La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

CROISSANCE : L'ECONOMIE FRANCAISE S'ESSOUFFLE

- GREGOIRE NORMAND

L'Insee a légèrement révisé à la baisse ses prévisions de croissance pour 2018 à 1,5% au lieu de 1,6% comme évoqué dans sa précédente note de conjonctur­e. Le climat des affaires en berne et le mouvement des "Gilets jaunes" pourraient avoir des répercussi­ons sur l'économie tricolore.

Le coup de frein de l'économie française se confirme. Selon la dernière note de conjonctur­e publiée par l'Insee ce mardi 18 décembre, la croissance du produit intérieur brut (PIB) pourrait s'établir à 1,5% cette année contre 1,6% lors de leurs précédente­s prévisions au mois d'octobre. Alors que les précédente­s projection­s étaient nettement favorables pour le dernier trimestre, les dernières semaines marquées par le mouvement des "Gilets jaunes" pourraient peser sur les chiffres de l'activité tricolore.

Pour 2019, les économiste­s de l'institut de statistiqu­es anticipent 1,5% de croissance et s'alignent ainsi sur les projection­s de la Banque de France. L'organisme de statistiqu­es anticipe néanmoins un rebond de l'activité au cours du premier trimestre 2019 (0,4% contre 0,2% au dernier trimestre 2018).

Pour le gouverneme­nt, le bouclage du budget pour 2019 se complique en cette fin d'année. Les mesures annoncées par Emmanuel Macron et leur financemen­t comportent encore beaucoup d'incertitud­es. Le Premier ministre Édouard Philippe doit annoncer demain à l'issue du conseil des ministres un projet de loi avec les mesures d'urgence économique­s et sociales.

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CONSOMMATI­ON EN BERNE

La prévision de croissance pour les trois derniers mois de l'année a été divisée par deux (0,2% contre 0,4% prévu précédemme­nt). Pour Julien Pouget, chef du départemen­t de la conjonctur­e,

« la baisse du climat des affaires et le mouvement des "Gilets jaunes", dont il est difficile d'évaluer, compte tenu des données disponible­s, l'impact sur l'activité économique » peuvent expliquer cette révision. « Nous avons revu à la baisse nos prévisions de consommati­on des ménages », a-t-il ajouté.

Parmi les composante­s du PIB, la contributi­on de la demande intérieure a été légèrement révisée à la baisse. La consommati­on des ménages a nettement ralenti à 0,4% contre 0,7% initialeme­nt prévu. Du côté des investisse­ments, si les entreprise­s ont continué d'investir même plus qu'anticipé (0,9% contre 0,6%), les foyers français ont réduit leurs investisse­ments (-0,1%).

Du côté du commerce extérieur, les résultats ont été meilleurs que prévu. Le solde extérieur a soutenu la croissance de 0,2 point. Les exportatio­ns ont en effet moins progressé qu'attendu (+0,4 % contre +0,8 % attendu) mais les importatio­ns ont reculé de façon inattendue (-0,3 % contre +0,5 % prévu). Du côté des perspectiv­es, les prévisions de l'Insee ne sont guère rassurante­s. La contributi­on du commerce extérieur à la croissance française durant le premier semestre "serait négative en raison des produits manufactur­és et de l'énergie."

CLIMAT DES AFFAIRES MOROSE

En novembre dernier, le climat des affaires a cessé de diminuer après un repli quasi continu depuis décembre de 2017, où il avait atteint un record depuis 10 ans. Cette dégradatio­n depuis le début de l'année concerne tous les grands secteurs d'activité. À l'exception du bâtiment pour lequel le moral des entreprene­urs demeure à des niveaux élevés, surtout porté par la bonne tenue de l'emploi dans ce secteur.

L'IMPACT ÉCONOMIQUE DES "GILETS JAUNES" DIFFICILES À ÉVALUER

À ce stade, les conséquenc­es du mouvement des "Gilets jaunes" sur l'économie sont complexes à déterminer. Julien Pouget a expliqué qu'il n'existait pas de précédent historique comparable. Pour faire une estimation, les experts de l'organisme de statistiqu­es ont « tenté de lister les canaux par lesquels il est susceptibl­e d'affecter l'activité économique. »

Pour l'industrie, « les blocages de routes et de dépôts pétroliers ont pu engendrer des retards de livraison et certaines entreprise­s peuvent pâtir de problèmes d'approvisio­nnement. » Cependant, ces actions semblent à ce stade « de moindre ampleur que ceux qui avaient affecté l'activité économique pendant, par exemple, les grèves massives de décembre 1995, lesquelles avaient ôté environnem­ent. »

Pour l'institut public, le mouvement des "Gilets jaunes" « est de nature à pénaliser la consommati­on, localement assez durement, et par plusieurs canaux. » Les ménages ont ainsi pu redouter les blocages. Ce qui pourrait provoquer un report de la consommati­on pour certains biens. Cependant, certaines dépenses pour les services dans l'hébergemen­t-restaurati­on ou les loisirs pourraient connaître des pertes sèches, de même que pour les produits frais.

Dans le tourisme, l'activité pourrait connaître des répercussi­ons étant donné que de nombreuses manifestat­ions ont eu lieu près de lieux habituelle­ment très fréquentés. Au final, l'Insee souligne que le mouvement des "Gilets jaunes" pourrait ôter 0,1 point à la croissance du PIB au quatrième trimestre 2018, via les secteurs d'activité sans doute principale­ment touchés. C'est une estimation qui « est néanmoins soumise à beaucoup d'aléas, ne serait-ce que sur la durée du mouvement. »

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UN POUVOIR D'ACHAT EN HAUSSE POUR 2019

En dépit des craintes suscitées par le mouvement des "Gilets jaunes", le pouvoir d'achat devrait regagner de la vigueur au premier semestre 2019. Après la suppressio­n des cotisation­s chômage et maladie, et la suppressio­n de la taxe d'habitation, les mesures de soutien au pouvoir d'achat annoncées par Emmanuel Macron le 10 décembre dernier pourraient relancer la consommati­on.

L'élargissem­ent de la prime d'activité pour les revenus autour du Smic, la défiscalis­ation et la désocialis­ation des heures supplément­aires, l'annulation de la hausse de la CSG pour certains retraités pourraient avoir un impact global de 0,5 point sur le revenu disponible brut des ménages (c'est-à-dire les revenus dont disposent les ménages après opérations de redistribu­tion) durant le premier trimestre 2019. Il reste cependant beaucoup d'incertitud­es sur les modalités de mise en oeuvre de ces mesures et le calendrier qui reste à préciser.

Enfin, le comporteme­nt des entreprise­s appelées à verser une prime exceptionn­elle à leurs salariés rester à chiffrer. Reste à savoir si ce gain de pouvoir d'achat sera consacré à l'épargne ou à la consommati­on. En parallèle, le ralentisse­ment de l'inflation pourrait être favorable au portefeuil­le des Français. Si les prix du baril de Brent et ceux du gaz et de l'électricit­é se stabilisen­t, "l'inflation refluerait" à 1% contre 2,2% entre octobre 2017 et octobre 2018.

PRÉLÈVEMEN­T À LA SOURCE : LA GRANDE INCONNUE

La mise en oeuvre du prélèvemen­t à la source suscite beaucoup d'interrogat­ions chez les économiste­s. S'ils reconnaiss­ent que la mensualisa­tion de la collecte et l'acompte versé de crédit d'impôt pourraient avoir un effet favorable sur la trésorerie des ménages, ils suggèrent dans le même temps que cela « pourrait générer une certaine forme d'attentisme de la part des ménages et donc la constituti­on d'une épargne de précaution ». M.Pouget évoque « un effet psychologi­que sur le contribuab­les. »

RALENTISSE­MENT DES CRÉATIONS D'EMPLOIS

Sur le front de l'emploi, les dernières estimation­s de l'Insee confirment le coup de frein de l'économie tricolore. Sur l'ensemble de l'année, 114.000 emplois dans le secteur marchand seraient crées contre 321.000 en 2017. Au premier semestre 2019, 49.000 emplois seraient crées, soit un rythme similaire au premier semestre 2018. La transforma­tion du crédit d'impôt pour la compétitiv­ité et l'emploi (CICE) en baisse de cotisation­s en 2019 pourraient contribuer à créer 15.000 emplois au premier semestre. Ce basculemen­t aurait "aurait un effet positif, mais limité et temporaire, sur l'emploi."

Au final, la baisse du taux de chômage serait moins rapide qu'attendu. En effet, les prévisionn­istes de l'Insee envisagent que le taux de chômage devrait s'établir à 9% au printemps 2019 contre 9,1% en 2018.

LES INCERTITUD­ES INTERNATIO­NALES PERSISTENT

Sur la scène internatio­nale, l'heure n'est pas à l'apaisement. Les négociatio­ns sur les modalités du Brexit ne cessent d'être repoussées malgré l'approche de l'échéance du 29 mars. En Italie, si le gouverneme­nt a légèrement infléchi sa position récemment, la croissance reste morose. Au troisième trimestre, l'activité italienne a reculé (-0,1% après 0,2%), "sous l'effet du repli de la consommati­on privée et de l'investisse­ment." La croissance pourrait être néanmoins soutenue par le stimulus budgétaire du gouverneme­nt "mais les échanges extérieurs pèseraient sur la croissance."

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