La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)
JEAN-PIERRE VACHER (TLM) : L'INFORMATION, RIEN QUE L'INFORMATION
Sauf avis contraire du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), la vente de la plus ancienne télévision locale en exercice de France, TLM, au colosse de l’information continue BFM TV, devrait intervenir au début de l’année 2019. À la veille de ce tournant majeur dans l’histoire, déjà tourmentée, de la chaîne lyonnaise, son visage le plus incarnant, Jean-Pierre Vacher, Directeur d’antenne, pose son regard sur ces décennies passées. Et sur l’enjeu à court et moyen termes.
La vente de TLM à BFM scelle trente années d'aventure télévisuelle très locale. En sait-on davantage sur les ambitions de BFM pour Lyon ?
En premier lieu, il faut d'abord souligner que tant que le CSA ne s'est pas prononcé, la vente n'est pas faite. Certes un accord a été signé entre actionnaires, mais nous devons attendre la validation du CSA. Nous ne savons pas exactement quand il se prononcera, car il n'a aucune obligation de répondre dans un délai donné. Je suis très respectueux de la façon dont il va mener son instruction : c'est une étape importante. Ce que l'on sait en revanche, c'est qu'il y aura un directeur de BFM Régions ; Emmanuel Roye, passé par NRJ, Lagardère et 8 Mont Blanc. Il va piloter les différents BFM régionaux - Paris, lancé il y a deux ans, puis Lyon. D'autres devraient suivre.
Que devenez-vous, ainsi que vos actionnaires et dirigeants, dans cette nouvelle organisation ?
Pour ma part, et une fois que le CSA se sera prononcé, je serai amené à rencontrer les dirigeants de BFM et à discuter. Laurent Constantin a annoncé qu'il quitterait la présidence quand l'opération serait effective ; quant au Directeur délégué Jean-Baptiste Jusot, je ne peux pas me prononcer à sa place.
Son sort semble lié à celui de Laurent Constantin...
On peut le penser... mais il ne m'appartient pas d'en juger.
Cette vente était-elle une absolue nécessité, une opportunité... ou une erreur ?
Deux mouvements se sont rencontrés. D'un côté, BFM avait affirmé publiquement sa volonté de se développer dans les métropoles, dont Lyon. De l'autre, au sein du tour de table de TLM qui a financé la reprise autour du projet TLM 2015, un certain nombre d'actionnaires, dont certains ont plus de 70 ans, jugeaient qu'il fallait songer à l'avenir et à assurer la pérennité de la chaîne. Et qu'il était peut-être bien de l'adosser à un groupe positionné sur l'information continue. J'ai toujours considéré que l'information était la force d'une chaîne locale...
Selon nos informations, l'ensemble des actionnaires - notamment au sommet de la gouvernance - n'était pas sur la même longueur d'onde face à ce projet. Ces divergences stratégiques correspondent-elles à une vision différente de la télévision locale : soit lui donner des moyens forts en l'adossant à un groupe, soit poursuivre dans une précieuse indépendance ?
Nous avons déjà goûté à l'indépendance : c'était le sens du projet TLM 2015 que j'ai mené avec grande conviction et force pugnacité. Alors que TLM était filiale du Progrès, je décide de rester indépendant et de proposer un tour de table à des entrepreneurs régionaux (Jacques Gaillard, Roland Tchenio, Alain Mérieux, Bruno Rousset, rejoints un peu plus tard par Laurent Constantin...).
Avec l'idée que ceux qui pouvaient permettre à cette télévision d'exister étaient des décideurs enracinés dans leur territoire et destinés à le faire rayonner (Jean-Pierre Vacher est actionnaire de TLM à hauteur de moins de 0,5 %, NDRL). Avec l'équipe, dont je ne louerai jamais assez l'engagement et l'abnégation, nous avons travaillé d'arrache-pied : quatre années ont été nécessaires pour atteindre l'équilibre. Nous avons dû passer par la case "procédure de sauvegarde", réduire nos charges de plus d'un million d'euros, ramener les pertes de 1,2 million à 0 entre 2011 et 2014, prendre des décisions difficiles. Mais nous avons réussi à nous renouveler de fond en comble depuis 2010...
Au final, au début de cet été, il y a eu d'abord un accord à trois entre Laurent Constantin, Jacques Gaillard et Roland Tchenio pour vendre, puis un accord général avec les autres actionnaires à la rentrée.
Vous qui êtes intrinsèquement journaliste et très attaché à l'indépendance de l'information, vous êtes-vous toujours senti à l'aise au milieu de ce trio ?
Ce qui a toujours été au centre de mes préoccupations, ce sont l'antenne, les programmes et l'information. Que la partie administrative et commerciale puisse être reprise par quelqu'un d'autre ne m'a pas dérangé. Mon travail a été de faire en sorte que TLM reste fidèle à sa mission sans devoir sacrifier quoi que ce soit...
Par divers mécanismes, TLM est parvenu à la profitabilité. Les conditions et les concessions qui vous ont été dictées pour l'atteindre ont-elles toujours correspondu à votre éthique journalistique ?
Toute entreprise se doit d'être à l'équilibre, et si possible être bénéficiaire pour investir et assurer sa pérennité. Il a fallu faire des choix, se réorganiser et se restructurer. Bien sûr, il m'est arrivé d'être placé devant des choix ou des arbitrages délicats et auxquels je pouvais ne pas souscrire.
J'ai fait en sorte de ne jamais céder sur la question de l'information : c'est à la fois l'ADN de la chaîne, ma manière - et celle des équipes de collaborateurs qui m'ont accompagné depuis 2001 de concevoir le métier et une obligation d'honorer notre convention avec le CSA.
Lancée, vendue, rachetée par un pool d'actionnaires que vous avez composé, rentable puis à nouveau revendue... Que reste-t-il aujourd'hui de l'"empreinte" TLM ?
L'ADN de TLM, c'est son équipe. Elle a traversé des moments compliqués, et même douloureux, mais elle a toujours eu à coeur de se battre pour l'entreprise. Sa colonne vertébrale reste l'information, qu'elle soit politique, économique, sportive ou culturelle. TLM est aussi un révélateur de talents, et cela à chaque époque.
On peut citer Yves Calvi (RTL), Frédéric Lopez (France 2), Sophie Jovillard (France 5), GéraldBrice Viret (Canal +) mais aussi bien d'autres journalistes, techniciens ou réalisateurs partis sur M6, France 3, voire BFM, comme Philippe Simon. TLM a toujours été une école de formation, recrutant, formant et faisant grandir des stagiaires, prioritaires dès qu'une opportunité s'ouvrait.
Au-delà, la chaîne est riche d'être demeurée sur ses fondements, de rassembler des téléspectateurs et un public attachés. Elle a su glisser doucement, mais habilement, vers le direct et le digital... C'est d'ailleurs ce à quoi BFM va s'engager demain, et c'est parce qu'il existe ce terreau favorable qu'elle s'est intéressée à nous.
L'information a-t-elle vocation à être rentable ou, au nom du devoir d'intégrité - si malmené que la crise de confiance des consommateurs d'information est aigüe - et parce que les réalités économiques de sa disruption sont mortifères, la filière aurait besoin d'être protégée par un statut de "bien commun" ?
Soit on considère que toutes recettes hors abonnements et hors vente au numéro sont néfastes, et alors seuls de très rares titres peuvent exister, soit on estime que les annonceurs privés et publics ont leur place dès lors que la ligne de démarcation entre partenaires et rédaction est limpide et infranchissable.
Et si, parfois, il a pu déranger que l'on évoque par exemple des grèves dans des entreprises proches de nos actionnaires - quitte à nous coûter quelques budgets publicitaires - il faut savoir l'accepter : nous avons fait ce qu'il fallait. Je pense qu'un média peut vivre à la fois sur l'information - qui ne crée pas de recettes - et sur des émissions parrainées.
Avez-vous pu, toujours, maintenir ce "mur" entre la rédaction et les aspirations ou pressions de certains actionnaires et/ou annonceurs ?
C'était mon rôle. C'est exigeant : il faut rester vigilant, nous avons parfois eu de grandes discussions... Ma vocation : rendre compte de l'information, les bonnes comme les mauvaises nouvelles. Une chaîne locale est là pour mettre en valeur ce qui se passe sur son territoire.