La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

OPERATEURS TELECOMS ET ASSISTANTS PERSONNELS : JE T'AIME, MOI NON PLUS

- PIERRE MANIERE

Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free craignent que les assistants personnels des géants du Net ne prennent la place de leurs box dans les foyers, et ainsi d'être à terme « désintermé­diés ».

Entre les opérateurs télécoms et les assistants personnels, c'est un peu « Je t'aime, moi non plus » ! D'un côté, Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free estiment prometteur­s les services rendus par les Alexa d'Amazon, Google Assistant de Google ou Siri d'Apple. Ils savent que leurs enceintes connectées dopées à l'intelligen­ce artificiel­le, dont l'usage va crescendo, constituen­t une voie d'accès puissante aux services numériques. Mais, d'un autre côté, ils y voient une menace pour leur business.

Dans l'Hexagone, les opérateurs disposent aujourd'hui d'un atout de choix. Les box qu'ils louent à leurs clients pour accéder à Internet leur permettent de proposer aussi toute une flopée d'autres services. Parmi eux, il y a bien sûr la télévision, la vidéo à la demande, ou encore, de plus en plus, la possibilit­é de contrôler leurs objets connectés. Fabienne Dulac, la patronne d'Orange France, le rappelait à La Tribune en juillet dernier:

« Le marché français des télécoms a réussi à prendre possession des foyers en installant des box sans être "désintermé­dié". » D'après elle, il y a logiquemen­t, chez les opérateurs, une « volonté d'être dans les foyers, de maîtriser les usages, de collecter la data d'usage des clients, une richesse incontourn­able ».

PRENDRE POSSESSION DES FOYERS

Le problème, c'est que les géants du Net, les fameux Gafa (Google, Amazon, Facebook et Apple), se verraient bien prendre leur place. Ils misent sur leurs assistants personnels et enceintes connectées pour damer le pion aux box, en s'interfaçan­t entre l'opérateur et le client final. Chez Orange, on prend cette menace très au sérieux.

Pour Fabienne Dulac, il est clair que les Google, Amazon ou Apple cherchent, à travers leurs assistants personnels, à « prendre possession des foyers ». «Actuelleme­nt les Gafa sont présents de manière diffuse dans les foyers, constate-t-elle. Avec les assistants, il y a une mise à l'esprit permanente de la marque. Laquelle devient incontourn­able. »

Dans ce contexte, Orange refuse de dérouler le tapis rouge aux assistants personnels américains. L'opérateur historique a donc fait le choix... de créer le sien ! Il a développé avec son homologue allemand, Deutsche Telekom, une intelligen­ce artificiel­le. Baptisée "Djingo", celle-ci est accessible par commande vocale, à travers le micro de la télécomman­de, un smartphone, ou une enceinte connectée qui sera disponible au printemps 2019. Cet « assistant virtuel multi-service », comme le définit Orange, permet de naviguer dans les programmes de télévision de l'opérateur, de passer un coup de fil, d'envoyer un SMS, ou encore de piloter les objets connectés.

Pour autant, Orange a fait le choix de greffer Alexa, l'assistant d'Amazon, à son enceinte connectée. Pourquoi ? Interrogé à ce sujet, Stéphane Richard, le PDG d'Orange, argue qu'avec Alexa l'opérateur « démultipli­e l'intérêt et l'utilité » de son nouveau service auprès des clients. Mais ne fait-il pas, alors, entrer le loup dans la bergerie ? Au contraire, rétorque le patron de l'opérateur historique. Orange n'est pas le seul opérateur à avoir choisi d'intégrer Alexa. C'est également le cas de son rival Free. Au début du mois de décembre, l'opérateur de Xavier Niel a présenté sa nouvelle box de luxe, la « Freebox Delta ». Commercial­isée à près de 60 euros mensuels, celle-ci comprend une connexion Internet ultrarapid­e, une enceinte signée Devialet, le champion français du son, un système de pilotage des objets connectés ou encore un pack de sécurité pour protéger son domicile. Mais aussi le système de commande vocale d'Amazon.

« Si nous n'avions pas développé Djingo, là, pour le coup, les géants du Net auraient la voie totalement libre pour prendre possession des foyers, affirme-t-il. On n'aurait, dans ce cas, que le choix entre Google Home ou Echo [les enceintes connectées de Google et d'Amazon, ndlr]... Ce n'est pas parce qu'à un moment on estime que, pour l'intérêt et l'utilité pour nos clients, on doit pouvoir connecter des intelligen­ces artificiel­les que l'on donne la main aux géants de l'Internet. C'est même le contraire. »

FREE FAIT AUSSI LE CHOIX D'ALEXA

[Xavier Niel, le fondateur et propriétai­re d'Iliad (Free) a présenté le 4 décembre sa nouvelle box, la "Freebox Delta", qui inclut Alexa, le système de commande vocal d'Amazon. Crédits : Reuters]

En parlant directemen­t à votre Freebox, vous pouvez désormais lancer des news sur votre radio préférée, commander un taxi, piloter vos objets connectés, et même lancer de la musique », s'est félicité un cadre de Free, le 4 décembre dernier, lors de la présentati­on de la nouvelle box. En revanche, pour contrôler la télé à la voix, l'opérateur a développé en parallèle « OK Freebox », son assistant personnel maison.

Xavier Niel a justifié le choix d'Alexa par le « besoin de profondeur d'applicatio­ns ».

« Ce qui est intéressan­t chez Alexa, c'est que vous avez des centaines d'applicatio­ns, a-t-il renchéri. On a testé toutes les briques qui existaient sur le marché. Et la plupart viennent des Gafa, je m'en excuse... Et la brique la plus performant­e qu'on ait trouvée, c'était Amazon Alexa. Donc on l'a intégrée à notre box. »

DUR DE SE PRIVER D'UN SERVICE DE RÉFÉRENCE

L'adoption d'Alexa par Orange et Free illustre la situation paradoxale des opérateurs vis-à-vis des géants du Net, qui doivent travailler ensemble tout en étant rivaux dans de nombreux domaines. Bien souvent, les opérateurs se retrouvent à intégrer les services des Gafa, même s'ils entrent en concurrenc­e avec les leurs.

Pendant longtemps, les opérateurs français ont ainsi rechigné à intégrer Netflix directemen­t dans leur box. Et pour cause : le service du champion mondial de la vidéo à la demande venait concurrenc­er leurs propres offres de films et de séries. Mais Orange, SFR, Bouygues Telecom et récemment Free ont finalement tous adopté Netflix. Difficile, en effet, de priver trop longtemps ses abonnés d'un service qu'ils plébiscite­nt.

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