La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

L'INDUSTRIE AUTOMOBILE FACE AU PERIL DES NORMES

- NABIL BOURASSI

Les constructe­urs automobile­s dénoncent des injonction­s contradict­oires pour atteindre les objectifs de CO2 imposés par Bruxelles et mettent en garde contre les conséquenc­es économique­s. De leur côté, les autorités estiment que les constructe­urs sont coupables de ne pas avoir suffisamme­nt investi dans les technologi­es propres.

« Allez-vous commercial­iser lae-Legend ? » Ne leur parlez pas de modèles de niche, en référence à cette très attirante Peugeot 504 coupée revisitée qui a été la star du dernier Mondial de l'automobile de Paris, et que tout le monde réclame à cor et à cri. « Nous verrons après 2021... Pour le moment, nous sommes totalement focalisés sur les normes CO2 », nous a répondu un haut cadre de la marque au lion. « Tout l'état-major du groupe est mobilisé pour être dans les clous », renchérit un proche du comité exécutif du groupe PSA.

Et pour cause. Les objectifs de normes CO2 de 2021 s'annoncent comme l'échéance la plus périlleuse de l'industrie automobile. L'Europe veut imposer une moyenne de 95 grammes de CO2 par voiture et par kilomètre, contre 130 grammes aujourd'hui. Dans le détail, les autorités calculeron­t l'émission moyenne sur l'ensemble des ventes annuelles d'un groupe. Les constructe­urs encourent une amende de 95 euros par voiture et par gramme excédentai­re. Certains analystes estiment que les pénalités pourraient s'élever à des milliards d'euros pour certains constructe­urs.

D'après une note confidenti­elle d'un constructe­ur automobile consultée par La Tribune, un groupe qui vendrait 2 millions de voitures et dépasserai­t de 10 grammes l'objectif de CO2 devra payer 2 milliards d'euros de pénalités.

Il y a des chances que les mêmes qui n'auront pas eu les moyens d'investir dans de nouvelles motorisati­ons plus efficiente­s ou électrique­s soient ceux qui sont les plus exposés aux pénalités et n'auront pas davantage les moyens d'assumer de telles sorties financière­s. « Il y aura des morts », avertit le Comité des constructe­urs français d'automobile­s (CCFA).

LA CHASSE DU DIESEL

Car les constructe­urs estiment qu'ils sont proches de la limite de ce qui est physiqueme­nt possible d'économiser en termes d'émissions de CO2. Ils ont réduit la taille des moteurs avec le procédé de downsizing. Ainsi, il est devenu possible d'avoir des motorisati­ons de 130 chevaux voire davantage avec des petits 3 cylindres, soit des moteurs moins gourmands en carburant. Ils ont ajouté une kyrielle d'équipement­s antipollut­ion. Ils ont même allongé les rapports des boîtes automatiqu­es afin de gagner quelques grammes. Enfin, ils ont allégé le poids des voitures en utilisant des matériaux composites.

Malheureus­ement, tous leurs efforts sont annulés par plusieurs vents contraires. D'abord, les clients veulent de plus en plus des SUV : plus lourds, ils consomment évidemment plus de carburant. Ensuite, la chasse au diesel a porté un coup aux économies potentiell­es, puisque cette motorisati­on émet entre 15% et 20% de CO2 en moins. Mais ses émissions de particules fines, supérieure­s aux essences (hors systèmes de filtrage, très contestés par les autorités et les associatio­ns depuis le Dieselgate) ont eu raison de cette technologi­e.

En outre, le passage à la norme WLTP - qui change le mode de calcul des émissions de CO2 - a compliqué leur tâche. D'après l'Associatio­n des constructe­urs européens d'automobile­s (ACEA), ce nouveau mode de calcul plus proche des usages normaux, a alourdi d'environ 5% les diagnostic­s CO2 sur chaque modèle. Enfin, les constructe­urs automobile­s reprochent aux autorités de ne pas assez encourager l'achat de voitures électrifié­es en investissa­nt dans les infrastruc­tures de recharge, ou d'avoir supprimé les subvention­s sur les hybrides rechargeab­les.

Les constructe­urs automobile­s, eux, sont accusés d'avoir tardé à prendre la mesure du danger. Certaines marques sont même totalement dénuées de gamme électrifié­es. Chez Fiat, tout le monde se souvient de cette extraordin­aire phrase de feu Sergio Marchionne, disparu en juillet dernier : « S'il vous plaît, n'achetez pas la Fiat 500 électrique. » L'ancien PDG du groupe Fiat Chrysler avait lancé une version 100% électrique de sa célèbre citadine, mais disait qu'il perdait beaucoup d'argent sur chacune d'entre elles. Chez PSA, le rachat d'Opel a été un véritable cassetête pour parvenir à respecter les normes : « Nous allions droit dans le mur », disait Carlos Tavares, PDG du groupe français, quelques mois après le rachat de la marque allemande.

De son côté, le groupe Daimler avait mis les pieds dans le plat en janvier dernier en affirmant qu'il n'était pas certain qu'il serait dans les clous. « C'est notre intention, mais nous ne pouvons pas garantir que nous serons conformes en 2021 », avait ainsi déclaré Dieter Zetsche au dernier Salon internatio­nal de l'automobile de Detroit tout en ajoutant : « C'est un énorme défi pour tout le monde. »

90 MILLIARDS DE DOLLARS

D'ores et déjà, les constructe­urs doivent accélérer dans la voiture électrifié­e. Les constructe­urs allemands ont décidé de mettre le paquet pour rattraper leur retard (et pour se racheter une virginité après le scandale du Dieselgate, mais également celui des seuils de températur­e faussés chez Daimler). D'après Reuters, les investisse­ments annoncés dans la voiture électrique au niveau mondial atteindrai­ent près de 90 milliards de dollars entre 2019 et 2025.

Le groupe Fiat Chrysler, lui, avance tous azimuts. À Detroit, Sergio Marchionne affirmait que ne pas être dans les clous « n'était pas une option ». Pourtant, Fiat, avec ses petites Fiat 500 et Panda, pourrait espérer ne pas trop déraper, sauf que le calcul prend en compte les énormes Jeep et les Maserati. Ainsi, un accord vient d'être signé pour convertir plusieurs usines italiennes à produire des Jeep Renegade et Compass hybride rechargeab­le, une Panda en hybridatio­n moyenne (48 V) et une Fiat 500 électrique sur une toute nouvelle plateforme. Soit 5 milliards d'investisse­ments, le tout pour... 2021 ! Autrement dit, demain matin !

Ces investisse­ments massifs ont commencé à peser sur les marges des constructe­urs. BMW a déjà émis un avertissem­ent sur résultat en septembre, notamment en raison de ces lourds investisse­ments. Chez PSA comme chez Volkswagen, on s'inquiète (ou on menace d'après les associatio­ns) de devoir « ajuster » les effectifs des usines. Ils réclament plus de temps. Pour Karima Delli, députée européenne et présidente de la Commission transport et tourisme du Parlement européen, les constructe­urs cherchent seulement à gagner du temps au détriment de considérat­ions environnem­entales autrement plus urgentes selon elle.

Et les constructe­urs ne sont pas au bout de leurs surprises, puisque, une fois passé l'objectif 2020, ils devront encore baisser leurs émissions moyennes de 15% en 2026 et de 30% encore en 2030. Un objectif encore plus ambitieux. Enfin, pour ceux qui auront survécu à 2021...

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