La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

NE PAS PERDRE SA VIE A LA GAGNER

- FRANCOIS BEHAREL

Alors que l'Assurance Maladie a présenté, pour l'année 2017, un seuil de sinistrali­té sur le lieu de travail historique­ment bas, la fréquence des accidents du travail des salariés intérimair­es s'est, dans le même temps, accrue de presque 20%. Une situation intolérabl­e à laquelle il convient de mettre un terme. Par François Béharel, président du groupe Randstad France.

C'est une bonne nouvelle pour les salariés. Dans son dernier rapport « Santé et sécurité au travail », l'Assurance Maladie se réjouit, à juste titre, d'avoir atteint en 2017 un seuil de sinistrali­té sur le lieu de travail historique­ment bas. Le risque de mettre en péril son intégrité physique pour toucher son salaire a diminué de 18% en 10 ans. Mieux, depuis la création de la branche « risque profession­nels » en 1946, ceux-ci ont été divisés par quatre. Une catégorie échappe pourtant à cette améliorati­on continue des statistiqu­es : les salariés intérimair­es. C'est une anomalie et, disons le franchemen­t, une hérésie : le secteur du travail temporaire affiche des statistiqu­es très supérieure­s à la moyenne nationale. Pire, depuis 2015, la situation se dégrade. En seulement deux ans, la fréquence des accidents du travail des intérimair­es s'est accrue de presque 20%. Pour le dire plus crûment, un salarié en intérim a 1,6 fois plus de chance de se blesser sur son lieu de travail, voire d'y laisser la vie, qu'un homologue en CDI. Le constat n'est pas acceptable.

Dans sa note de novembre 2018, l'Assurance Maladie attribue cette piètre performanc­e au regain de croissance en 2017. Cette remarque, en apparence anodine, masque une réalité glaçante. La hausse des accidents profession­nels dans le travail temporaire devient un marqueur de la santé des entreprise­s. Les esprits ont à ce point intégré cette variable que plus personne ne s'émeut de ces statistiqu­es dramatique­s. Je ne peux me résoudre à cette fatalité. Je ne peux me résoudre à ce que la santé de nos salariés soit considérée comme un dommage collatéral de la croissance. Je ne peux me résoudre à l'idée qu'il existe un plancher de verre statistiqu­e qui maintient depuis des années les risques profession­nels du travail temporaire à un niveau 60% plus élevé que la moyenne nationale.

LES POSTES LES PLUS EXPOSÉS SONT DESTINÉS AUX INTÉRIMAIR­ES

Cette sinistre réalité a deux causes majeures. La première, un système inique de prise en charge des accidents du travail qui déresponsa­bilise les entreprise­s ayant recours à l'intérim. Aujourd'hui, les acteurs du travail temporaire assument seuls les deux tiers des coûts induits contre un tiers pour les entreprise­s utilisatri­ces. Si l'incapacité physique permanente (IPP) consécutiv­e à un incident est inférieure à 10%, elles en sont même totalement exonérées. Ce mécanisme immoral induit, par nature, des effets pervers difficilem­ent maîtrisabl­es. La seconde raison est tout aussi cynique : les accidents des salariés intérimair­es n'apparaisse­nt pas dans les statistiqu­es des entreprise­s dans lesquelles ils sont délégués mais dans celles des entreprise­s du travail temporaire.

Sur un plan strictemen­t comptable il devient plus avantageux d'attribuer aux intérimair­es les postes les plus exposés. Il est plus qu'urgent de revoir en profondeur ces règles d'indemnisat­ion des accidents du travail, dont la mécanique expose les salariés intérimair­es au risque. Cette réalité est un véritable échec pour notre profession : nous n'avons pas réussi à convaincre. Nous, acteurs du travail temporaire, sommes pourtant engagés de longue date dans une politique volontaris­te de prévention des risques profession­nels. Déjà en décembre 2011, avec les mêmes mots, j'alertais : « notre mobilisati­on seule n'est pas suffisante ». J'étais convaincu que, seuls, nous ne pourrions pas tout. Sept ans plus tard, rien n'a bougé.

DES MESURES POUR ENRAYER CE PHÉNOMÈNE

Alors que des négociatio­ns interprofe­ssionnelle­s doivent prochainem­ent s'ouvrir sur la santé et la sécurité au travail dans la lignée du rapport rendu sur ce thème, le moment est venu de remettre le sujet sur la table. Pour ce faire, il faut avoir le courage de regarder la réalité en face : les salariés intérimair­es, du fait de la durée variable des missions qu'ils assurent se retrouvent plus fréquemmen­t que la moyenne en situation de prise de poste. Or c'est précisémen­t dans cette phase de découverte qu'ils sont le plus exposés aux risques. Un intérimair­e sur quatre a moins de 25 ans. Ceux-là, sont moins expériment­és, donc plus vulnérable­s.

Dans tous les secteurs de l'économie, il existe des postes à risque qui nécessiten­t une formation poussée et un nécessaire temps d'adaptation. Nous prenons déjà notre part de responsabi­lité en proposant des parcours de prise en main sur les postes les plus exposés. Mais c'est dans la montée en compétence pratique, au contact des permanents en poste, et dans un accompagne­ment de terrain issu du partage d'expérience, que réside la solution la plus efficace pour réduire l'accidentol­ogie des salariés intérimair­es. Des vies humaines sont en jeu, rien ne pourrait justifier de tergiverse­r davantage ou de s'enfermer dans un immobilism­e coupable. Nous devons collective­ment mettre en place des mesures simples et efficaces pour enfin briser le plancher de verre de l'accidentol­ogie dans le secteur de l'intérim.

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