricants de produits chimiques et de PE seraient profondes, surtout pour les entreprise­s américaine­s qui ont augmenté leurs capacités de production, misant notamment sur la poursuite probable de la croissance exponentie­lle de la demande chinoise. Parmi les grands producteur­s de PE on trouve Total, ExxonMobil, Chevron et Dow Chemical. Du point de vue de la Chine, les avantages économique­s d’une applicatio­n efficace de ces restrictio­ns et du développem­ent en parallèle d’une industrie moderne du recyclage sont vastes. On prévoit que la Chine va investir des centaines de millions de dollars pour créer une industrie moderne et de pointe qui générera de nouvelles opportunit­és d’emploi, alors que les industries manufactur­ières de base contracten­t leurs effectifs à cause de la hausse des coûts de main-d’oeuvre. La hausse des salaires est l’une des conséquenc­es du vieillisse­ment de la population chinoise.

Une grande question se pose. Il s’agit de savoir si ce"e nouvelle réglementa­tion radicale pourra être appliquée efficaceme­nt dans un pays aussi vaste que la Chine. Il serait toutefois risqué de parier sur un échec, étant donné que le pouvoir du gouverneme­nt central chinois s’est beaucoup renforcé depuis l’arrivée de Xi Jinping à la présidence en 2012. La Chine a ébahi le monde entier par sa croissance économique fulgurante au cours des vingt dernières années. La dégradatio­n de son environnem­ent a a"eint des niveaux tout aussi choquants. Aujourd’hui, elle est en passe de choquer d’une manière bien plus positive, en jouant un rôle majeur dans la résolution de la crise mondiale de la pollution par les plastiques.!

Le Yangtze déverse à lui seul 55!% des déchets plastique responsabl­es de la pollution des océans.

Pour la Chine, les avantages du développem­ent d’une industrie moderne du recyclage sont vastes.

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"ISTOCK# La Chine génère chaque année 60 millions de tonnes de déchets plastique.
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CONSULTANT SENIOR, ASIE, ICIS
JOHN RICHARDSON CONSULTANT SENIOR, ASIE, ICIS

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