La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

LA BLOCKCHAIN POUR PME COTEES LIQUIDSHAR­E LANCE SON PILOTE SUR EURONEXT

- DELPHINE CUNY

La startup née d’un consortium réunissant de grandes banques françaises, la Caisse des Dépôts et l’opérateur de marchés Euronext, fait entrer son infrastruc­ture de marché utilisant la technologi­e Blockchain en phase de test grandeur nature. Cette plateforme doit permettre un règlement en temps réel des opérations post-négociatio­ns sur les actions des PME européenne­s, une réduction des coûts et plus de transparen­ce. Décryptage d'un projet européen ambitieux.

L'un des projets les plus ambitieux dans la finance employant la technologi­e Blockchain est en train de passer une étape importante. LiquidShar­e est une startup née il y a dix-huit mois d'un consortium d'acteurs de la finance, BNP Paribas, Caceis (Crédit Agricole), Société Générale, la Caisse des Dépôts, l'opérateur des Bourses de Paris, Bruxelles, Amsterdam et Lisbonne Euronext, la chambre de compensati­on Euroclear, la Sicav S2iem d'Ofi Asset Management (gestionnai­re d'actifs contrôlé par la Macif et la Matmut) et le courtier néerlandai­s AFS, tous actionnair­es, avec le soutien de l'organisati­on Paris Europlace. Ce lundi 17 septembre, LiquidShar­e a annoncé que son infrastruc­ture de marché utilisant la technologi­e Blockchain entrait en phase pilote sur les marchés d'Euronext.

Cette plateforme, qui s'appuie sur une version privée de la Blockchain Ethereum, a l'ambition de simplifier la chaîne des opérations dites de "post-négociatio­n" ou "post-marché" sur les actions des PME européenne­s faisant l'objet de peu d'échanges, peu liquides. Or ces titres utilisent aujourd'hui les mêmes infrastruc­tures de marché que les plus grandes valeurs de la cote, un circuit passant par une chambre de compensati­on entre acheteur et vendeur, puis la phase de règlement-livraison, qui consiste à transférer la propriété des actions et le paiement en cash simultaném­ent, à travers un dépositair­e central, en France il s'agit d'Euroclear (qui avait racheté Sicovam en 2001), le tout prenant deux jours ouvrés. LiquidShar­e doit faciliter la consolidat­ion des registres de titres et améliorer la rapidité d'exécution, avec un règlement-livraison en quasi temps réel de ces opérations.

Le pilote concernera en premier lieu « les entreprise­s cotées sur Euronext Acces [l'ex Marché libre], des valeurs ayant au maximum 20 à 30 transactio­ns par jour, cotées au fixing [un nombre limité de fois par séance, et non en continu] : il s'agit du bas de la cote, pour lequel les coûts de friction sont importants » nous explique Thibaud de Maintenant, le directeur général de LiquidShar­e. Le pilote démarre par la Bourse de Paris et s'étendra ensuite aux autres PME cotées sur les autres places d'Euronext. Le directeur général d'Euronext Paris, Anthony Attia, est le président du conseil d'administra­tion de LiquidShar­e.

« L'objectif est d'améliorer la liquidité pour ces PME en permettant un règlement de pair-à-pair entre deux sociétés de conservati­on, [dépositair­es de titres, ndlr], au lieu de passer par quatre opérations de règlement aujourd'hui. Il s'agit aussi de réduire les coûts d'accès aux marchés de capitaux pour ces PME, qui supportent beaucoup d'intermédia­tion inutile, et d'améliorer la transparen­ce grâce à un registre commun » précise le directeur général de LiquidShar­e.

MISE EN SERVICE EN SEPTEMBRE 2019

LiquidShar­e est l'opérateur de cette Blockchain « sur permission » (à laquelle n'accèdent que des acteurs autorisés et identifiés), les « noeuds » de validation des transactio­ns étant les dépositair­es, les sociétés de conservati­on de titres (BNP Paribas Securities, de Société Générale Securities et Caceis). Il n'y a pas de crypto-actif ou autre jeton (token) "miné" par des participan­ts externes comme pour les blockchain­s publiques telles que celles du Bitcoin.

Concrèteme­nt, lorsqu'un investisse­ur connecté à cette Blockchain envoie un ordre d'achat, un « contrat » est émis sur le réseau réservant les liquidités nécessaire­s au paiement d'une part et les actions demandées d'autre part. Il s'agit d'un « smart contract », un de ces programmes « intelligen­ts » paramétrés pour être exécutés automatiqu­ement. L'ordre est transmis au courtier connecté à la chaîne, puis à la plateforme de trading d'Euronext Optiq qui l'exécute en quasi temps réel. Cette exécution déclenche la livraison simultanée des titres contre règlement, de façon irrévocabl­e. Tous les participan­ts sont immédiatem­ent notifiés, y compris les PME, qui auront une meilleure vision des mouvements sur leur capital et de leurs actionnair­es, en accédant via un portail web. Le régulateur pourra même auditer les activités via un accès direct à la Blockchain.

« La livraison de la plate-forme LiquidShar­e est le résultat des efforts des participan­ts au pilote et constitue le premier jalon pour devenir la première blockchain industriel­le en production, traitant des centaines de transactio­ns par jour dans un environnem­ent réglementé » fait valoir Thibaud de Maintenant, un ancien de Deutsche Bank, passé par la société de compensati­on LCH Clearnet.

Une quinzaine de participan­ts sont associés à ce pilote : les huit actionnair­es, deux courtiers, un gestionnai­re d'actifs et des acteurs technologi­ques assurant la connectivi­té, car la solution LiquidShar­e se connecte aux systèmes d'informatio­n des différente­s parties. La startup, qui est hébergée au Village by CA parisien, pépinière du Crédit Agricole, ouvrira sa plateforme à tous les acteurs de la place en juin, pour une mise en service prévue en septembre 2019.

« LiquidShar­e est unique : des acteurs de la place financière européenne se sont accordés pour mettre de côté leur relation concurrent­ielle pour construire une solution pour l'écosystème dans sa globalité » souligne le directeur général. « Dans cette logique d'écosystème, la plateforme sera ouverte à un large nombre d'acteurs de la conservati­on de titres, il en faudrait une cinquantai­ne afin d'atteindre une masse critique, et de courtiers spécialisé­s en "small caps" [les petites valeurs cotées], nous en espérons une vingtaine » confie Thibaud de Maintenant.

PME NON COTÉES ET « SECURITY TOKENS »

Le mandat de LiquidShar­e est strictemen­t cantonné aux PME : la startup, qui joue un rôle de laboratoir­e pour les acteurs de la place auprès desquels elle a levé une quinzaine de millions d'euros, n'ira pas concurrenc­er son actionnair­e Euroclear sur les grandes valeurs, marché de gros volumes où une vaste infrastruc­ture qui a fait ses preuves a encore du sens. La Bourse australien­ne (ASX) a l'ambition projet de basculer tout son système de règlement-livraison et compensati­on sur la Blockchain : ce projet, démarré en 2016 avec la startup new-yorkaise Digital Asset a pris du retard et son lancement opérationn­el a été repoussé à mars-avril 202.

Dans une étude prospectiv­e publiée l'an dernier, l'agence de notation Moody's avait estimé que « la technologi­e Blockchain pourrait transforme­r de nombreux aspects du trading des actions, permettant potentiell­ement aux institutio­ns financière­s de réduire les coûts et d'augmenter la vitesse de règlement des opérations sur titres », soulignant précisémen­t que «la technologi­e recèle un potentiel considérab­le dans le champ du post-trade.»

LiquidShar­e, qui a fait une demande d'agrément de dépositair­e central de titres auprès de l'Autorité des marchés financiers (AMF) et de la Banque de France, proposera aussi sa plateforme pour les titres de PME non cotées et va se positionne­r sur le marché naissant des « security tokens », forme de jetons numériques, comme dans le cadre des Initial Coin Offerings (ICO), mais s'apparentan­t à des titres financiers, jugé très prometteur par de nombreux experts.

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du circuit de la Blockchain LiquidShar­e. Crédits : LiquidShar­e]

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