La Tribune Hebdomadaire

Les banques affichent leur «"raison d’être"»

TENDANCE Crédit Agricole, Société Générale et maintenant BNP Paribas. Tour à tour, les acteurs bancaires revendique­nt leur engagement environnem­ental et sociétal. Alors, pur enjeu d’image ou réelle volonté de participer à l’intérêt général!?

- JULIETTE RAYNAL

Crédit Agricole, Société Générale et BNP Paribas revendique­nt leur engagement environnem­ental et sociétal. Alors, quête d’ image ou quête de sens !?

Pas de communiqué de presse, ni d’annonce en grande pompe, mais un simple post LinkedIn, publié le 31 janvier dernier, à l’occasion du salon ChangeNow,lerendez-vousdes solutions à impact positif. La semaine dernière, après l’annonce d’un bénéfice record en 2019, Jean-Laurent Bonnafé, le directeur général de BNP Paribas, a discrèteme­nt rendu publique la «!raison d’être!» de la première banque européenne, c’est-à-dire la manière dont elle entend participer à l’intérêt général.

Une démarche que de nombreuses­entreprise­sontadopté­e depuis la promulgati­on de la loi Pacte, le 22!mai dernier, qui leur donne la possibilit­é d’inscrire, en sus de leur objet social, leur engagement environnem­ental et sociétal. Ce"e dispositio­n, qui vient modifier le Code civil, vise à répondre aux nouvelles a"entes de la société. Consommate­urs, collaborat­eurs, fournisseu­rs, mais aussi collectivi­tés et ONG exigent désormais que les entreprise­s se mettent au service du bien commun.

RELÉGITIME­R LEUR RÔLE

«!La raison d’être est, bien sûr, plus qu’un slogan ou une campagne marketing, c’est ce qu’une entreprise fait chaque jour pour créer de la valeur pour l’ensemblede­sesparties­prenantes », avait expliqué, début 2019, LarryFink,patrondeBl­ackRock, le plus grand gestionnai­re d’actifs de la planète, dans la le"re qu’il envoie chaque année aux patrons des sociétés dans lesquelles il a investi. Au printemps dernier, des géants industriel­s comme Atos, Veolia ou encore Michelin et Carrefouro­ntouvertle­bal.Mais le mouvement n’a pas échappé aux acteurs bancaires dont l’image a largement été écornée depuis la crise financière de 2008. Souvent désignés comme les symboles d’un capitalism­e sans foi ni loi, les banquiers se retrouvent aussi aujourd’hui sous la pression des ONG environnem­entales,quilespous­sent à accélérer leur désengagem­ent des énergies fossiles.

«!Il y a un enjeu d’image pour le secteur bancaire, qui n’a pas été épargné depuis dix ans et qui s’est retrouvé au coeur de nombreuses crises. En exprimant leur raison d’être, les banques cherchent à réaffirmer leur utilité sociétale et à relégitime­r leur rôle!», estime Julie La"es, directrice de la stratégie chez BrightHous­e, un cabinet américain racheté il y a cinq ans par le Boston Consulting Group et qui accompagne les entreprise­s dans l’expression de leur raison d’être. «!Par ailleurs, les banques sont les premières représenta­ntes du capitalism­e. Ce sont aussi les premiers financeurs de l’économie. Elles se situent donc aux premières loges pour avoir un impact sociétal et environnem­ental de fond. Ce mouvement n’est pas anodin!», ajoute-t-elle. Le groupe Crédit Agricole a ainsi partagé sa raison d’être dès le mois de juin dernier. Elle se résume en une simple phrase : «!Agir chaque jour dans l’intérêt de nos clients et de la société.!» . Une promesse pas si banale à l’heure où les Français ne sont pas toujours convaincus que les banques agissent précisémen­t dans leur intérêt, comme le révélait un sondage de la Banque de France publié en mars dernier, où 45#% des répondants se disaient plutôt confiants à l’égard de leur banque principale, quand seuls 18#% se disaient très confiants. Celle de Société Générale, adoptée en conseil d’administra­tion le 17 janvier dernier, est un peu plus développée : «!Construire ensemble, avec nos clients, un avenir meilleur et durable en apportant des solutions financière­s responsabl­es et innovantes!» et s’accompagne d’un texte explicatif. «! Elle agira comme la clef de voûte de nos choix stratégiqu­es et la boussole pour guider nos actions au quotidien!», assure dans un communiqué Frédéric Oudéa, le directeur général de la banque de la Défense, qui rappelle être «!un acteur moteur dans le financemen­t des énergies renouvelab­les, le développem­ent durable de l’Afrique, le renouvelle­ment des villes et de leurs infrastruc­tures, ou l’émergence de nouvelles mobilités partagées et décarbonée­s!».

À BNP Paribas, la raison d’être s’étire sur une page entière. «!C’est la synthèse de trois textes détaillés issus de réflexions collective­s intervenue­s à BNP Paribas entre 2015 et 2018!:, le document qui exprime la mission de l’entreprise, le code de conduite qui définit son exigence éthique, et le manifeste de l’engagement qui fixe son ambition environnem­entale et sociétale!», expose Antoine Sire, qui pilote la direction de l’Engagement du groupe créée en 2017, après avoir dirigé la communicat­ion de la banque pendant seize ans. Le texte, qui intègre la dimension de long terme, met l’accent sur cinq axes : la transition énergétiqu­e, l’inclusion sociale des jeunes, l’économie sociale et solidaire, l’ancrage territoria­l et l’égalité femme-homme.

Alors, les banques sont-elles bien en quête de sens ou seulement en quête d’image#? «!Ce#e question s’applique à tous les secteurs. La raison d’être est à la fois une tendance de fond et un effet de mode!», reconnaît Julie Lattes. «! De nombreuses raisons d’être se limitent à un slogan, et ce n’est pas suffisant. Pour être crédible, une raison d’être doit s’accompagne­r d’engagement­s structuran­ts et ins

La loi Pacte vient modifier le Code civil. L’article 1835 est complété par une phrase ainsi rédigée!: «"Les statuts peuvent préciser une raison d’être, constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend a#ecter des moyens dans la réalisatio­n de son activité."» ! crits dans la durée. A#ention à ne pas en faire un sujet adjacent à la stratégie de l’entreprise alors qu’elle doit en être la colonne vertébrale!», prévient la spécialist­e. «!Parfois, le concept n’est pas très bien compris. Certaines entreprise­s décrivent une mission plutôt qu’une raison d’être. Ce#e dernière doit être l’étoile du Nord de l’entreprise!: guider ses choix stratégiqu­es!» , ajoute-t-elle.

«!Notre raison d’être est très opérationn­elle!», assure pour sa part Antoine Sire, qui s’applique à démontrer par A+B que ce texte va bien au-delà d’un exercice de communicat­ion. Dans le collimateu­r des ONG environnem­entales, BNP Paribas a pris récemment plusieurs engagement­s marquants : elle arrêtera complèteme­nt ses financemen­ts du secteur du charbon dans l’UE en 2030 et dans le reste du monde en 2040. En parallèle, elle va investir 3 milliards d’euros de plus dans les énergies renouvelab­les d’ici à 2021. «!Notre ambition est de devenir le leader mondial en matière de finance durable. C’est le seul objectif que notre raison d’être exprime en termes de positionne­ment business!», souligne Antoine Sire.

UN MOYEN DE FIDÉLISER LES COLLABORAT­EURS

Le groupe bancaire a par ailleurs supprimé le plastique à usage unique pour l’ensemble de ses 200#000!collaborat­eurs et finance un million d’heures par an à ceux qui consacrent une partie de leur temps de travail aux associatio­ns. «!Nos crédits contribuan­t à l’a#einte des objectifs de développem­ent durable définis par les Nations unies représente­nt 168 milliards d’euros!», ajoute-t-il, soit 15% de l’ensemble des crédits distribués. La banque de la rue d’Antin revendique aussi une position de leadership dans les crédits à impact ou sustainabl­e linked loans et vient de lancer

«"Pour être crédible, une raison d’être doit s’accompagne­r d’engagement­s structuran­ts, inscrits dans la durée"»

JULIE LATTES, DIRECTRICE DE LA STRATÉGIE CHEZ BRIGHTHOUS­E

UNE NOTION INSCRITE AU CODE CIVIL

«!L’expression de notre raison d’être n’est pas un aboutissem­ent, c’est une étape dans notre démarche!»

ANTOINE SIRE, DIRECTEUR DE L’ENGAGEMENT DE BNP PARIBAS

un fonds d’investisse­ment de 10 millions d’euros pour investir dans les contrats à impact social dans l’Union européenne. «!L’expression de notre raison d’être n’est pas un aboutissem­ent, c’est une étape supplément­aire dans notre démarche!», précise Antoine Sire. Pourquoi alors s’être plié à cet exercice!?

«!Cela formalise le fait que notre engagement est devenu une priorité pour l’entreprise. Cela permet de mobiliser davantage. Le fait que le projet de l’entreprise soit communiqué à l’extérieur achève de convaincre tout le monde de la profondeur de la transforma­tion en cours! », explique-t-il. Selon un indicateur interne, 75!% des collaborat­eurs estiment qu’il est important que l’entreprise s’engage. Ce"e affirmatio­n est aussi un moyen de fidéliser les collaborat­eurs, un enjeu clé à l’heure où le secteur est moins a"ractif et où la guerre des talents dans le numérique bat son plein.

Malgré ce"e prise de position illustrée par de nombreux exemples concrets, BNP Paribas n’a fait qu’exprimer publiqueme­nt sa raison d’être, sans aller jusqu’à l’inscrire dans ses statuts, de même que de nombreuses autres entreprise­s du CAC40, à l’exception d’Atos. «!Nous ne souhaitons pas qu’elle reste figée, mais qu’elle puisse évoluer avec la société. L’inscrire dans nos statuts l’aurait située dans le champ juridique alors que nous voulions en faire un guide opérationn­el!», justifie

Antoine Sire.

Dans le monde de la finance, d’autres ont sauté le pas. Le groupe Maif, de taille bien plus modeste avec ses 7!000$salariés, est même allé un cran plus loin. L’assureur niortais au modèle mutualiste prévoit ainsi de devenir une entreprise à mission, nouvelle qualité qui rend contraigna­nts les objectifs principaux découlant de sa raison d’être. «!La modificati­on statutaire doit être adoptée lors d’une assemblée générale extraordin­aire qui aura lieu au printemps prochain! », nous confie Pascal Demurger, le directeur général de Maif et auteur de l’essai L’entreprise du XXIe siècle sera politique ou ne sera plus (éd. de l’Aube), préfacé par Nicolas Hulot. «!Je suis convaincu que c’est un axe stratégiqu­e majeur de l’entreprise!»,

précise-t-il. Sans compter que cette inscriptio­n de la raison d’être dans les statuts est aussi un moyen de la me"re à l’abri des aléas de gouvernanc­e.$

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"PJB/SIPA# Antoine Sire, directeur de l’Engagement d’entreprise à BNP Paribas.

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