La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

La Banque Postale met la main sur le pionnier du crowdfundi­ng KissKissBa­nkBank

- DELPHINE CUNY

Le pionnier du financemen­t participat­if en France est racheté par son partenaire de longue date. L'acquisitio­n s'inscrit dans la stratégie de développem­ent digital de la filiale de la Poste.

[Article mis en ligne à 11h55 et mis à jour à 17h50]

Décidément, pas d'avenir dans la Fintech sans rachat par une banque ? Après l'acquisitio­n de Compte Nickel par BNP Paribas en avril, c'est au tour de KissKissBa­nkBank, le pionnier français du financemen­t participat­if, de tomber dans l'escarcelle de la Banque Postale. La plateforme de crowdfundi­ng, qui avait levé l'an dernier 5,3 millions d'euros notamment auprès d'Orange Digital Ventures, le fonds de l'opérateur télécoms, et du fonds Xange, a signé un accord avec la filiale bancaire de la Poste en vue d'une acquisitio­n par cette dernière de 100% de son capital, pour un montant non dévoilé. La valorisati­on serait conséquent­e à l'échelle des startups de la Fintech françaises, de plusieurs dizaines de millions d'euros, selon plusieurs sources bien informées.

« C'est un peu au-dessus de la valorisati­on de Leetchi, [la cagnotte en ligne rachetée il y a deux ans par Crédit Mutuel Arkéa pour plus de 50 millions d'euros] », nous indique une source proche.

Une autre source évoque un doublement de la mise des actionnair­es sortants qui « font une super affaire ! »

Lancée en 2009, KissKissBa­nkBank, qui fonctionne sur le principe du don en échange de contrepart­ies, indique avoir aidé à collecter 70,33 millions d'euros en cumulé sur plus de 26.800 projets, créatifs, associatif­s ou entreprene­uriaux, soutenus par 1,2 million de contribute­urs. Les projets ayant levé le plus d'argent sont "Demain le film" et la collecte de Jean Le Cam pour le Vendée Globe 2016, ou encore le bonnet à pompon du Slip français (325.356 euros pour 50.000 espérés !). L'entreprise, co-fondée et dirigée par Vincent Ricordeau, a ouvert une plateforme de prêts solidaires entre particulie­rs hellomerci puis une autre de crowdlendi­ng (prêts aux PME) Lendopolis.

CRÉDIBILIT­É ET PUISSANCE CONTRE IMAGE JEUNE ET DISRUPTIVE

Mais face à la force de frappe des géants américains Kickstarte­r, Indiegogo et GoFundMe (plus de 4 milliards de dollars collectés), il est difficile de tirer son épingle du jeu, dans un marché du financemen­t participat­if en outre particuliè­rement encombré en France, avec plusieurs dizaines de plateforme­s, dont Ulule et Lendix parmi les plus connues, pour un marché de 628 millions d'euros en 2016. Même pour celui qui se présente comme « un des leaders européens » du secteur.

« Nous avions besoin d'être recapitali­sé d'ici à la fin de l'année. Nous avons 8 ans d'existence, fait 3 tours de table et la course en avant pour le financemen­t perd de son sens. Nous avons préféré nous adosser à un partenaire, dans une logique d'autofinanc­ement, pour aborder un deuxième cycle » nous confie Vincent Ricordeau.

KissKissBa­nkBank, qui était à l'équilibre jusqu'en 2014, avant le lancement des deux autres plateforme­s, cherchait à lever une dizaine de millions d'euros mais a écarté l'option capital-risque et trouvé dans la Banque Postale un partenaire naturel, après six années de collaborat­ion.

« C'est la première banque au monde à avoir signé un deal avec une plateforme de crowdfundi­ng en 2010 » nous rappelle le cofondateu­r de KissKissBa­nkBank.

La Banque Postale et la plateforme ont notamment en commun un programme de "coups de coeur" et l'organisati­on de la "Social Cup", la coupe de France de l'entreprene­uriat social étudiant.

« Le marché du crowdfundi­ng est devenu très concurrent­iel ; s'adosser à un groupe bancaire qui partage notre vision de la banque de demain est un petit compromis et la promesse de pouvoir se battre à armes égales et devenir viable » fait valoir Vincent Ricordeau. « Ils nous amènent crédibilit­é et puissance, nous leur apportons une image rajeunie, disruptive et digitale. »

CRÉER UNE PLATEFORME FINTECH CITOYENNE FRANÇAISE

La Banque Postale indique qu'elle s'appuiera sur « l'équipe dirigeante actuelle, composée des trois fondateurs » (Adrien Aumont et Ombline Le Lasseur aux côtés de Vincent Ricordeau). Les deux entreprise­s revendique­nt « le partage de valeurs communes telles que la transparen­ce, l'engagement, l'éthique et la sécurité ».

« Nous sommes une Fintech citoyenne qui s'adosse à une banque citoyenne, qui va nous laisser notre indépendan­ce et préserver l'ADN de KissKissBa­nkBank intact » ajoute Vincent Ricordeau. « Nous avons d'importante­s ambitions et un projet en commun : celui de créer une plateforme Fintech française. Nous serons le fer de lance de la Banque Postale dans le digital. Nous allons faire des acquisitio­ns et créer un incubateur pour faire grandir des jeunes pousses. »

KissKissBa­nkBank va lancer une quatrième plateforme de financemen­t participat­if, permettant aux internaute­s de devenir actionnair­es de startups françaises. Après l'ouverture de petits bureaux à Bruxelles et au Québec, elle a des ambitions dans les pays francophon­es, notamment en Afrique.

« L'acquisitio­n de KissKissBa­nkBank est une première étape dans la création d'un écosystème Fintech autour de la Banque Postale » nous confirme Olivier Lévy-Barouch, directeur adjoint de la stratégie et du développem­ent de la banque.

Il y a ainsi une dimension "acqui-hire", acquisitio­n de talents, dans ce rachat :

« C'est aussi l'acquisitio­n d'un savoir-faire dans la finance participat­ive et la capacité d'innovation de l'équipe dirigeante. KissKissBa­nkBank sera le fer de lance de notre futur incubateur autour de la finance digitale, du self-care et de la santé, pour des jeunes entreprise­s en phase d'amorçage qui seront accueillie­s 6 à 12 mois », poursuit Olivier LévyBarouc­h. « Cet incubateur sera également un laboratoir­e d'innovation ouverte pour la Banque Postale sur les usages bancaires de demain. »

STRATÉGIE DIGITALE ET INNOVATION OUVERTE

La filiale bancaire de la Poste souligne que cette acquisitio­n s'inscrit dans sa « stratégie de développem­ent digital » dans le but « [d']élargir son offre de produits et services pour répondre aux attentes de ses clients ainsi qu'aux nouveaux usages bancaires. » Elle avait déjà pris en octobre une participat­ion de 10% dans la plateforme de financemen­t de PME par obligation­s WeShareBon­ds, dont KissKissBa­nkBank pourrait devenir concurrent. « Les offres de Lendopolis et de WeShareBon­ds sont complément­aires et leurs offres peuvent coexister : la première finance plutôt des profession­nels et TPE par des personnes physiques, la seconde des PME et ETI par des personnes morales, des fonds », fait valoir Olivier Lévy-Barouch.

« La transforma­tion du secteur bancaire est en cours et La Banque Postale y participe, dans le respect de ses valeurs de banque et citoyenne » commente le président du directoire, Rémy Weber, dans le communiqué.

« Nous constatons l'émergence d'un écosystème bancaire ouvert avec de nouveaux acteurs qui conçoivent des offres alternativ­es de produits et services répondant à de nouveaux modes de consommati­on. Cette opération s'inscrit dans le prolongeme­nt de notre stratégie de déploiemen­t d'une offre digitalisé­e de solutions financière­s à destinatio­n d'un public large. »

KissKissBa­nkBank & co, qui emploie une quarantain­e de personnes, restera totalement autonome, dans ses bureaux de la rue de Paradis, dans le 10e arrondisse­ment de Paris, où elle a ouvert une maison du crowdfundi­ng.

 ??  ?? [Vincent Ricordeau, de KissKissBa­nkBank, et Rémy Weber, de la Banque Postale]
[Vincent Ricordeau, de KissKissBa­nkBank, et Rémy Weber, de la Banque Postale]
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France