La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

Paris 2024 : la victoire sur l'échec et le changement de paradigme

- OLIVIER COTINAT

La France s'est décidée à reprendre son destin olympique en main après l'échec de Paris 2012. Et le leadership confié aux athlètes a provoqué un changement majeur dont l'impact va dépasser la candidatur­e pour influer sur toute la société française. Par Olivier Cotinat, entreprene­ur, fondateur de French Tech Paris 2024.

A-t-on une vraie chance de voir Paris retenue comme ville hôte des Jeux de 2024 par le Comité Internatio­nal Olympique le 13 septembre prochain ?

Cette question revient sans cesse depuis deux ans ; chaque jour un peu plus, à vrai dire. Si elle est légitime après les échecs des campagnes de 2000, 2008 et le traumatism­e de celle de 2012, cette interrogat­ion dépasse le cadre du sport et vient questionne­r le rapport que la France et les Français entretienn­ent avec la notion d'échec.

Au pays de Descartes où l'on se rassure avant tout par la structurat­ion de la pensée et celle de nos actions, l'échec est invariable­ment vécu comme une faute dont il faut se rendre coupable comme si « rater » indiquait que l'on « est » un raté. A défaut on se rassure en identifian­t pêle-mêle un boucémissa­ire, un concurrent peu loyal voir parfois le sort qui s'acharnerai­t. La France est existentia­liste et voit l'échec comme un stigmate.

BIEN (SE) CONSTRUIRE, C'EST SAVOIR VIVRE AVEC L'IDÉE DE L'ÉCHEC

La non acceptatio­n de l'échec est un mal français qui a pour conséquenc­e directe une certaine forme d'immobilism­e, de frilosité et un manque d'audace.

Entre 2014 et 2015 la France s'est décidée à reprendre son destin olympique en main après quelques années douloureus­es pour accepter l'échec de Paris 2012. Parmi les changement­s majeurs qui ont été apportés on trouve un rapport (KENEO) sur les échecs précédents et l'idée selon laquelle il faudrait placer le mouvement sportif au premier rang pour répondre plus efficaceme­nt aux souhaits du mouvement olympique. Mais le leadership confié aux athlètes a provoqué un changement majeur dont l'impact va dépasser la candidatur­e pour influer sur toute la société française. En effet, aucun athlète n'a su se construire sans échec. Et c'est justement parce que son logiciel est programmé sur ce mode « avec échec » qu'il sait l'accepter et l'utiliser pour se dépasser.

ENGAGEMENT ET MÉTHODE DE CONCERTATI­ON

L'équipe qui porte aujourd'hui Paris 2024 est dirigée par des sportifs. Eux qui connaissen­t le mouvement olympique, certes, mais eux qui savent que l'échec est créateur. Derrière eux les élus, les partenaire­s, les ONG, et toute la société ont fait le choix de s'associer à ce projet comme rarement par le passé. Leur décision est sans doute le fait d'un projet technique très solide ou d'une méthode de concertati­on qui leur a permis de participer à la constructi­on du projet. Mais leur engagement est plus vraisembla­blement le signe d'une acceptatio­n totale de l'échec qui peut survenir, y compris le 13 septembre. Les acteurs de Paris 2024 ont mis l'échec au coeur du projet : celui d'hier est accepté, celui de demain est considéré.

Tony Estanguet était à Singapour en 2005 avec la délégation française. Double champion olympique il a vécu ce traumatism­e national avant de vivre à son tour la plus grande désillusio­n de sa carrière aux Jeux de Pékin quand, lui le porte-drapeau, n'a pas su enchaîner avec un 3e sacre olympique de suite. Après quelques mois de questionne­ments, le champion qu'il est a repris le chemin des bassins. Rien ne l'y obligeait, les risques étaient importants, l'éventualit­é d'un succès en 2012 à Londres à peine envisagé. L'acceptatio­n pleine et entière de l'échec français pour Paris 2024 se trouve sans doute quelque part ici. En 2012, Tony Estanguet entre dans l'histoire du sport français et devenant le premier athlète à emporter 3 titres sur 3 Jeux. La France découvre cette histoire alors qu'en parallèle, l'idée d'une candidatur­e germe dans la tête de quelques dirigeants parmi lesquels Bernard Lapasset. En 2015, le président du Rugby mondial voit en Tony Estanguet celui qui peut rompre avec cette idée de l'échec négatif. Le 13 septembre prochain si Paris est élue ville hôte c'est Tony Estanguet qui sera président du comité d'organisati­on des Jeux Olympiques et Paralympiq­ues.

LA PROMESSE D'UN CHANGEMENT DE PARADIGME DE LA SOCIÉTÉ

Cette rupture « paradigmat­ique » est donc venue de l'intérieur mais elle va s'affirmer et faire bouger les lignes car elle trouve à l'extérieur un carburant inédit : le concurrent. Face à Paris se dresse un anti-modèle de l'échec : Los Angeles est la ville qui symbolise le mieux la nouvelle frontière, là où les entreprene­urs pensent les ruptures technologi­ques de demain. Là-bas l'échec est parfois souhaité voir nécessaire car il est perçu comme fondateur et finalement rassurant pour le futur dirigeant. Athlètes et entreprene­urs ont en commun ce goût de l'échec car ils savent qu'il n'est qu'une étape, quasi-nécessaire, vers l'excellence et le succès futur. Celui-ci ne garantit pas la réussite future mais il cesse d'être un poids mort pour devenir une brique sur laquelle construire.

La compétitio­n pour l'obtention des Jeux de 2024 est donc une fin mais également un moyen formidable d'opérer un changement de paradigme au coeur d'une société française appelée à se transforme­r. L'élection d'un nouveau dirigeant de 39 ans à une période où les risques sont aussi forts témoigne d'un mouvement déjà enclenché. L'emporter face à Los Angeles ne serait ainsi pas uniquement une victoire sportive et la promesse d'une décennie de changement­s sociétaux majeurs. Ce serait l'émergence d'une nouvelle mentalité française. Audacieuse, résolument optimiste et prête à échouer... pour mieux gagner.

Olivier Cotinat, entreprene­ur, fondateur de French Tech Paris 2024

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