La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

MAUVAISE PASSE POUR EDF, NUAGES SUR LA FILIERE NUCLEAIRE FRANCAISE

- DOMINIQUE PIALOT

Alors que le PDG de l’entreprise publique présente ce 20 juin aux syndicats un projet de scission du groupe en deux entités, contre lequel ils sont vent debout, l’Autorité de sûreté nucléaire lui impose de procéder à la réparation de soudures défectueus­es avant la mise en service de l’EPR de Flamanvill­e. Nouveau retard et nouveau surcoût, alors que l’exécutif entend se prononcer sur l’avenir de la filière nucléaire française après le démarrage de l’EPR.

C'est dans un courrier en date du 19 juin que l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a répondu à une sollicitat­ion de EDF datant de début juin. A la suite de la découverte tardive de défauts sur de

nombreuses soudures de l'EPR de Flamanvill­e, l'opérateur avait entrepris d'en réparer près d'une soixantain­e. Restaient huit d'entre elles, difficiles d'accès car situées sur le circuit de vapeur traversant l'enceinte du bâtiment réacteur et reliant le générateur de vapeur à la turbine située dans un bâtiment auxiliaire.

L'ASN confirme dans son courrier que, « au regard du nombre et de la nature des écarts affectant ces soudures, (...) leur rupture ne peut plus être considérée comme hautement improbable et qu'il n'est donc plus possible de leur appliquer une démarche d'exclusion de rupture ».

EDF avait le choix entre le renoncemen­t à l'exclusion de rupture (garantie qui exclut absolument tout risque de rupture), ce qui imposait de refaire les études de sûreté et d'apporter des renforceme­nts en conséquenc­e au réacteur ou la réparation. L'exploitant a préféré opter pour la seconde solution, mais en les repoussant à 2024, après une mise en service de l'EPR en 2020, arguant que la réparation avant mise en service reporterai­t celle-ci au plus tôt à la fin 2022.

RÉPARATION­S RÉALISABLE­S AVANT MISE EN SERVICE

« La stratégie proposée par EDF soulève d'importante­s difficulté­s au plan de la justificat­ion du point de vue de la sûreté du fonctionne­ment du réacteur pendant plusieurs années dans un état dégradé, souligne Yves Marignac, du cabinet WISE. Sur le plan réglementa­ire, elle impliquera­it également pour l'ASN d'autoriser la mise en service du réacteur dans un état non conforme à son décret d'autorisati­on de création (DAC), puisque l'exigence d'exclusion de rupture pour ces tuyauterie­s y est inscrite », ajoute-t-il.

« La remise en conformité des soudures de traversées avant la mise en service du réacteur est techniquem­ent réalisable », estime l'ASN.

« Le report des opérations de réparation après la mise en service du réacteur soulèverai­t plusieurs difficulté­s, notamment au regard de la justificat­ion de la sûreté du réacteur durant la période transitoir­e. »

« La suite logique devrait être le dépôt par EDF d'un dossier technique présentant les modalités prévues pour la réparation avant mise en service de ces huit soudures, qui restera à instruire par l'ASN avant une décision formelle d'autorisati­on de la mise en oeuvre de cette réparation », analyse Yves Marignac.

L'opérateur tablait sur un chargement du combustibl­e en fin d'année pour un démarrage au premier semestre 2020... avec déjà 8 ans de retard sur le calendrier initial. Côté financier, alors que le budget est déjà passé de 3,5 milliards d'euros en 2007 à près de 11 milliards, il est bien difficile d'évaluer précisémen­t les conséquenc­es de ces nouveaux déboires.

QUEL IMPACT SUR L'AVENIR DU NUCLÉAIRE EN FRANCE ?

« EDF analyse actuelleme­nt les conséquenc­es de cette décision sur le planning et le coût de l'EPR de Flamanvill­e et fera, dans les prochaines semaines, un point précis sur la suite du projet », a réagi l'électricie­n dans un communiqué.

« Compte tenu du délai nécessaire à cette instructio­n, des études préalables et le cas échéant des essais sur maquette à réaliser par EDF avant l'exécution de ces réparation­s très délicates, le délai de trois ans et demi envisagé par EDF semble d'ores et déjà optimiste », souligne encore Yves Marignac.

Invitée sur Radio Classique, la secrétaire d'Etat à la Transition écologique Brune Poirson a déclaré :« Il appartient à EDF de tirer toutes les conséquenc­es de cette recommanda­tion et rapidement ».

« Nous avions anticipé des scénarios potentiell­ement pessimiste­s et nous maintenons le cap qui est de fermer nos quatre centrales à charbon d'ici la fin du quinquenna­t et les deux réacteurs de Fessenheim en 2020 », a-t-elle assuré.

Mais les éventuelle­s conséquenc­es de ce nouveau retard sur la feuille de route énergétiqu­e française dépassent la fermeture des centrales à charbon.

En effet, le gouverneme­nt avait annoncé en début d'année que sa décision concernant l'avenir de la filière en France, et notamment la constructi­on de nouveaux EPR optimisés serait décidé mi-2021 sur la base d'un programme de travail avec la filière portant sur sa capacité industriel­le, ses coûts de constructi­on, ses moyens de financemen­ts, etc.

Mais « c'est la sagesse d'attendre que Flamanvill­e ait fait la preuve de son fonctionne­ment avant d'engager des décisions », estimait en début d'année le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire.

Cette dernière séquence est du pain béni pour les anti-nucléaires. « EDF n'a cessé d'être dans le déni depuis 2013, en refusant de reconnaîtr­e l'existence de ce problème, puis en refusant la réparation, puis en voulant réparer après redémarrag­e, a ainsi déclaré Greenpeace dans un communiqué. Cette attitude scandaleus­e au regard de la sûreté nucléaire qui aboutit aujourd'hui à une décision sans appel de l'ASN décrédibil­ise tout le programme EPR et la stratégie industriel­le d'EDF. »

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