Gafam, encore un effort pour passer vraiment au vert !
Avec leurs objectifs très ambitieux, les « big tech » s’a!chent en grands défenseurs de l’environnement. Mais ils tentent surtout de minimiser les dégâts de leurs activités directes, comme les data centers. Et ignorent le reste de la chaîne de valeur, des sous-traitants aux consommateurs.
Recourir massivement aux énergies renouvelables, a!eindre une empreinte carbone neutre – voire négative… Les géants de la tech ne lésinent pas sur les grandes promesses vertes. Il faut dire qu’il y a beaucoup à faire : l’empreinte environnementale du numérique dans le monde en 2019 « représentait un 7e!continent d’une taille de deux à cinq fois celle de la France », d’après Frédéric Bordage, le fondateur de GreenIT, qui regroupe les acteurs français de l’informatique durable.
Le numérique serait responsable de 3,8"% des émissions de gaz à effet de serre et de 5,5"% de la consommation d’électricité mondiale. Et cet impact ne fait qu’augmenter au fur et à$mesure de la digitalisation de l’économie et de la généralisation des nouveaux usages numériques. Netflix engloutit$par exemple à lui seul 23"% de la bande passante en
France$et 15"% dans le monde. Autre signal d’alarme : la croissance du nombre d’objets connectés, encore à ses prémices, est exponentielle. On$en dénombrait 1 milliard en 2010, et leur$nombre devrait s’élever à 48 milliards en 2025"! Autrement dit, et contrairement aux idées reçues, le numérique constitue un véritable désastre environnemental et les géants du Net, qui dominent ce!e économie, en sont partiellement responsables.
CAPTURER ET ÉLIMINER LE CARBONE
Sous forte pression, ils multiplient donc les engagements pour réduire cet impact. Le dernier en date vient de Jeff Bezos. Le patron d’Amazon, et l’homme le plus riche du monde, a annoncé mi-février la création d’un « fonds pour la Terre » doté de 10 milliards de dollars. Son but : financer « des scientifiques, des militants, des ONG, soit tout effort qui offre une réelle possibilité d’aider à préserver et à protéger le monde naturel », a-t-il déclaré sur le réseau social Instagram. Microsoft a aussi choisi de dévoiler ses engagements à la mi-janvier, quelques jours avant le Forum économique mondial de Davos, qui était consacré ce!e année à l’environnement. La firme de Redmond, qui revendique une empreinte carbone neutre depuis 2012, a promis d’atteindre une empreinte carbone négative d’ici à 2030, en éliminant davantage de carbone qu’elle n’en émet dans l’atmosphère. Elle s’est même engagée à compenser toutes ses émissions de carbone depuis sa création en 1975 d’ici à trente ans.
Pour y parvenir, la société informatique fait valoir la création d’un « fonds d’innovation pour le climat » doté de 1$milliard de dollars. Ce dernier devrait financer entre autres des technologies de capture et d’élimination du carbone. Microsoft dit aussi vouloir recourir exclusivement aux énergies renouvelables d’ici à 2025 pour ses data centers, ses bureaux et ses campus, et promet de participer à des opérations de reboisement.
« Depuis la fin de l’année 2019, nous assistons à l’apparition d’une vague verte au sein des Gafam [Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft, ndlr], estime Jean-Christophe Liaubet, directeur associé au sein du cabinet de conseil Fabernovel. L’environnement est désormais au coeur de leur communication. Est-ce de l’éco-blanchiment ou s’agit-il d’initiatives sincères#? Probablement un peu des deux »,
«!Aujourd’hui, pour être politiquement correctes, les entreprises doivent au moins se positionner sur le climat!»
FRÉDÉRIC BORDAGE,
FONDATEUR DE GREENIT
jauge le spécialiste. Les entreprises tech ont commencé à s’emparer du sujet au tournant des années 2010, suite aux premiers rapports d’ONG comme Greenpeace sur l’impact environnemental du cloud. « Cela a entraîné des réactions en chaîne plus ou moins rapidement. Apple a été précurseur, suivi par Facebook et Google. Amazon, très en retard sur le sujet, a réagi plus
tardivement », commente Agathe Martin, analyste financier chez Fabernovel. Ainsi, Apple revendiquait dès 2013 que l’intégralité de ses data centers étaient alimentés grâce aux énergies renouvelables (solaire, éolien…). Google a quant à lui annoncé « se reposer sur 100!% d’énergies renouvelables pour l’ensemble
de ses activités à travers le monde, bureaux et centres de données compris » depuis 2017. Un objectif que Facebook promet d’atteindre au cours de ce!e année.
Pour Agathe Martin, ce récent sursaut s’explique par la « pression croissante de la part de toutes les parties prenantes » ":
les clients finaux qui « veulent désormais consommer durable » et les investisseurs
qui « créent de plus en plus des fonds spécifiques incluant des critères environnementaux » . Sans oublier les employés euxmêmes, «"qui n’hésitent plus à
se mobiliser », souligne la spécialiste. Cela a notamment été le cas fin janvier chez Amazon, où plus de 350"employés ont ouvertement critiqué sa politique environnementale dans une pétition en ligne. Cette pression va de pair avec les capacités de financement dont disposent les Gafam.
FOCALISÉS SUR LA PARTIE VISIBLE DE L’ICEBERG
« En 2019, ils ont accumulé 471"milliards de dollars en cash, en équivalents de trésorerie et en titres négociables. Ce sont des moyens colossaux!! À titre de comparaison, le budget annuel moyen de l’EPA américain (agence de protection environnementale) est de 8"milliards de dollars depuis 2001 », chiffre
Agathe Martin.
Face à ce!e prise de conscience généralisée, les mastodontes de la tech consentent donc à s’engager pour l’environnement… d’autant plus qu’ils y trouvent leur compte. « Déployer une stratégie environnementale demande beaucoup d’efforts mais cela s’accompagne de bénéfices non négligeables : améliorer son image de marque, engager davantage les clients et les talents, anticiper les réglementations potentielles plutôt que les subir », résume Agathe
Martin.
Mais les efforts réels consentis par les géants du Net sont-ils suffisants%? «"Aujourd’hui, les actions des Gafam sont davantage dans une optique de minimisation des dégâts », tacle l’analyste. Car les « big tech"» se focalisent principalement sur le recours aux énergies renouvelables et la réduction d’émissions de carbone. Mais l’impact environnemental du numérique ne se limite pas aux seuls data centers, bien au contraire.
En 2019, le numérique était constitué de 34" milliards d’équipements pour 4,1"milliards d’utilisateurs dans le monde (hors accessoires tels que les chargeurs, clavier, souris, clés USB…), selon une étude%* due à GreenIT. À cela s’ajoute les centres de données et les réseaux.Les annonces des Gafam se focalisent donc surtout sur la partie visible de l’iceberg. «"Aujourd’hui, pour être politiquement correctes, les entreprises se doivent a minima de se positionner sur le climat, décrypte Frédéric Bordage, fondateur de GreenIT. Pour les Gafam, cela se résume aux gaz à effet de serre et aux énergies renouvelables car ils répondent uniquement aux demandes minimales de leurs clients, qui reflètent la compréhension des enjeux par la société civile. »
Amazon en est l’exemple parfait. Le géant du e-commerce a annoncé en septembre vouloir a!eindre la neutralité carbone en 2040 et promet d’a!eindre 50%% de livraisons à zéro émission de carbone d’ici à dix ans.
La firme de Sea!le chiffre son empreinte carbone – liée à ses activités directes et indirectes – à 44,4"millions de tonnes de CO pour l’année 2018, selon les 2 derniers chiffres communiqués. Elle s’engage également à recourir à 100%% d’énergies renouvelables d’ici à 2030 pour ses data centers.
Les problématiques liées à l’intégralité de la chaîne de valeur sont donc oubliées : épuisement des ressources naturelles et extraction de métaux rares, gestion des déchets… Les utilisateurs représentent 54%% du bilan énergétique global du numérique, contre 29%% pour les réseaux et 17%% pour les centres informatiques, selon GreenIT. « Les promesses des entreprises tech vont dans le bon sens, mais ce n’est absolument pas suffisant pour perme%re de réduire concrètement les impacts environnementaux », regre!e Frédéric Bordage. Pour aller plus loin, les entreprises tech devraient donc inciter les sous-traitants, mais aussi les consommateurs, à se t o ur ner v e r s d e s c hoi x durables. Apple dit se mobiliser en ce sens. Il revendique par exemple avoir « réduit de 70!% l’énergie moyenne utilisée par ses produits depuis 2008 »,
peut-on lire sur son site Internet. Depuis 2015, il a également lancé un programme dédié à ses sous-traitants, pour les inciter à utiliser 100%% d’énergies propres pour leurs productions dédiée à la firme de Cupertino. Le fabricant des iPhone revendique désormais 44"sous-traitants dans son programme.
POUSSER À ACHETER TOUJOURS PLUS
Mais, en parallèle, Apple est régulièrement accusé de pratiquer l’obsolescence programmée, c’est-à-dire de dégrader volontairement ses propres appareils pour inciter le consommateur à acheter un modèle plus récent. En 2017,
la firme de Cupertino avait admis que son système d’exploitation iOS ralentissait volontairement les processeurs de certains anciens modèles d’iPhones (iPhone"6, iPhone"6s et iPhone"SE). Apple avait alors justifié cette manoeuvre pour « prolonger la durée de vie des appareils » . La réalité est que le ver est dans le fruit : la protection de l’environnement finit par entrer en collision avec la nature même des activités des géants du Net. « Inciter à consommer plus durablement est en totale contradiction avec leurs intérêts économiques, souligne
Agathe Martin. Que ce soient
des fabricants [comme Apple] ou des plateformes [comme
Facebook ou Google], leur intérêt est respectivement de vendre toujours plus de produits et d’agréger massivement des données pour attirer de nouveaux clients et annonceurs. »
Et de poursuivre : « Toutes les parties prenantes sont pleines de contradictions. Les consommateurs eux-mêmes ne se sont pas prêts à faire l’impasse sur le confort acquis grâce au numérique. »