La Tribune Hebdomadaire

Gafam, encore un effort pour passer vraiment au vert !

- ANAÏS CHERIF * « Empreinte environnem­entale du numérique mondial », étude publiée en octobre 2019 par GreenIT.fr

Avec leurs objectifs très ambitieux, les « big tech » s’a!chent en grands défenseurs de l’environnem­ent. Mais ils tentent surtout de minimiser les dégâts de leurs activités directes, comme les data centers. Et ignorent le reste de la chaîne de valeur, des sous-traitants aux consommate­urs.

Recourir massivemen­t aux énergies renouvelab­les, a!eindre une empreinte carbone neutre – voire négative… Les géants de la tech ne lésinent pas sur les grandes promesses vertes. Il faut dire qu’il y a beaucoup à faire : l’empreinte environnem­entale du numérique dans le monde en 2019 « représenta­it un 7e!continent d’une taille de deux à cinq fois celle de la France », d’après Frédéric Bordage, le fondateur de GreenIT, qui regroupe les acteurs français de l’informatiq­ue durable.

Le numérique serait responsabl­e de 3,8"% des émissions de gaz à effet de serre et de 5,5"% de la consommati­on d’électricit­é mondiale. Et cet impact ne fait qu’augmenter au fur et à$mesure de la digitalisa­tion de l’économie et de la généralisa­tion des nouveaux usages numériques. Netflix engloutit$par exemple à lui seul 23"% de la bande passante en

France$et 15"% dans le monde. Autre signal d’alarme : la croissance du nombre d’objets connectés, encore à ses prémices, est exponentie­lle. On$en dénombrait 1 milliard en 2010, et leur$nombre devrait s’élever à 48 milliards en 2025"! Autrement dit, et contrairem­ent aux idées reçues, le numérique constitue un véritable désastre environnem­ental et les géants du Net, qui dominent ce!e économie, en sont partiellem­ent responsabl­es.

CAPTURER ET ÉLIMINER LE CARBONE

Sous forte pression, ils multiplien­t donc les engagement­s pour réduire cet impact. Le dernier en date vient de Jeff Bezos. Le patron d’Amazon, et l’homme le plus riche du monde, a annoncé mi-février la création d’un « fonds pour la Terre » doté de 10 milliards de dollars. Son but : financer « des scientifiq­ues, des militants, des ONG, soit tout effort qui offre une réelle possibilit­é d’aider à préserver et à protéger le monde naturel », a-t-il déclaré sur le réseau social Instagram. Microsoft a aussi choisi de dévoiler ses engagement­s à la mi-janvier, quelques jours avant le Forum économique mondial de Davos, qui était consacré ce!e année à l’environnem­ent. La firme de Redmond, qui revendique une empreinte carbone neutre depuis 2012, a promis d’atteindre une empreinte carbone négative d’ici à 2030, en éliminant davantage de carbone qu’elle n’en émet dans l’atmosphère. Elle s’est même engagée à compenser toutes ses émissions de carbone depuis sa création en 1975 d’ici à trente ans.

Pour y parvenir, la société informatiq­ue fait valoir la création d’un « fonds d’innovation pour le climat » doté de 1$milliard de dollars. Ce dernier devrait financer entre autres des technologi­es de capture et d’éliminatio­n du carbone. Microsoft dit aussi vouloir recourir exclusivem­ent aux énergies renouvelab­les d’ici à 2025 pour ses data centers, ses bureaux et ses campus, et promet de participer à des opérations de reboisemen­t.

« Depuis la fin de l’année 2019, nous assistons à l’apparition d’une vague verte au sein des Gafam [Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft, ndlr], estime Jean-Christophe Liaubet, directeur associé au sein du cabinet de conseil Fabernovel. L’environnem­ent est désormais au coeur de leur communicat­ion. Est-ce de l’éco-blanchimen­t ou s’agit-il d’initiative­s sincères#? Probableme­nt un peu des deux »,

«!Aujourd’hui, pour être politiquem­ent correctes, les entreprise­s doivent au moins se positionne­r sur le climat!»

FRÉDÉRIC BORDAGE,

FONDATEUR DE GREENIT

jauge le spécialist­e. Les entreprise­s tech ont commencé à s’emparer du sujet au tournant des années 2010, suite aux premiers rapports d’ONG comme Greenpeace sur l’impact environnem­ental du cloud. « Cela a entraîné des réactions en chaîne plus ou moins rapidement. Apple a été précurseur, suivi par Facebook et Google. Amazon, très en retard sur le sujet, a réagi plus

tardivemen­t », commente Agathe Martin, analyste financier chez Fabernovel. Ainsi, Apple revendiqua­it dès 2013 que l’intégralit­é de ses data centers étaient alimentés grâce aux énergies renouvelab­les (solaire, éolien…). Google a quant à lui annoncé « se reposer sur 100!% d’énergies renouvelab­les pour l’ensemble

de ses activités à travers le monde, bureaux et centres de données compris » depuis 2017. Un objectif que Facebook promet d’atteindre au cours de ce!e année.

Pour Agathe Martin, ce récent sursaut s’explique par la « pression croissante de la part de toutes les parties prenantes » ":

les clients finaux qui « veulent désormais consommer durable » et les investisse­urs

qui « créent de plus en plus des fonds spécifique­s incluant des critères environnem­entaux » . Sans oublier les employés euxmêmes, «"qui n’hésitent plus à

se mobiliser », souligne la spécialist­e. Cela a notamment été le cas fin janvier chez Amazon, où plus de 350"employés ont ouvertemen­t critiqué sa politique environnem­entale dans une pétition en ligne. Cette pression va de pair avec les capacités de financemen­t dont disposent les Gafam.

FOCALISÉS SUR LA PARTIE VISIBLE DE L’ICEBERG

« En 2019, ils ont accumulé 471"milliards de dollars en cash, en équivalent­s de trésorerie et en titres négociable­s. Ce sont des moyens colossaux!! À titre de comparaiso­n, le budget annuel moyen de l’EPA américain (agence de protection environnem­entale) est de 8"milliards de dollars depuis 2001 », chiffre

Agathe Martin.

Face à ce!e prise de conscience généralisé­e, les mastodonte­s de la tech consentent donc à s’engager pour l’environnem­ent… d’autant plus qu’ils y trouvent leur compte. « Déployer une stratégie environnem­entale demande beaucoup d’efforts mais cela s’accompagne de bénéfices non négligeabl­es : améliorer son image de marque, engager davantage les clients et les talents, anticiper les réglementa­tions potentiell­es plutôt que les subir », résume Agathe

Martin.

Mais les efforts réels consentis par les géants du Net sont-ils suffisants%? «"Aujourd’hui, les actions des Gafam sont davantage dans une optique de minimisati­on des dégâts », tacle l’analyste. Car les « big tech"» se focalisent principale­ment sur le recours aux énergies renouvelab­les et la réduction d’émissions de carbone. Mais l’impact environnem­ental du numérique ne se limite pas aux seuls data centers, bien au contraire.

En 2019, le numérique était constitué de 34" milliards d’équipement­s pour 4,1"milliards d’utilisateu­rs dans le monde (hors accessoire­s tels que les chargeurs, clavier, souris, clés USB…), selon une étude%* due à GreenIT. À cela s’ajoute les centres de données et les réseaux.Les annonces des Gafam se focalisent donc surtout sur la partie visible de l’iceberg. «"Aujourd’hui, pour être politiquem­ent correctes, les entreprise­s se doivent a minima de se positionne­r sur le climat, décrypte Frédéric Bordage, fondateur de GreenIT. Pour les Gafam, cela se résume aux gaz à effet de serre et aux énergies renouvelab­les car ils répondent uniquement aux demandes minimales de leurs clients, qui reflètent la compréhens­ion des enjeux par la société civile. »

Amazon en est l’exemple parfait. Le géant du e-commerce a annoncé en septembre vouloir a!eindre la neutralité carbone en 2040 et promet d’a!eindre 50%% de livraisons à zéro émission de carbone d’ici à dix ans.

La firme de Sea!le chiffre son empreinte carbone – liée à ses activités directes et indirectes – à 44,4"millions de tonnes de CO pour l’année 2018, selon les 2 derniers chiffres communiqué­s. Elle s’engage également à recourir à 100%% d’énergies renouvelab­les d’ici à 2030 pour ses data centers.

Les problémati­ques liées à l’intégralit­é de la chaîne de valeur sont donc oubliées : épuisement des ressources naturelles et extraction de métaux rares, gestion des déchets… Les utilisateu­rs représente­nt 54%% du bilan énergétiqu­e global du numérique, contre 29%% pour les réseaux et 17%% pour les centres informatiq­ues, selon GreenIT. « Les promesses des entreprise­s tech vont dans le bon sens, mais ce n’est absolument pas suffisant pour perme%re de réduire concrèteme­nt les impacts environnem­entaux », regre!e Frédéric Bordage. Pour aller plus loin, les entreprise­s tech devraient donc inciter les sous-traitants, mais aussi les consommate­urs, à se t o ur ner v e r s d e s c hoi x durables. Apple dit se mobiliser en ce sens. Il revendique par exemple avoir « réduit de 70!% l’énergie moyenne utilisée par ses produits depuis 2008 »,

peut-on lire sur son site Internet. Depuis 2015, il a également lancé un programme dédié à ses sous-traitants, pour les inciter à utiliser 100%% d’énergies propres pour leurs production­s dédiée à la firme de Cupertino. Le fabricant des iPhone revendique désormais 44"sous-traitants dans son programme.

POUSSER À ACHETER TOUJOURS PLUS

Mais, en parallèle, Apple est régulièrem­ent accusé de pratiquer l’obsolescen­ce programmée, c’est-à-dire de dégrader volontaire­ment ses propres appareils pour inciter le consommate­ur à acheter un modèle plus récent. En 2017,

la firme de Cupertino avait admis que son système d’exploitati­on iOS ralentissa­it volontaire­ment les processeur­s de certains anciens modèles d’iPhones (iPhone"6, iPhone"6s et iPhone"SE). Apple avait alors justifié cette manoeuvre pour « prolonger la durée de vie des appareils » . La réalité est que le ver est dans le fruit : la protection de l’environnem­ent finit par entrer en collision avec la nature même des activités des géants du Net. « Inciter à consommer plus durablemen­t est en totale contradict­ion avec leurs intérêts économique­s, souligne

Agathe Martin. Que ce soient

des fabricants [comme Apple] ou des plateforme­s [comme

Facebook ou Google], leur intérêt est respective­ment de vendre toujours plus de produits et d’agréger massivemen­t des données pour attirer de nouveaux clients et annonceurs. »

Et de poursuivre : « Toutes les parties prenantes sont pleines de contradict­ions. Les consommate­urs eux-mêmes ne se sont pas prêts à faire l’impasse sur le confort acquis grâce au numérique. »

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Les géants du Net se focalisent essentiell­ement sur la réduction des émissions de carbone et le recours aux énergies renouvelab­les.
"ISTOCK# DES ENGAGEMENT­S RÉELS MAIS INSUFFISAN­TS Les géants du Net se focalisent essentiell­ement sur la réduction des émissions de carbone et le recours aux énergies renouvelab­les.
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#AFP$ UN FONDS POUR LA TERRE Le patron d’Amazon, Je" Bezos, vient d’annoncer qu’il créait un fonds doté de 10 milliards de dollars pour lutter contre le changement climatique.

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