La marine marchande, toutes voiles dehors pour réduire ses émissions de CO2
Le fret maritime s’est engagé à diminuer son empreinte carbone de 50!% d’ici à 2050. Un objectif ambitieux qui nécessite au"moins 1 000 milliards de dollars d’investissements, et"pour lequel des start-up font assaut d’innovations.
« N
otre technologie est très innovante, elle n’a que
5!000"ans », plaisante Michel Péry. Capitaine de cargos et de pétroliers pendant plus de vingt!ans et désormais président de la start-up nantaise Neoline, cet ancien marin s’est fixé un ambitieux pari : relancer le transport de marchandises à la voile. Deux cent ans après l’apparition des premiers navires à vapeur, remplacés depuis par des motorisations diesel, l’idée peut paraître farfelue. Mais elle s’inscrit dans la volonté du secteur de réduire ses émissions de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques. Par préoccupation écologique. Mais surtout par la crainte de nouvelles taxes ou réglementations, sous l’impulsion notamment de la Commission européenne. Lancé à l’automne 2015 par neuf anciens officiers de la marine marchande, le projet de Neoline doit bientôt se concrétiser. Mardi 4!février, une étape primordiale a été franchie avec l’entrée dans le capital de l’armateur Sogestran et de sa filiale la Compagnie maritime nantaise. Un premier cargo doit être commandé au printemps, pour un coût estimé à 45 millions d’euros. Principalement fabriqué à Saint-Nazaire, il doit être livré en 2022. Il reliera alors la commune bretonne à Baltimore, sur la côte est des États-Unis, après avoir fait une escale à Saint-Pierre-et-Miquelon. Avec ses six voiles –!pour une voilure totale de 4"200!mètres carrés!–, « il perme#ra d’économiser entre 80!% et 90!% de consommation de carburant », promet Michel Péry. La société espère ensuite atteindre le zéro carbone dans les dix!ans, en remplaçant le moteur diesel, encore indispensable pour les manoeuvres de port, par des ba#eries électriques ou de l’hydrogène.
RENAULT, MANITOU ET BÉNÉTEAU SONT INTÉRESSÉS
Longs de 136!mètres, les navires rouliers de Neoline peuvent transporter l’équivalent de 280! conteneurs, notamment des cargaisons hors gabarit. Se basant sur des simulations effectuées à partir des données météorologiques de ces cinq dernières années, l’entreprise assure pouvoir traverser l’Atlantique à une vitesse moyenne de
11!noeuds. C’est ne#ement moins que les navires concurrents, qui peuvent atteindre jusqu’à 15!noeuds. « Notre vitesse est acceptable pour certains
chargeurs », assure cependant Michel Péry. Neoline compte déjà trois clients, soucieux de réduire leur empreinte environnementale : le constructeur automobile Renault, le spécialiste des engins de chantier Manitou et le fabricant de bateaux de plaisance Bénéteau. En cas de succès commercial, la société prévoit déjà de faire construire un deuxième cargo.
À lui seul, le fret maritime représente environ 3"% des émissions mondiales de CO2, soit autant que le secteur
aérien. «"Mais il assure 90!% du trans
port de marchandises" », nuance Matthieu de Tugny, vice-président exécutif de la division marine et offshore de Bureau Veritas, société française de certification des navires. Et de souligner que l’empreinte carbone des cargos est ne#ement inférieure à celles des camions, et de surcroît à celles des avions, lorsque l’on raisonneentermesdetonne-kilomètre. Il n’empêche, en l’absence de mesures concrètes et face à la croissance anticipée du marché (de 35"% à 40"% au cours des trente prochaines années), le secteur pourrait représenter 17"% des émissions de CO2 d’ici à 2050, alerte le Parlement européen.
Le t r a ns por t mar i t i me n’ e s t aujourd’hui soumis ni à l’accord de Paris sur le climat, visant à limiter le réchauffement de la planète, ni au marché carbone européen. Depuis le protocole de Kyoto, signé en 1997, c’est en effet l’Organisation maritime internationale (OMI) qui fixe les règles en matière d’émissions. Une branche des Nations unies sous la coupe des armateurs et de certains États, dénonce l’ONG Transparency International. Et qui a longtemps traîné les pieds. Ce n’est ainsi qu’en avril 2018 que ses 173!pays membres se sont, enfin, accordés sur une « stratégie
initiale », fixant un objectif de réduction d’au moins 50"% des réductions de gaz à effet de serre d’ici à 2050, par rapport aux niveaux enregistrés en 2008. À plus long terme, l’OMI ambitionne même d’éliminer « complète
ment » ces émissions.
Les navires à voile de Neoline illustrent un intérêt grandissant du secteur pour la propulsion éolienne. À l’image d’une autre entreprise française, Zéphyr & Borée, elle aussi basée à Nantes. Son concept est différent : les traditionnelles voiles sont remplacées par quatre ailes rigides articulées, hautes de 30!mètres. Celles-ci ont été conçues par le cabinet d’architecture navale VPLP, connu pour ses voiliers de course. Et ses ambitions un peu moins élevées : son cargo, baptisé Canopée, sera principalement propulsé par un moteur à bicarburation diesel et GNL (gaz naturel liquéfié). Cela signifie des économies de carburant moins importantes, autour de 30"% en moyenne, mais une ponctualité garantie, fait valoir la société. Un premier contrat a été signé en
JÉRÔME MARIN ! « L’investissement peut être amorti en cinq ans, voire même en trois ans, si les cours du pétrole augmentent »
STEPHAN BRABECK,
DIRECTEUR DE LA TECHNOLOGIE DE SKYSAILS