La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

ENTREPRISE­S : LA FISCALITE ECOLOGIQUE EST-ELLE INCITATIVE ?

- GREGOIRE NORMAND

Si la fiscalité verte rapporte des recettes à l'État, son objectif est aussi de modifier le comporteme­nt des entreprise­s. Pour autant, le système fiscal français accorde une place très limitée aux taxes vertes et prévoit de multiples exemptions.

L'heure est grave. Empêtré dans la crise des "Gilets jaunes", Emmanuel Macron a récemment présenté sa stratégie pour la transition énergétiqu­e. Si les débats se sont focalisés sur les inégalités territoria­les engendrées par les taxes sur le carburant, la question de la fiscalité carbone portant sur les entreprise­s a été éludée. Pourtant, lors d'un discours le 27 novembre, le président de la République a rappelé les enjeux fondamenta­ux de cette question.

« Construire cette sortie des énergies fossiles, c'est répondre aux problèmes des émissions de gaz à effet de serre (GES), les énergies fossiles représente­nt aujourd'hui 70% des émissions de gaz à effet de serre. C'est bien simple, si nous réussisson­s à en sortir, alors nous aurons gagné la bataille de nos engagement­s internatio­naux, et notre part de responsabi­lité dans ce combat. »

Après avoir évoqué le rôle des ménages dans la consommati­on des énergies fossiles, le chef de l'État n'a pas manqué de mentionner la responsabi­lité des entreprise­s.

« L'industrie est consommatr­ice d'énergie fossile pour produire le ciment, l'acier, le verre et le plastique qui nous permettent de construire nos infrastruc­tures, nos logements [...]. L'enjeu est ici d'inventer l'usine du futur qui recycle tout et ne rejette rien. »

Face à un tel enjeu, la fiscalité écologique peut constituer un levier intéressan­t pour tenter de modifier le comporteme­nt des entreprise­s mais son efficacité dans sa forme actuelle est loin d'être avérée.

INVESTISSE­MENTS EN BAISSE

En dépit des alertes des climatolog­ues et des ONG, les émissions de dioxyde de carbone sont reparties à la hausse en 2017, pour atteindre un niveau historique de 53,5 gigatonnes équivalent CO2 dans le monde. Rien qu'en France, la hausse des GES se chiffre à 3,2% contre 1,8% en moyenne dans l'Union européenne. Les choix et les montants d'investisse­ment des entreprise­s en faveur de l'environnem­ent sont particuliè­rement inquiétant­s même si beaucoup de dirigeants affirment avoir des comporteme­nts plus vertueux.

Selon de récents chiffres de l'Insee, les établissem­ents industriel­s de plus de 20 salariés en France ont consacré à des investisse­ments ou des études pour protéger la nature 1,4 milliard d'euros en 2016, soit 13% de moins qu'en 2015. Il existe néanmoins des divergence­s importante­s selon la taille des entreprise­s. Si 86% des entreprise­s de plus de 500 salariés ont engagé des dépenses antipollut­ion, elles ne sont que 25% pour les sociétés ayant entre 20 et 49 salariés.

RETARD DE LA FRANCE

En matière de fiscalité environnem­entale, la France accuse un sérieux retard par rapport à ses voisins européens. La part des taxes environnem­entales (entreprise­s et ménages) dans le produit intérieur brut (PIB) s'élève à 2,02% selon de récents chiffres de la Commission européenne. Ce qui classe la France en 23e position à l'échelle européenne.

Et l'Hexagone fait encore pire en ce qui concerne la part des taxes environnem­entales dans les prélèvemen­ts obligatoir­es, puisqu'elle se classe en dernière position sur le Vieux continent.

DES ENTREPRISE­S RÉTICENTES

Le poids des taxes environnem­entales dans la valeur ajoutée diminue globalemen­t en France depuis une vingtaine d'années. Il s'élevait à environ 2,5% du PIB contre 1,8% en 2008 avant de se redresser légèrement jusqu'en 2016. Les experts du Commissari­at général au développem­ent durable (CGDD) expliquent cette baisse par une forte croissance du nombre de véhicules diesel sur cette période alors que le gazole est resté historique­ment moins taxé. Par ailleurs, l'absence d'indexation de la plupart de ces taxes sur l'inflation « tend à éroder le pouvoir incitatif des taxes environnem­entales » souligne un rapport du CGDD.

Depuis 2009, la légère remontée s'explique en partie par la mise en place d'un impôt forfaitair­e sur les entreprise­s de réseaux (IFER) et « le dynamisme de la contributi­on au service public de l'électricit­é (CSPE) ». Le problème est que, pendant longtemps, cette fiscalité n'a pas été guidée par des objectifs environnem­entaux mais par une logique de rendement. Une récente étude de l'institut Friedland, rattaché à la CCI Paris, indiquait que l'une des faiblesses de cette fiscalité « est qu'elle est composée pour les quatre cinquièmes de taxes sur l'énergie, dont la création a été initialeme­nt dictée par la recherche de rendement fiscal ».

Et même si depuis 2014, il existe une composante carbone intégrée à la taxe intérieure sur la consommati­on des produits énergétiqu­es (TICPE), elle est relativeme­nt faible au regard des enjeux. Elle ne représenta­it que 8% du total de la TICPE sur l'essence ordinaire en 2016.

Outre ce facteur, les économiste­s interrogés avancent plusieurs autres raisons. Mireille Chiroleu Assouline, professeur d'économie à Paris I, déclare :

« Il y a toujours eu beaucoup de réticences de la part des entreprise­s françaises en matière de fiscalité environnem­entale par rapport à d'autres pays. C'est rationnel pour les entreprise­s de vouloir limiter les coûts. » Les organisati­ons profession­nelles « ont exercé un lobbying intense et beaucoup d'opposition ».

De son côté, l'économiste à l'école des Mines Paris Tech Matthieu Glachant signale que « la fragilisat­ion de l'industrie française n'a pas aidé. »

« L'un des arguments contre la fiscalité environnem­entale est qu'elle augmente les coûts de production des entreprise­s. Cette fiscalité fait baisser la compétitiv­ité-coût dans un contexte où cette dernière s'est dégradée. »

UNE GRANDE PART DES ÉMISSIONS EXEMPTÉE

L'introducti­on d'une composante carbone dans la fiscalité en 2014 ne s'est pas faite sans difficulté.

« En 2009, la commission Rocard avait lancé le projet d'une contributi­on climat-énergie, qui avait alors été introduite dans le projet de loi de finances 2010 par le gouverneme­nt de l'époque. Mais comme le projet prévoyait d'en exempter les entreprise­s déjà soumises au marché européen de quotas, le Conseil constituti­onnel avait considéré qu'il introduisa­it une inégalité devant l'impôt entre les entreprise­s et l'avait retoqué », explique Mireille Chiroleu-Assouline.

Sur cette question, il y a une véritable distorsion à l'échelle européenne. « La plus grande part des émissions des entreprise­s françaises n'est pas soumise à la fiscalité carbone », indique Matthieu Glachant. Cette exemption est régulièrem­ent dénoncée par les associatio­ns de défense de l'environnem­ent.

La Fondation pour la nature et l'homme, créée par Nicolas Hulot, rappelait que « tout le monde ne paye pas cette taxe. Certains secteurs pourtant très polluants sont exemptés. C'est notamment le cas pour le transport de marchandis­es sur route et sur mer, et le transport aérien. Il y a là une injustice grandissan­te à mesure que l'écart sur le prix payé augmente. » « La distorsion est que le reste de l'économie (le tertiaire, les services) est soumis à la taxe carbone », ajoute l'enseignant à Paris Tech.

Depuis 2017, la législatio­n a fixé un calendrier pour renforcer le volet incitatif de cette taxe, qui devrait monter en puissance jusqu'en 2022. D'après la loi de finances 2018, le prix de la tonne devrait passer de 44,6 euros en 2018 à 86,2 euros en 2022. L'objectif est d'atteindre 100 euros par tonne en 2030.

SUPPRIMER LES EXONÉRATIO­NS

Pour tenter de remédier aux limites de cette fiscalité, Mireille Chiroleu-Assouline propose de revoir certaines niches fiscales. « Certaines exemptions sont pointées du doigt par des institutio­ns comme l'OCDE [...], par exemple comme celle sur le gazole pour les transporte­urs routiers ou les taxis, ou encore du kérosène sur le transport aérien domestique. » L'universita­ire plaide pour une réforme de la fiscalité environnem­entale renforçant le verdisseme­nt des taxes appliquées aux entreprise­s. Ce qui pourrait faire des perdants dans l'industrie lourde, comme la métallurgi­e ou le raffinage.

En contrepart­ie, les entreprise­s pourraient bénéficier d'une baisse de cotisation­s sur les bas salaires. D'autres secteurs intensifs en emplois pourraient donc être largement bénéficiai­res. Cette propositio­n, loin de faire l'unanimité au sein du tissu industriel français, pourrait être difficile à assumer politiquem­ent pour un gouverneme­nt déjà fragilisé par l'exaspérati­on de milliers de Français et une industrie en souffrance.

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