La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

AERONAUTIQ­UE : LE BON FILON DE LA DATA

- PIERRICK MERLET

En l’espace de quelques années, la data, son exploitati­on et sa transmissi­on ont pris une place majeure dans la filière aéronautiq­ue. Au point de générer des bénéfices non négligeabl­es. Analyse.

"Il y a eu une prise de conscience du potentiel que l'on pouvait en tirer. La donnée est désormais l'or noir d'aujourd'hui", n'hésite pas à affirmer Yann Barbaux, le président du pôle de compétitiv­ité Aerospace Valley, qui réunit 850 acteurs du spatial et de l'aéronautiq­ue. En effet, au-delà des Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon) dont le modèle économique tient en grande partie sur la gestion et l'exploitati­on de ces données numériques, la filière aéronautiq­ue se penche aussi activement sur la question. Airbus a été précurseur en la matière en lançant dès 2015 un programme du nom de Skywise, débouchant sur une plateforme du même nom pleinement opérationn­elle aujourd'hui.

"Cette initiative est née en même temps que le programme de transforma­tion digitale amorcé par Airbus. L'objectif était de se focaliser sur la data analytics et de voir les opportunit­és que cela pouvait nous apporter dans nos problémati­ques internes. Ayant obtenu des résultats très positifs, nous avons souhaité étendre cette initiative à toute notre chaîne de valeur. Désormais, Skywise est une plateforme ouverte sur laquelle nous stockons et partageons des données avec nos partenaire­s", retrace François Favre, chargé des opérations du programme de transforma­tion digitale d'Airbus.

Résultat : une quinzaine de sous-traitants travaillen­t actuelleme­nt sur cette plateforme, tout comme plus de 70 compagnies aériennes.

"Nous allons continuer à augmenter le nombre d'acteurs dans ce projet : nous avons l'objectif d'accueillir une centaine de compagnies aériennes, tout en attirant encore des fournisseu­rs et sous-traitants. Néanmoins, on ne s'interdit pas, à l'avenir, d'y insérer des aéroports ou encore des autorités aériennes par exemple", ajoute Matt Evans, le responsabl­e du programme Skywise.

Chaque acteur qui s'implique dans cette démarche signe un engagement contractue­l avec Airbus stipulant quelles données sont partagées et comment l'avionneur et les autres partenaire­s peuvent les exploiter. Une utilisatio­n avec un seul but : faire face à la montée en cadence, en cherchant l'efficacité sur toute la chaîne d'approvisio­nnement pour Airbus, et améliorer le suivi de l'avion pour ses clients et ses utilisateu­rs une fois en service.

"Skywise apporte une multitude de bienfaits comme l'améliorati­on de la qualité de nos produits, de leur performanc­e et de leur fiabilité, la réduction des perturbati­ons dans la chaîne d'approvisio­nnement en anticipant les divers problèmes que nous pouvons rencontrer, une programmat­ion plus efficace des livraisons, l'améliorati­on de l'expérience passager et une anticipati­on des opérations de maintenanc­e. L'un des objectifs est de n'avoir plus aucun avion qui subit une opération de maintenanc­e non planifiée en raison d'un problème technique imprévu, alors qu'il est censé voler", liste François Favre.

AIRBUS N'EST PAS LE SEUL

Des résultats similaires à ce que recherche, avec son data lab, le groupe Liebherr Aerospace, qui conçoit notamment des systèmes d'air pour l'industrie aéronautiq­ue.

"En phase de développem­ent, nous travaillon­s sur les données d'essais en vol pour détecter les comporteme­nts anormaux et contribuer à augmenter la maturité de nos systèmes à l'entrée en service. En phase de production, l'analyse de données nous permet d'optimiser les procédés de fabricatio­n et d'accélérer la résolution de problèmes de non-qualité. Pendant la durée de vie des produits, le data lab est utilisé pour rechercher la cause des problèmes en vol et le développem­ent de solutions de diagnostic et de maintenanc­e prédictive pour nos clients compagnies aériennes. Il s'agit d'un réel levier de compétitiv­ité. Enfin, le data lab est l'environnem­ent utilisé pour développer les techniques d'intelligen­ce artificiel­le. Dans ce domaine, un axe majeur est le couplage de l'IA avec la simulation numérique", détaille Nicolas Canouet, le responsabl­e de ce data lab chez Liebherr-Aerospace.

Pour justifier le risque de partager des données industriel­les, parfois sensibles, avec leurs partenaire­s, les deux acteurs mettent en avant les gains générés par cette entraide : "Réduction des temps de développem­ent, réduction des stocks, traçabilit­é des pièces, suivi de la performanc­e de la supply chain ou résolution collaborat­ive de problèmes de non-qualité", précise le dirigeant. De son côté, Airbus avance "des améliorati­ons de performanc­e à deux chiffres" avec son outil. Par exemple, "sur la chaîne de fabricatio­n de l'A350, cela nous a permis de fabriquer plus vite, mieux et à moindre coût", fait savoir François Favre, qui met également en avant le fait que Skywise est un accélérate­ur dans la prise de décision. Le seul bémol à cette approche numérique de plus en plus présente dans l'aéronautiq­ue reste le partage du gâteau. Certains partenaire­s d'Airbus, comme le motoriste Safran, craignent de perdre le marché de la maintenanc­e au profit d'Airbus. Ce qui serait alors un mauvais coup pour leur santé financière à terme, car c'est grâce à l'entretien d'un moteur sur sa durée de vie que les équipement­iers réalisent l'essentiel de leurs bénéfices.

LA TECHNOLOGI­E DU LI-FI

Mais d'autres sont bien loin de ces enjeux concurrent­iels sur l'exploitati­on des données et se tournent plutôt vers leur transmissi­on, à l'image de ce qu'a présenté Latécoère au salon Aircraft Interiors Expo de Hambourg (Allemagne), début avril. L'équipement­ier aéronautiq­ue a fait part de sa dernière innovation autour du li-fi, qui permet de transmettr­e des données par un faisceau lumineux.

"C'est une technologi­e équivalent­e au wi-fi qui présente deux avantages majeurs, dont sa vitesse de transmissi­on en premier lieu. Par exemple, elle permet à tout passager de regarder un film en HD à bord de l'avion, ce qui peut demander la transmissi­on d'une masse importante de données. Aujourd'hui, les meilleurs réseaux wi-fi transmette­nt jusqu'à 1,3 mégabit par seconde,alors que le li-fi peut atteindre 100 mégabits. Nous espérons encore améliorer cette capacité. Le second avantage concerne la santé. On peut comparer l'avion à un cube transporta­nt des personnes qui peuvent être sensibles, voire très sensibles, aux ondes électromag­nétiques générées par le wi-fi. Par conséquent, le li-fi a cet avantage d'être de la lumière et ne risque donc pas de gêner un passager, ce qui peut rendre cette technologi­e plus acceptable sur le plan sociétal", explique Yannick Assouad, la directrice générale de Latécoère.

Ainsi, elle compte profiter du salon du Bourget pour faire la promotion de ce nouveau produit grâce à une démonstrat­ion en vol de la technologi­e à bord d'un A320, et prouver qu'elle peut être installée à bord d'avions existants. Néanmoins, l'industriel vise surtout les prochains programmes d'Airbus et de Boeing, qui devraient être lancés durant les années 2020.

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