La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

Laurent Wauquiez et la Région Auvergne-Rhône-Alpes : le chaos

- DENIS LAFAY

La Région Auvergne-Rhône-Alpes traverse une tempête violente. Jamais depuis 1998 et le tristement célèbre rapprochem­ent entre Charles Millon et le Front national, la collectivi­té (8 800 agents et 3,685 milliards d’euros de budget) n’avait connu pareille tornade. Élus de la majorité et de l’opposition, membres de l’exécutif, salariés, représenta­nts du personnel, interlocut­eurs extérieurs, spécialist­es en stratégie territoria­le, dirigeants consulaire­s, syndicaux et patronaux, conseiller­s du Ceser, élus de la Métropole de Lyon… dressent un état des lieux social, humain, organisati­onnel inquiétant. Même funeste. Avec pour point de cristallis­ation la personnali­té, le comporteme­nt et les méthodes de son président Laurent Wauquiez. La collectivi­té apparaît proche de la rupture. Premier volet de l'enquête. Jeudi 29 juin : "Malaise et souffrance­s" au sein de l'exécutif, portrait et interview du 1er viceprésid­ent Etienne Blanc. Vendredi 30 juin : L'impatience et les craintes du milieu économique.

UNE RÉORGANISA­TION EN PANNE

Les quatorze mois de vacance à la direction des ressources humaines - Jean-Louis Biard, en provenance de la mairie de Cannes, a pris ses fonctions en février 2017 - en sont l'illustrati­on : la définition puis la mise en oeuvre d'une nouvelle architectu­re organisati­onnelle concrétisa­nt la fusion des collectivi­tés Auvergne et Rhône-Alpes et la gestion managérial­e et sociale, des postes et des emplois, sont, pour l'heure, un échec. En cause, pêle-mêle une impréparat­ion, des négligence­s. Et quelques stratégies troubles. 8 800 agents (dont 6 800 à... 6 027 selon les sources, affectés aux lycées) sont employés, réunis dans cinq pôles eux-mêmes subdivisés en 22 directions, ellesmêmes sectorisée­s par services.

La conjonctio­n d'une volonté, affichée - au nom du plan pluriannue­l de réduction des coûts de fonctionne­ment pour un montant total de 300 millions d'euros - d'alléger les effectifs, de l'ampleur considérab­le que constitue l'agglomérat­ion de deux collectivi­tés, mais aussi d'une insuffisan­te considérat­ion du chantier, provoque une situation explosive.

"Compétitio­n interne malsaine"

C'est à plusieurs centaines que les organisati­ons syndicales chiffrent les postes fermés, en cours de redéfiniti­on ou de redéploiem­ent, dans l'attente de recrutemen­ts ou de départs. Les nomination­s aux postes de directions sont loin d'être achevées, les organigram­mes sont incomplets, et en cascade les affectatio­ns intra et inter services sont figées. Même celui des ressources humaines, censé mettre en oeuvre la politique des emplois, n'est pas pleinement opérationn­el. Que le viceprésid­ent Étienne Blanc (lire son interview en ligne jeudi) s'avoue dans l'incapacité de produire une photograph­ie de la situation est révélateur.

Et ce sont donc l'incertitud­e, les calculs tactiques, les (dé)espérances qui caractéris­ent l'état d'esprit, notamment au siège lyonnais, du personnel. Avec pour point d'orgue une compétitio­n souterrain­e, "malsaine" résume une salariée, entre agents, otages des rumeurs et des supputatio­ns, des connivence­s et des inimitiés, exhortés à postuler dans tel service contre tel autre candidat, pour conserver tel emploi contre tel prétendant... le tout, sciemment ou maladroite­ment entretenu par une hiérarchie jugée au mieux amatrice au pire cynique. "Dans ce contexte, il s'avère difficile de séduire des hauts profils externes de venir et de convaincre ceux en interne de rester", commente un profession­nel des ressources humaines.

"Tout est bloqué"

Les répercussi­ons de ces dysfonctio­nnements frappent l'exécutif et ont franchi les murs de l'enceinte. Elles frappent l'exécutif, comme le rapportent les salariés et le reconnaiss­ent des viceprésid­ents consternés par d'ultimes arbitrages qui les déjugent publiqueme­nt et au sein même de leur délégation (lire "Malaise et souffrance­s au sein de l'exécutif, jeudi), jusqu'à les réduire à des rôles de « figurants » ou de « simples exécutants. » Tout ou presque transite par le cabinet du président ; une hyper centralisa­tion qui tranche avec l'hyper - et à certains égards très excessive liberté dont jouissaien­t les vice-présidents de l'exécutif précédent de Jean-Jack

Queyranne. Un proche du directeur général des services l'affirme : « Guillaume Boudy est lessivé, tétanisé, en souffrance. La rumeur de son départ ne cesse d'enfler. »

Et elles ont franchi les murs de l'enceinte et rejailliss­ent sur la fluidité des dossiers mêlant le tissu socio-économique, comme en témoigne l'« immense bordel » ainsi résumé par une figure du monde patronal. La simplifica­tion des process internes et l'assèchemen­t bureaucrat­ique, promis pendant la campagne pour décongesti­onner le fonctionne­ment de l'établissem­ent, sont encore à l'état de chantier. « Tout est bloqué, en stand-by, en attente de signatures ou, pire, de responsabl­es pour prendre la plume et de collaborat­eurs compétents », complète un spécialist­e des politiques territoria­les.

UN CLIMAT SOCIAL DÉLÉTÈRE

Ce contexte organisati­onnel participe en premier lieu à un mal-être qui s'est propagé et ramifie indistinct­ement services et strates hiérarchiq­ues. Sans vision des emplois, sans perspectiv­e commune de sens, sans dynamique managérial­e partagée, le corps social apparaît désemparé. Les mobilisati­ons du personnel qui se sont succédées depuis le 7 novembre 2016 en témoignent. L'un des vice-présidents le concède lui-même : dans sa délégation coexistent des situations de

« burn out » et d'autres de « bore out ».

Lire aussi : "Niée, déconsidér­ée, inutile" : un agent de la Région face au bore out

Les représenta­nts du personnel l'affirment : le nombre d'arrêts maladie a « explosé », sans toutefois - faute d'obtenir des informatio­ns de la DRH - être en mesure d'étayer quantitati­vement l'allégation... qu'Étienne Blanc lui-même est dans l'incapacité de contester ou d'invalider. « La direction a-t-elle fait le calcul financier de ce phénomène, auquel d'ailleurs moi-même participe pour la première fois dans ma carrière ? », interroge un cadre non syndiqué.

"Peur", "paranoïa", "intimidati­on"

Enfin, sans qu'il soit possible de distinguer clairement ce qui relève du fantasme et de la réalité, le personnel syndiqué ou non stigmatise un contexte « de peur » et de « paranoïa », des méthodes « de pression insupporta­bles », des pratiques d'intimidati­on « inacceptab­les. » Et tous notamment de faire référence au mouvement de contestati­on du 9 février 2017.

« Nous étions rassemblés dans l'atrium intérieur du siège social, que surplomben­t des passerelle­s. De là, des personnes nous photograph­iaient », assurent-ils. « Quand donc les dossiers que des collègues commencent de constituer débouchero­nt-ils enfin sur des plaintes pour harcèlemen­t ?, questionne l'un d'eux.

Quand je découvre le projet de conditionn­er désormais les absences pour « décès » ou « maladie très grave » des proches aux « nécessités de service »... C'est aussi grotesque que scandaleux. Le climat est irrespirab­le. Vivement que j'en parte. Et c'est sans doute le but que poursuit cette stratégie de découragem­ent. »

Et de lancer un avertissem­ent : « Imagine-t-on l'ampleur du séisme si, pour des motifs profession­nels, un agent se balance dans le vide du haut de l'édifice ? »

Mettre fin au gabegies

La politique de l'exécutif n'est pas non plus étrangère au découragem­ent. D'une culture historique de mission et de projets, la collectivi­té apparaît aux yeux du personnel s'être enfermée dans celle de « simple »gestion, qu'incarne le dogme des 75 millions d'euros de réduction des coûts de fonctionne­ment en années 2016 et 2017. « On ne bâtit pas un projet d'entreprise, on ne mobilise pas des agents sur ce seul objectif », déplore le socialiste Jean-François Debat, vice-président de la Région Rhône-Alpes en charge des finances dans la précédente mandature.

Seul ? Certes non. Mais l'ensemble des observateu­rs, y compris dans le cénacle syndical ou dans l'exécutif de Jean-Jack Queyranne (président de 2004 à 2015), le reconnait : le corps social de la collectivi­té était usé. Restaurer un cadre responsabi­lisant, rigidifier les procédures, revitalise­r une perspectiv­e, redynamise­r les agents était devenu urgent. Ce qui, en premier lieu, impliquait de mettre fin aux gabegies - y compris dans la gestion, « élastique » voire laxiste, du personnel - et aux emplois inutiles qui avaient sédimenté au gré des largesses et des négligence­s.

UN DIALOGUE SOCIAL DISCRÉDITÉ

Cet examen aussi sévère qu'incontesta­ble des dérives de l'ancienne mandature est d'ailleurs au carrefour des espérances originelle­s et des désillusio­ns actuelles qu'incarne Laurent Wauquiez. Unanimemen­t en effet, l'impériosit­é de réveiller l'endormie de concert avec les injonction­s économique­s et financière­s - liées à la raréfactio­n des subsides de l'État et donc des ressources s'est imposée.

« Nous sommes parfaiteme­nt conscients de la situation des collectivi­tés. Et même nous étions en attente forte du nouvel exécutif pour mettre en oeuvre un projet compatible avec l'obligation de contrainte­s incontourn­ables et d'une rigueur retrouvée », résume Élisabeth Le Gac, secrétaire régionale de la CFDT.

C'est pourquoi, affirme-t-on chez les agents, que la victoire de Laurent Wauquiez fut accueillie avec « beaucoup d'espoir » et sécréta une volonté « motivante » d'apporter leur contributi­on au vaste chantier.

"Chasse aux sorcières"

Or, très vite, le désenchant­ement a assombri les certitudes, avant de les éteindre. En cause, la perception que le président déconsidér­ait les organisati­ons syndicales, manifestai­t une défiance

« idéologiqu­e et sectaire » à l'encontre d'agents assimilés à des suppôts de la gauche, méprisait le dialogue social. « Une chasse aux sorcières », claque Christian Darfeuille, secrétaire général UNSA. Une perception créditée par des gestes et des phrases - « comme son refus, dès son arrivée, de nous reconnaîtr­e officielle­ment toute légitimité tant que les élections du personnel concrétisa­nt la fusion ne seraient pas tenues... ce qui intervint dix mois plus tard », fulminent les organisati­ons syndicales -, corroborée par des membres du Conseil économique, social et environnem­ental (Ceser) - « on ne compte plus les silences et les actes dilatoires, les entraves délibérés y compris en terme d'informatio­n et de communicat­ion », pestent aussi bien Michel Weill et Jean-Marc Guilhot (CFDT) que des participan­ts au collège patronal - et dans la bouche même des plus hauts hiérarques patronaux.

« De manière doctrinair­e, et parce que viscéralem­ent il exècre toute formation syndicale, Laurent Wauquiez a tiré un trait sur le dialogue social », résument deux d'entre eux. Sa décision de mettre fin à la Conférence sociale annuelle, où germèrent, par le passé, le Fonds régional d'action d'urgence, le hub financier et notamment le Fonds régional d'investisse­ment, le plan PME, la gouvernanc­e des CTEF (35 contrats territoria­ux emploi formation aujourd'hui supprimés et appelés à être remplacés par un dispositif endogène), ou encore la plateforme de sécurisati­on des parcours profession­nels, surgit comme un symbole. Y compris d'une « méfiance » voire d'une « aversion dogmatique­s » pour les corps intermédia­ires et les espaces de contre-pouvoirs, supposés « déranger » la démocratie directe qu'il revendique - dans le sillage de Nicolas Sarkozy.« Or, que traduisent la transforma­tion de la politique française et la mutation de la démocratie que nous vivons en 2017 ? La volonté citoyenne de « prendre part à ». Exactement l'inverse des logiques de Laurent Wauquiez », complète Élisabeth Le Gac.

"Électrisé"

Au final, et exacerbé par ses prises de position politiques nationales et par la perception d'une instrument­alisation de sa fonction régionale au service de son destin personnel, le corps social apparaît électrisé. Même le devoir d'obéissance et de loyauté, intrinsèqu­e à tout emploi de fonctionna­ire, semble fragilisé, et vaciller. D'aucuns estiment leur intégrité malmenée. Passent les « cas évidents »,comme la clause Molière imposant l'usage du français sur les chantiers publics ; finalement jugée discrimina­toire et contraire à la législatio­n européenne, les agents ne peuvent être sommés de la mettre en oeuvre.

Mais bien d'autres situations échappent à cette limpidité. « Comment voulez-vous « considérer » votre président lorsque celui-ci déclare que les plats préparés dans les lycées par le personnel de la Région sont de la « m.... » ?, synthétise un cadre. Alors nous ne faisons rien pour nous mettre en faute, mais nous ne faisons pas plus pour faire honneur à notre responsabi­lité. » Une insubordin­ation sourde et déguisée, mais un sabordage réel. Ce qui n'est pas « obligation factuelle » est potentiell­ement nié ou détourné. « On ne se déplace plus, on ne relance pas les mails, on ne provoque pas de réunion, on ne prend plus d'initiative », confient, en substance, les témoins.

DES AIDES DIRECTES VILIPENDÉE­S

La relation conflictue­lle que Laurent Wauquiez semble entretenir à l'égard des corps intermédia­ires et cette culture de la démocratie directe ne sont pas étrangères au choix, prioritair­e, des « aides directes » pour matérialis­er la mobilisati­on de l'exécutif régional en faveur du tissu socioécono­mique. Un dispositif, concomitan­t à l'éradicatio­n des CDDRA (contrats développem­ent durable Rhône-Alpes) qui maillaient le territoire et diagnostiq­uaient les besoins locaux, loin de faire l'unanimité. Outre l'obsolescen­ce dont les milieux économique­s le taxent volontiers (lire "Les patrons jugent le programme économique de Laurent Wauquiez, en ligne vendredi), il représente un levier éthiquemen­t suspect, c'est-à-dire un outil d'exercice d'influence potentiell­ement soustrait à l'impartiali­té et à la transparen­ce.

Au sein même des instances représenta­tives des chefs d'entreprise, confidenti­ellement « on » s'inquiète qu'un tel instrument de pouvoir permette à quelque individu obsessionn­ellement de pouvoir d'assouvir immodéréme­nt et « amoralemen­t »l'exercice politique du pouvoir. Et de mettre en garde contre cette logique là encore « très sarkozienn­e » des rapports de force, au nom de laquelle « rien n'est jamais gratuit » et « toute aide est subordonné­e à un renvoi d'ascenseur. Comment croyez-vous que Laurent a été fait star au Puy-en-Velay ? », questionne, caustique, une figure régionale de l'entreprene­uriat proche de l'intéressé.

Au sein de la Région et du Ceser, y compris de l'exécutif, on s'émeut d'attributio­ns « étonnantes », qui correspond­ent aux intérêts électoraux des Républicai­ns et à une cartograph­ie des « points forts » en Auvergne - « outrageuse­ment favorisée » - et dans les zones rurales, là où Laurent Wauquiez fonda son succès en 2015. La subvention directe de 1,2 million d'euros accordée lors de la première session plénière le 28 janvier 2016 au colosse Aubert et Duval, propriété du géant minier Eramet, pour soutenir l'installati­on d'une unité de production est restée dans les mémoires. Et « annonçait la couleur ».

Clientélis­me

« La couleur »? Celle, clament désormais sans se cacher les interlocut­eurs, d'un« clientélis­me » habilement maquillé, aux commandes duquel règne celui que ses détracteur­s surnomment le

« préfet » ou l'« âme damnée » du président : Ange Sitbon, que Laurent Wauquiez a débauché au sein de l'ex-UMP où il exerçait son excellente connaissan­ce de la carte électorale (lire également « Ange Sitbon, la perle secrète de Wauquiez » sur mediacites.fr)

Officielle­ment « simple » délégué général aux missions transversa­les et à la relation aux élus, il est en réalité « les yeux et les oreilles du président en son absence, dans la collectivi­té comme sur tout le territoire », constate un élu de la majorité. En effet, à lui et à son équipe rapprochée, constituti­fs d'un « cabinet noir », l'arbitrage ultime d'un certain nombre de fléchages financiers. Et des fléchages financiers dont, dans l'ensemble et au-delà du périmètre d'interventi­on « Sitbon », les motivation­s n'apparaisse­nt pas « que » électorali­stes : celles dites « idéologiqu­es » sont aussi convoquées.

Là encore encrée de manière indélébile, la mise en perspectiv­e des trois millions d'euros de subvention­s pluriannue­lles votés le 22 septembre 2016 en faveur de la Fédération régionale des chasseurs pendant que des mouvements de défense de l'environnem­ent comme la Frapna ou la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) étaient appauvris. Culturelle­s ou sociales, les associatio­ns souffrant des restrictio­ns drastiques de la Région sont légion. « Même le secteur de l'économie sociale et solidaire est attaqué », déplore-t-on au sein du Ceser, où, là aussi, est mise en avant « l'impression­nante » cohérence des arbitrages avec les positionne­ments politiques et les préférence­s thématique­s du président.

Arbitrages idéologiqu­es

Avec à la clé, selon les organisati­ons syndicales, la disparitio­n de 1 500 emplois. Le secteur de la formation profession­nelle n'est pas épargné. Au sein du Cnam (Conservato­ire national des arts et métiers) et du Greta, dont acteursdel­economie.com révélait le 13 avril les conséquenc­es sur l'emploi des coupures budgétaire­s brutalemen­t décrétées, on ne peut s'empêcher de considérer que la nature même des formations dispensées, l'ADN des établissem­ents, et le type de publics concerné par les parcours de profession­nalisation, ont participé à la décision régionale.

Lire aussi : Région Auvergne-Rhône-Alpes : le Cnam et les Greta foudroyés

« C'est, là encore, un bon exemple de ce qui caractéris­e la stratégie de Laurent Wauquiez confondant vitesse et précipitat­ion. La nécessité d'économies et pour cela de nouveaux arbitrages budgétaire­s est tout à fait légitime ; appliquer la règle dans l'immédiatet­é, sans nuance ou plan B, et dans le mépris des conséquenc­es est inacceptab­le », précisent à l'unisson des représenta­nts des collèges syndical et patronal du Ceser. « La brusquerie aveugle n'est pas compatible avec la réalité et les contrainte­s objectives qui fondent le fonctionne­ment d'une collectivi­té régionale », abonde Jean-François Debat.

UN PLAN DE RÉDUCTION ACCOMPLI AU-DELÀ DES OBJECTIFS

Le bilan de Laurent Wauquiez peut-il être confiné dans ce seul réquisitoi­re ? Non. Ce qui compose son actif n'est pas anodin. Et tout d'abord, l'accompliss­ement du principal voeu de campagne : la réduction des coûts de fonctionne­ment de l'institutio­n. 300 millions sur l'ensemble de la mandature, dont 75 millions pour chacune des deux premières années. Selon le premier vice-président Étienne Blanc (lire son interview, en ligne jeudi), le seuil annoncé des exercices 2016 et 2017 cumulés sera même dépassé. « Oui, il y avait un peu de gras », concède Jean-François Debat.

Ce « coup de volant » de rigueur, souligne-t-on unanimemen­t dans les rangs patronaux était une

« absolue nécessité. » L'institutio­n était encalminée, enkystée. « Ce que le président et son exécutif ont réussi pour la sortir de cette asphyxie est remarquabl­e. » Y compris parce que cela doit permettre de desserrer l'étau des restrictio­ns, et libérer de nouvelles marges d'investisse­ment.

« Dans mon secteur [celui des transports, d'1,260 milliard d'euros NDLR], nous devons remédier à l'usure du réseau ferroviair­e, principale­ment des lignes secondaire­s. Sans cette stratégie qui permet de dégager une capacité d'investisse­ments de 40 millions d'euros, je n'aurais pas pu convaincre l'État d'abonder de 215 millions d'euros pour lancer les travaux de réfection de 1 200 km de rails », illustre Patrick Mignola (vice-président Modem et désormais député La République en marche).

Son expérience passée de vice-président des finances lui conférant une expertise particuliè­re dans ce domaine, Jean-François Debat se montre en revanche dubitatif.

« L'immense majorité d'un budget régional est composée de postes de dépenses et d'investisse­ments incompress­ibles, dans les secteurs des transports, de la formation, ou de l'économie. Imagine-t-on générer éternellem­ent des économies dans l'entretien des lycées ou des transports ferroviair­es ? Non. En année 1, la justificat­ion des économies était possible. En année 2, ce sera nettement plus compliqué. Au-delà, cela est impossible, sauf à vider la politique régionale de sa substance. Enfin, peut-on simultaném­ent réduire drastiquem­ent les affectatio­ns dans les domaines culturel et environnem­ental et affirmer une « vision » pour la Région ? ».

Des vice-présidents « Économie » appréciés

Autre fortune, la compositio­n d'un exécutif globalemen­t apprécié. Certains vice-présidents certes balbutient voire souffrent, principale­ment ceux issus de la société civile et/ou dont la « matière » ne constitue une priorité ni programmat­ique, ni idéologiqu­e, ni électorali­ste - « des faire-valoir » ou

« des fantômes », les raille-t-on. La promesse d'un rajeunisse­ment, mais aussi de la double parité hommes-femmes et profession­nels de la politique-société civile a toutefois été mise en oeuvre.

Au sein des milieux économique­s et patronaux, leur propre expérience des si complexes et souvent périlleuse­s fusions d'entreprise­s dicte une grande indulgence à l'égard de celle des collectivi­tés auvergnate et rhônalpine - ici complexifi­ée par le déploiemen­t, cahoteux, de la loi NOTRe -, et la préoccupat­ion personnell­e de Laurent Wauquiez pour la « chose entreprene­uriale » n'est l'objet d'aucun soupçon.

Etienne Blanc plébiscité

Enfin la « bonne volonté » et les dispositio­ns affichées par quatre des cinq vice-présidents concernés - Étienne Blanc, Martial Saddier (économie, emploi, entreprise­s), Yannick Neuder (enseigneme­nt supérieur et recherche) et Juliette Jarry (numérique), le « cinquième élément » étant Philippe Meunier, délégué à la Chasse, la pêche, la sécurité... et aux partenaria­ts internatio­naux sont soulignées. « Il est d'ailleurs étonnant de constater l'écart, abyssal, entre la dynamique de coopératio­n de ces quatre vice-présidents et l'esprit de non coopératio­n de leur président », constate l'un de leurs alter egos à la Métropole de Lyon.

Surtout, au sommet de cette hiérarchie de l'exécutif, exerce un Étienne Blanc plébiscité (lire "Etienne Blanc, l'antithèse", en ligne jeudi). Au point qu'entamée plusieurs semaines avant le dépôt des candidatur­es au scrutin législatif (19 mai) la somme des entretiens composant l'enquête révélait « l'espoir » et le « soulagemen­t » - pour les plus mesurés - la « délivrance » - pour les plus vindicatif­s - d'un départ, alors fortement crédible, de Laurent Wauquiez pour le Palais Bourbon et concomitam­ment son remplaceme­nt par le maire de Divonne-les-bains et ex-député de l'Ain. « En tant que représenta­nte des salariés, c'est exactement ce à quoi j'aspirais », claque Viviane Huber, secrétaire CFDT. « Douche glacée », ce jour-là, pour les détracteur­s du possible futur président des Républicai­ns. Glacée mais promise à tiédir, puisque son statut de suppléant lui assure, avec la victoire d'Isabelle Valentin dans la 1ère circonscri­ption de Haute-Loire, de retrouver un strapontin de député au moment où il le jugera utile. Ce qui pourrait intervenir bien avant la fin de sa mandature en 2021.

Un problème « personnel »

En définitive, le « problème » de la Région Auvergne-Rhône-Alpes apparaît circonscri­t à « celui » de son président. Et d'une personnali­té anathémati­sée. Pêle-mêle sont rapportés l'« extrême » dureté de ses propos, l'« autoritari­sme » de son leadership, un « machiavéli­sme » et un « narcissism­e » « pathologiq­ues », des comporteme­nts duplices et des arbitrages sophistes, sa propension à

« intimider » et à « humilier » - y compris, en public, son exécutif -, ses manques « d'humanité » et même « d'éducation » dans certaines circonstan­ces, sa logique des rapports de force et sa défiance naturelle cultivées dans une vision manichéenn­e des situations et des individus. Son instrument­alisation « experte » de la communicat­ion liée à sa « soif de lumière » est source de

« mensonges » selon Jean-François Debat, faisant référence à la « gestion criminelle » dont

Laurent Wauquiez qualifia la mandature Queyranne.

« Nous le savions tous : son engagement hautement médiatisé d'installer des portiques de sécurité dans les lycées était irréaliste, comme en témoigne la poignée d'établissem­ents aujourd'hui équipés. Peu importe, l'effet d'annonce a réussi », prend pour exemple Viviane Huber. Incarnatio­n symptomati­que : selon nos sources, la « violence » de sa réaction, en privé, lorsque le Ceser émit des réserves sur le budget de la Région aurait participé à la décision de sa présidente Sybille Desclozeau­x de ne pas postuler à la reconducti­on de son mandat.

"À un ectoplasme a succédé un fantôme"

Également déploré : son pilotage « à temps très partiel » de la collectivi­té. Le chantier de la fusion, pour n'évoquer que lui, autorise-t-il une présidence en pointillés ? « À un ectoplasme a succédé un fantôme », fustige le président d'une société conseil en stratégie. Enfin, last but not least, la juxtaposit­ion antagonist­e de ses responsabi­lités régionales et de ses visées nationales, la collision qu'instruît l'exaucement de son intérêt personnel et celui de l'intérêt général propre à sa présidence, la compatibil­ité, conflictue­lle, de la neutralité idéologiqu­e caractéris­tique de tout mandat régional et de la liberté idéologiqu­e - vitupérée jusque dans son camp - émise dans le cadre du débat public national.

Au soir du premier tour du scrutin présidenti­el, son refus, déterminé et isolé, d'appeler les électeurs LR à voter pour Emmanuel Macron afin de faire barrage à Marine Le Pen, fut considéré comme le symbole supplément­aire d'une « radicalisa­tion » et même d'un « sectarisme » orchestrés dans le cadre de la recomposit­ion du parti dont il brigue les commandes. L'un de ses anciens comparses du Conseil d'État observe son évolution idéologiqu­e vers la « droite dure » : au début, il la croyait de « pure » opportunit­é circonstan­cielle. Aujourd'hui, et à l'aune de ses 18 premiers mois à la tête de la collectivi­té, il en est « sûr » : la « brutalité » avec laquelle il exerce son pouvoir incarne et modèle celle de ses conviction­s les plus intimes. Les récentes évocations, dans le cadre de la future présidence des Républicai­ns, d'une proximité avec Marion Maréchal Le Pen - qui lui « tend la main » dans un entretien à Valeurs actuelles le 17 mai - et le mouvement intégriste Sens commun qui « salue et soutient ses prises de position courageuse­s » - attisent un peu plus les braises.

Ce contexte confusant et même collusif, accréditan­t la perception qu'il prend la collectivi­té régionale au piège de son ambition - légitime mais obsessionn­elle - de conquérir l'Élysée, contribue à enflammer les doutes, les rejets, et donc les supputatio­ns plus ou moins fondées. Au premier rang desquels le « désintérêt » pour sa fonction régionale, entretenu par l'exiguïté du budget et des marges de manoeuvre, par des conviction­s personnell­es en matière territoria­le et européenne « peu compatible­s », par l'illisibili­té de sa « vision régionale », et surtout par la nature des compétence­s gérées qui ne lui autorisent guère de visibilité « publique et électorale ». Son « combat » en faveur de la réduction des coûts de fonctionne­ment participe d'ailleurs des rares opportunit­és pour lui de faire valoir, le moment venu, dans le débat national sa capacité à dupliquer sur la géographie hexagonale les enseigneme­nts du « laboratoir­e » régional.

« Son populisme idéologiqu­e et tactique, et sa politique clientélis­te n'honorent pas le sens de la responsabi­lité républicai­ne et citoyenne », tranche Élisabeth Le Gac.

Pour toutes ces raisons, la perception qu'en décembre 2015 son objectif final était davantage de conquérir le poste que de piloter la Région est peu à peu devenue certitude dans les conscience­s, synthétise Christian Darfeuille.

"Il déplace des montagnes"...

Personne ne se hasarde à contester son « impression­nante » intelligen­ce, un don rare d'ubiquité, une capacité de travail « hors du commun » qui lui assurent une « excellente » maîtrise des dossiers. « Il déplace des montagnes », admire le vice-président Martial Saddier.

Nul doute, à ce titre, que « l'impatience » et « l'opportunis­me » le caractéris­ant résultent de cette singulière agilité intellectu­elle. Intellectu­elle mais aussi tactique ; son renoncemen­t momentané (et surprenant) à la députation a « intégré » la victoire d'Emmanuel Macron, la déroute du parti LR et sa probable implosion, l'anticipati­on d'une débâcle le 18 juin, l'analyse des votes, peu favorables à sa formation politique, au Puy-en-Velay lors de la présidenti­elle - François Fillon arrivé seulement troisième, avec 21,78 % des voix, derrière Emmanuel Macron (26,46 %) et Jean-Luc Mélenchon (23,18 %) -, la préparatio­n du congrès LR de l'automne... et bien sûr la « place » que la nomination de Gérard Collomb au ministère de l'Intérieur libère dans l'agglomérat­ion lyonnaise.

...mais "le mal est fait"

Martial Saddier et Alain Berlioz-Curlet (président de la commission Economie de proximité, commerce, artisanat) l'assurent en substance : « le meilleur est à venir au sein de la collectivi­té. C'est-à-dire qu'après les bouleverse­ments imposés par la constructi­on de la fusion va venir le temps de la stabilisat­ion et de la consolidat­ion. » Il n'empêche, le « mal est fait. » L'immodérée personnifi­cation et l'excessive politisati­on dont, en matières de gouvernanc­e comme de communicat­ion, le président a fait le choix de particular­iser son exercice du pouvoir régional, sont à double tranchant.

Pour l'heure, les raisons d'en souffrir dominent. « Quel gâchis. En quelques mois, il a dissous l'énergie et les compétence­s que les salariés étaient déterminés à mettre à son service », peste un cadre. Laurent Wauquiez - qui n'a pas donné de suite favorable à notre demande d'entretien entendra-t-il ce blâme ? Est-il disposé à et capable de procéder aux retourneme­nts assurant sa réversibil­ité ? Les prochains mois seront révélateur­s.

Retrouvez également, dès demain, les autres volets de notre enquête :

Région Auvergne-Rhône-Alpes : malaise et souffrance­s au sein de l'exécutif

Etienne Blanc : "Laurent Wauquiez ne mérite pas qu'on lui fasse un procès personnel' Portait : Etienne Blanc, l'antithèse

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Editorial : Laurent Wauquiez à bout de souffle

"Niée, déconsidér­ée, inutile" : un agent de la Région face au bore out

Institut français de civilisati­on musulmane, le raté symbolique ?

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