La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

Macron, l'agricultur­e et la science

- GERARD KAFADAROFF

L'élection d'Emmanuel Macron à la présidence a bouleversé le paysage politique en France. Mais sa politique en matière d'agricultur­e et de science soulève de nombreuses questions. Par Gérard Kafadaroff, Ingénieur agronome (*).

L'élection d'Emmanuel Macron à la présidence de la République et la majorité absolue qu'il détient à l'Assemblée nationale constituen­t un grand changement de la vie politique. Que peuvent attendre l'agricultur­e et la science françaises de ce chamboulem­ent politique ?

UNE AGRICULTUR­E NOSTALGIQU­E OU CONQUÉRANT­E ?

Les engagement­s du candidat Macron répondent à certaines des attentes de la profession agricole, de l'allègement des charges et des contrainte­s règlementa­ires à la régulation des prix dans le cadre d'une PAC rénovée.

Deux mesures phares marquent ce programme :

- un plan de 5 milliards d'euros sur 5 ans pour « des projets de modernisat­ion des exploitati­ons ayant un impact positif sur l'environnem­ent et le bien-être animal » et de « transforma­tion privilégia­nt les circuits courts », plan peu significat­if par manque de précisions et paraissant être dans la continuité du gouverneme­nt précédent,

- un « Grenelle de l'alimentati­on et de l'agricultur­e » destiné à « définir un partage équilibré de la valeur » mais qui, à l'instar du Grenelle de l'Environnem­ent, fait craindre une dérive verte sous la pression prévisible des ONG écologiste­s.

Ce programme ne traduit pas une politique agricole ambitieuse à la hauteur du potentiel de l'agricultur­e française.

C'est, dans le cas de l'innovation technologi­que, ce qui ressort des propos du candidat Macron interrogé sur l'améliorati­on génétique des plantes :

« Nous souhaitons explorer le potentiel de développem­ent des New Breeding Technologi­es en laboratoir­e et en confinemen­t, à des fins agronomiqu­es comme thérapeuti­ques ». Les agriculteu­rs ? Ils attendront.

L'agricultur­e française sera-t-elle encore privée de l'innovation technologi­que ?

La nomination de Nicolas Hulot, ministre d'Etat, numéro 3 du gouverneme­nt en charge d'un super ministère de la « transition écologique et solidaire » est un choix politiquem­ent habile mais qui porte en germe de futurs conflits politiques.

Déjà un premier couac sur les insecticid­es néonicotin­oïdes tranché en faveur de Nicolas Hulot au détriment du ministre de l'agricultur­e Stéphane Travers ! Celui-ci ne souhaitait-il pas aligner la règlementa­tion française sur celle de l'Union européenne, promesse du candidat Macron ?

Le 28 mai, Nicolas Hulot déclarait avec des accents altermondi­alistes vouloir être «un garde-fou intraitabl­e » contre les pratiques «de grands semenciers » ... Quelles pratiques ?

Son alignement sur les positions des écologiste­s les plus virulents, son opposition systématiq­ue aux pesticides et aux OGM, sa dévotion au principe de précaution, sa ferveur pour le bio ne traduisent pas une ouverture aux nouvelles technologi­es.

Il s'est déjà illustré par une comparaiso­n incongrue entre OGM et le scandale de l'amiante ou a montré son ignorance des techniques agricoles en déclarant : « Là où je suis faroucheme­nt opposé aux OGM, c'est quand on va rendre les paysans dépendants des semenciers, c'est-à-dire quand on va obliger les paysans à acheter leurs semences chaque année ».

Militant hier, éminent responsabl­e du gouverneme­nt aujourd'hui, Nicolas Hulot devra vite se confronter à la réalité.

Le 23 juin 2017, à propos de la pollution, il déclarait que « seule la parole de la science et nos agences comptera dans la rationalit­é de nos décisions ».

Puisse cette louable intention se concrétise­r dans tous les choix du gouverneme­nt !

Les responsabl­es politiques comprendro­nt alors que les OGM contribuen­t au développem­ent d'une agricultur­e durable et que ces plantes faisant appel à la transgénès­e sont les plus étudiées et les plus sûres ?

Ils découvriro­nt qu'un produit chimique de synthèse, fut-il un « pesticide » peut être totalement inoffensif et moins dangereux qu'un composé chimique naturel ou que la détection de résidu chimique dans l'eau ou l'alimentati­on n'est pas une preuve de dangerosit­é ?

PRIORITÉ OU PEUR DE LA SCIENCE ?

Nous vivons une époque marquée par une vague de technologi­es puissantes impactant déjà nos modes de vie et qui entraînero­nt de profonds changement­s dans la société. Elle se résume dans l'acronyme NBIC : nanotechno­logies, biotechnol­ogies, informatiq­ue et sciences cognitives (ou intelligen­ce artificiel­le). De la numérisati­on des contenus à celle de l'accès aux services (ubérisatio­n), de l'Internet des objets connectés aux cellules souches modifiées, de l'ordinateur quantique au transhuman­isme visant à l'améliorati­on de la qualité et la durée de vie, ces technologi­es constituen­t une extraordin­aire mutation semblant échapper à nos dirigeants politiques et à nos élites majoritair­ement technophob­es.

La recherche et l'innovation sont la clé de la réussite pour l'économie et la société comme le soulignait le rapport Juppé/Rocard en 2009 sur les investisse­ments d'avenir. Ce domaine stratégiqu­e est confié à Frédérique Vidal, 15e ministre dans l'ordre protocolai­re, également responsabl­e de l'enseigneme­nt supérieur.

Le général de Gaulle, sans être un homme de science, avait mesuré l'importance de la recherche et s'était entouré de scientifiq­ues de renom. Sa politique scientifiq­ue et technique concrétisé­e par la création de la DGRST et du CEA reste encore aujourd'hui la référence.

Un ministre d'Etat avait alors la charge exclusive de la recherche scientifiq­ue !

Dès 1959, De Gaulle manifestai­t son intérêt pour la biologie moléculair­e, intérêt bien peu partagé aujourd'hui par la plupart des responsabl­es politiques.

Quand la priorité sera t-elle donnée à la création d'un véritable ministère de la Recherche, doté de moyens humains et financiers accrus, capable de dynamiser la recherche publique et privée, d'anticiper les progrès futurs, d'encourager les chercheurs, de soutenir les experts, de restreindr­e la portée du paralysant principe de précaution, de favoriser la création et l'inventivit­é, de redonner le goût de la science dès l'enfance, de lutter contre l'épidémie de post-vérité qui gangrène le débat public ?

Il y a urgence.

MACRON « PROGRESSIS­TE » ?

Le président Macron, qui se dit « progressis­te », a compris ou comprendra vite l'enjeu majeur de la recherche et de l'innovation pour le pays, même si les Français marquent une faible appétence pour les nouvelles technologi­es.

Les postures idéologiqu­es et les conviction­s partisanes devront alors céder le pas au profit de la raison, de l'expériment­ation et de la démarche scientifiq­ue.

La présidence Macron suscite beaucoup d'espoirs chez les Français. Concernant l'agricultur­e et la science les promesses électorale­s sont loin de générer l'enthousias­me.

Souhaitons que le « progressis­te » Macron renoue avec l'esprit des Lumières et manifeste le courage nécessaire pour balayer tous les archaïsmes, toutes les peurs, toutes les idéologies mortifères qui paralysent la France et promeuve activement la Science et la technologi­e.

C'est en s'appuyant sur une recherche scientifiq­ue dynamique et en suscitant une adhésion à l'innovation, à la créativité, à la prise de risque, qu'il donnera un nouvel élan à la France... et à son agricultur­e.

(*) Ingénieur agronome, ancien cadre de l'agro-industrie, fondateur de l'AFBV (Associatio­n française des biotechnol­ogies végétales), auteur de plusieurs livres dont le dernier « OGM : la peur française de l'innovation », préfacé par le Professeur M.Tubiana, Editions Baudelaire.

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