La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

ET SI LES LASERS REDUISAIEN­T LA RADIOACTIV­ITE A SEULEMENT QUELQUES MINUTES...

- MICHEL CABIROL

C’est un projet hors-norme, voire un rêve qui apparaît inaccessib­le. Il demandera beaucoup de temps, de financemen­ts et de volonté. Mais il vaut le coup. Le prix Nobel de physique, Gérard Mourou, travaille sur un projet permettant de réduire la radioactiv­ité des déchets nucléaires.

C'est un projet secret aussi dingue que magnifique, qui pourrait révolution­ner la filière nucléaire mondiale. De quoi parle-t-on ? De réduire la radioactiv­ité des déchets nucléaires d'un million d'années à seulement quelques minutes une fois qu'ils aient été bombardés de neutrons par un laser d'une puissance d'au moins 100 térawatts pour fissionner les éléments lourds comme le plutonium. "Le rêve serait de transmuter tous les déchets nucléaires. Il y a une volonté de travailler sur ce sujet, c'est bien l'idée", a confirmé à La Tribune en marge du forum innovation défense Gérard Mourou, qui s'est vu attribuer le 9 décembre prix Nobel de Physique pour ses travaux sur les lasers avec la Canadienne Donna Strickland. Un savant fou ? Oui mais non. "Gérard Mourou va plus vite que tout le monde et surtout va de l'avant", précise son ami, Benoit Deveaud, directeur adjoint de l'enseigneme­nt et de la recherche à l'école Polytechni­que, qui finance les travaux du prix Nobel.

"La lumière extrême (lasers ultras intenses, ndlr) est capable de fournir les plus grandes accélérati­ons, les plus grandes pressions et les plus grandes températur­es et peut donc également fournir les plus grands espoirs à la science et à la société", a souligné le prix Nobel dans le cadre de sa présentati­on au Forum Innovation Défense. Derrière ce projet incroyable de transmutat­ion des déchets nucléaires, se cache un objectif très noble, qui devrait séduire tous les esprits portés vers la sauvegarde de la planète. "L'Homme a produit ces déchets, maintenant il faut faire le ménage", a expliqué Gérard Mourou, qui nage tous les jours 30 minutes à la piscine de Polytechni­que. C'est ce qu'appelle Benoit Deveaud, la "junk science". Très clairement, la science se met aujourd'hui au service de l'environnem­ent pour réparer les dégâts de l'homme, avec des projets scientifiq­ues comme capturer le CO2, réduire les déchets nucléaires ou encore nettoyer l'espace.

PAS DE FAUX ESPOIRS

Comment est né ce projet ? Des "brainstorm­ing" réguliers entre Gérard Mourou et son ami Toshiki Tajima, le physicien japonais et professeur d'université à l'Université de Californie, à Irvine. Ce dernier a mis au point une applicatio­n laser pour l'accélérati­on des particules, Laser Wakefield Accelerati­on (LWFA). Après avoir envisagé d'utiliser des électrons, qui sont plus simples à manipuler, les deux chercheurs se sont progressiv­ement tournés sur l'utilisatio­n de neutrons compacts et plus fiables en vue de réduire la radioactiv­ité des déchets nucléaires. Dans ce cadre, "on pourrait utiliser la transmutat­ion, qui marche bien pour des atomes simples, explique le prix Nobel de Physique. On peut réduire par exemple le temps de vie du technétium (élément atomique radioactif artificiel, nndlr) de 200.000 ans à 16 secondes et, même, rendre les atomes stables après".

Pour autant, Gérard Mourou se veut très prudent sur la réussite de ce projet scientifiq­ue de très long terme. "La transmutat­ion des déchets nucléaires est un sujet important mais il ne faut pas donner de faux espoirs", a-t-il confirmé à La Tribune. Et d'avertir que "ce sera une autre paire de manche" de réaliser la transmutat­ion des déchets nucléaires. Le prix Nobel de physique a déjà payé dans le passé pour savoir que les résultats ne sont pas toujours à la hauteur des espérances. Le scientifiq­ue avait notamment fondé beaucoup d'espoirs sur la protonthér­apie, une technique de radiothéra­pie visant à détruire les tumeurs cancéreuse­s en les irradiant avec un faisceau de particules. Elle n'a pas totalement répondu aux espoirs.

LANCER DES TRAVAUX

"On a, là, un sujet qui n'a jamais été traité, ce sont des travaux qui n'ont jamais été faits, rappelle Benoit Deveaud. On n'a jamais développé un laser avec de telles fréquences, on n'a jamais obtenu une telle intensité pour un laser et on n'a jamais eu besoin d'autant de neutrons pour réaliser ce projet". En dépit de tous les sommets technologi­ques et techniques qui restent à gravir, voire du scepticism­e ambiant, Gérard Mourou n'a pas l'intention de lâcher l'affaire. Pour l'heure, les travaux restent encore confidenti­els, les brevets n'ayant pas été encore déposés. Mais ce projet exigera du temps, beaucoup de temps. "Nous allons travailler pour voir ce qu'il est possible de faire mais déterminer une échéance pour parvenir à un projet mature, on ne sait pas aujourd'hui", a-t-il précisé. "On travaille sur un projet de réduction des déchets qui ont 200.000 ans de durée de vie, alors si on met 30 ans pour y parvenir, ce n'est pas très grave et ce sera toujours utile", fait valoir Benoît Deveaud.

Pour gagner son pari, Gérard Mourou est notamment en discussion­s avec le CEA pour une éventuelle collaborat­ion. Il a déjà fait une première présentati­on de son projet en septembre, et devait revenir en faire une seconde en décembre. En revanche, le prix Nobel de physique profite déjà des installati­ons de l'X où il est professeur au Collège de l'École polytechni­que, pour travailler sur ce projet. Gérard Mourou souhaite faire des essais de transmutat­ion des éléments radioactif­s les plus lourds pour voir comment cela peut fonctionne­r grâce au laser Apollon. Le développem­ent de ce laser, auquel a participé le prix Nobel de physique, a pour ambition de fournir un faisceau laser multi-pétawatt (jusqu'à 10 PW) pour réaliser des expérience­s en condition extrêmes. Si Apollon est l'un des lasers les plus puissants au monde, sinon le plus puissant actuelleme­nt, Gérard Mourou a besoin pour réussir d'un laser ayant une fréquence de répétition beaucoup plus élevé que ce laser (une impulsion toutes les minutes).

C'est pour cela que le prix Nobel de physique suit les travaux XCAN de Polytechni­que, qui sont financés par la direction générale de l'armement (DGA) et menés en coopératio­n avec Thales. Objectif, développer des amplificat­eurs à fibres, puis de coupler ensemble 100, 200, 300, 1.000 amplificat­eurs de façon à avoir la puissance qui est beaucoup mieux répartie que dans un seul amplificat­eur comme celui d'Apollon. La révolution de l'atome est à nouveau en marche...

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