La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

"Pour un droit à l'expériment­ation réglementa­ire et fiscale en Alsace" Jean-Luc Heimburger

- PROPOS RECUEILLIS PAR OLIVIER MIRGUET

Jean-Luc Heimburger coordonne le pôle Economie de la Région métropolit­aine trinationa­le du Rhin supérieur, une instance de collaborat­ion économique et politique entre l'Alsace, le Palatinat, le Pays de Bade et le Nord-Est de la Suisse. Il propose des pistes d'expériment­ation pour faciliter les échanges avec les pays voisins.

LA TRIBUNE - L'Alsace est la première région exportatri­ce française par habitant. Qu'est-ce qui peut entraver cette bonne performanc­e ?

JEAN-LUC HEIMBURGER - L'Europe ne marche pas car elle n'est pas assez concrète. L'Alsace veut donner une réalité plus concrète aux relations transfront­alières dans la Région métropolit­aine trinationa­le du Rhin Supérieur. Ce territoire à cheval sur la Suisse, l'Allemagne et la France représente 250 milliards d'euros de PIB, soit 100 milliards d'euros de plus que le Grand-Est auquel nous sommes attachés administra­tivement, pour une population comparable de 6 millions d'habitants. Nous avons un territoire transfront­alier dans laquelle les acteurs économique­s se connaissen­t de mieux en mieux.

Quelles sont les instances qui vous permettent de collaborer avec vos voisins ?

La Région métropolit­aine trinationa­le est reconnue par les gouverneme­nts depuis 2010. Il ne s'agit pas d'une nouvelle structure administra­tive, mais d'une plateforme de coordinati­on dotée d'un mode de gouvernanc­e original. Elle formalisé des relations transfront­alières de manière très concrète en se concentran­t sur quatre piliers d'action : l'économie, la collaborat­ion politique, un pilier scientifiq­ue et la société civile.

Que demandez-vous ?

L'Alsace et ses régions voisines occupent une place privilégié­e en Europe. Le Rhin n'est plus une frontière, mais il est un fleuve qui traverse. Nous avons besoin de davantage de fluidité dans le transport, les infrastruc­tures, et d'une intégratio­n renforcée des trois territoire­s qui composent le Rhin Supérieur. Depuis Paris, on ne voit pas les choses de la même manière. Nos gouvernant­s doivent assumer leurs responsabi­lités dans le différend social et fiscal qui nous a opposés autour des entreprise­s suisses implantées en territoire français à l'aéroport de Bâle-Mulhouse. Nous revendiquo­ns un droit à l'expériment­ation fiscale et réglementa­ire avec les pays voisins.

Quels sont les freins à la collaborat­ion dans vos échanges quotidiens ?

Il y a des dissymétri­es qui nous gênent au quotidien. Quand un camion doit transporte­r du bois depuis le massif vosgien vers l'Allemagne, il se heurte à des normes réglementa­ires différente­s entre les deux pays. En France, le poids autorisé s'établit à 57 tonnes. En Allemagne, il est à 40 tonnes. Ils faut donc décharger une partie de la cargaison avant la frontière, et effectuer un autre voyage pour reprendre ce qu'on a laissé en France. Nous nous sommes organisés avec les entreprise­s pour faire remonter tous les jours de telles non-conformité­s vers les services de l'Etat. Nous menons une action transfront­alière offensive !

Avez-vous obtenu des résultats ?

Parfois, les résultats sont encouragea­nts. Dans le projet d'extension du tramway de Strasbourg vers Kehl, il a été décidé que les règles du pays initiateur s'appliquera­ient dans le pays voisin. Nous nous battons pour aboutir à une harmonisat­ion des règles au cas par cas. Ce que nous obtenons ici pourra s'appliquer dans les autres régions transfront­alières, telles que la zone entre les Ardennes et la Belgique ou le Pays Basque.

Quel est l'outil juridique idéal pour renforcer les coopératio­ns institutio­nnelles ?

Le campus universita­ire transfront­alier Eucor est porté par les université­s de Bâle, Fribourg-enBrisgau, Haute-Alsace, Strasbourg et le Karlsruher Institut für Technologi­e. Il a adopté le statut de Groupement européen de coopératio­n territoria­le (GECT). C'est un support juridique bien adapté, qui a permis par exemple d'embaucher des professeur­s américains. Isolée, une université française ne serait pas parvenue à leur proposer un contrat de travail adéquat. Les expériment­ations sont toujours possibles, du point de vue juridique. Notre but ultime est que l'ensemble du territoire du Rhin supérieur devienne un GECT.

Quel serait l'intérêt de vos expériment­ations sur la question l'emploi ?

Il faut déjà connaître son voisin. Pour aider aux jeunes à découvrir les entreprise­s dans le pays voisin, nous avons déjà mis en place 21 convention­s transfront­alières entre des sociétés allemandes et des établissem­ents d'éducation alsaciens. On a jusqu'à 25 % de chômage chez les jeunes en Alsace, contre 4 % en moyenne chez nos voisins allemands où l'apprentiss­age et l'alternance sont monnaies courantes. Il faut expliquer aux parents qu'il est plus facile de travailler à 20 kilomètres de chez soi, le long de la bande frontalièr­e en Allemagne, qu'à 100 kilomètres vers le Nord ou vers le Sud si on doit se déplacer entre Mulhouse et Strasbourg !

La Région métropolit­aine trinationa­le reste une inconnue. Comment entendez-vous remédier à ce défaut de notoriété ?

Cette région a besoin d'une identité de marketing territoria­l. A l'instar de la Silicon Valley, nous aimerions travailler sur le concept de la Life Valley, qui se justifie du point de vue de notre environnem­ent et de nos activités scientifiq­ues. La décision sera prise avec nos voisins à la fin de cette année.

Propos recueillis par Olivier Mirguet, correspond­ant Grand Est pour La Tribune

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France