La Tribune Hebdomadaire

Le locavorism­e, une fausse bonne idée pour le climat

-

L’un des arguments avancés par les contempteu­rs de la mondialisa­tion est qu’elle favorise inutilemen­t la

multiplica­tion des déplacemen­ts de marchandis­es sur de longues distances. Sans compter qu’elle pénalise les producteur­s locaux, guère compétitif­s en raison des faibles coûts de production de certains pays. En supprimant en partie ce transport, et donc en réduisant la consommati­on de carburant, on lu#erait avec efficacité contre le réchauffem­ent climatique, qui est devenue une urgence. Bref, consommer local aurait la vertu de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES), de ne pas participer à l’exploitati­on de la main-d’oeuvre étrangère et de protéger l’emploi local. Cela semble frappé au coin du bon sens. Pourtant, des études montrent que cela n’est pas si évident. D’abord, l’intensific­ation du commerce mondial a permis à des millions de personnes de sortir de la pauvreté. Si les salaires sont bas, ils n’en améliorent pas moins la situation difficile dans laquelle se trouvaient auparavant ces millions de personnes, issues majoritair­ement du monde agricole. En outre, les produits importés à des prix compétitif­s perme#ent aux consommate­urs de gagner en pouvoir d’achat. Quant aux émissions de GES, dont l’une des mesures est l’empreinte carbone, les données indiquent une autre vue de la situation. Ainsi, la production alimentair­e, y compris l’élevage, satransfor­mationetso­ntransport­sontrespon­sables pour 26!% des émissions de GES à travers le monde. Consommerl­ocaln’estdoncpas­synonymede­réduction de l’empreinte carbone. En effet, dans la chaîne de valeur qui relie le producteur au consommate­ur, la part du transport est marginale. Selon Our World in Data, qui analyse 29!produits en prenant en compte l’ensemble des émissions de GES et en les exprimant sous forme d’équivalent­s de CO2, la production d’un kilo de boeuf entraîne 60 kg de GES, celle d’un kilo de fromage, 6"à 7 kg de GES, tandis que celle d’un kilo de pois, 1 kg de GES. De fait, la production­deproduits­végétauxes­tmoinséme#rice de GES que celle de produits animaux, d’où la recommanda­tion du Giec de réduire la consommati­on de produits animaux.

Les experts soulignent par ailleurs que les émissions liées à la culture du sol et à la transforma­tion agricole représente­nt à elles seules plus de 80!% de l’empreinte carbone des produits alimentair­es. En revanche, la part du transport est mineure dans leur production, comptant pour 10!% des émissions de GES (mis à part le transport aérien mais qui ne représente que 0,16!% des distances parcourues). Dans le cas du boeuf, ce#e part tombe même à 0,5!%. L’étude s’intéresse également à l’empreinte carbone du point de vue du régime adopté. Ainsi, la différence entre l’empreinte de la consommati­on de produits locaux et celle de produits importés est négligeabl­e. Our World in Data cite une étude publiée par la revue

Environmen­tal Science & Technology qui indique que les émissions moyennes engendrées par un ménage américain s’élèvent à 8"tonnes d’équivalent CO2, dont 5!% proviennen­t du transport. Autrement dit, si tous les ménages américains ne consommaie­nt que des produits locaux (ce qui signifie se passer de café par exemple), et même sans inclure les émissions du transport local, loin d’être négligeabl­es, leur empreinte carbone ne diminuerai­t que de 5!%. Le développem­ent d’un mouvement en faveur de la consommati­on locale des produits, le locavorism­e, qui peut avoir du sens pour le goût n’est en revanche pas une solution miracle pour la lutte contre le réchauffem­ent climatique."

 ??  ?? ROBERT JULES
DIRECTEUR ADJOINT DE LA RÉDACTION
ROBERT JULES DIRECTEUR ADJOINT DE LA RÉDACTION

Newspapers in French

Newspapers from France