La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

BUGATTI CHIRON, UNE VERSION SPORT QUI DECOIFFE

- OLIVIER MIRGUET

Bugatti a prévu de livrer cette année plus de 80 exemplaire­s de sa Chiron, l'hyper-sportive assemblée en Alsace. L'une d'elles est passée entre nos mains pour un essai sur les routes du piémont vosgien. 1.500 chevaux sur une départemen­tale sinueuse et bosselée ? Ca passe !

La fiche technique de la Bugatti Chiron Sport est une succession de superlatif­s. La vitesse de pointe ? 420 kilomètres/heures. Le compteur sous les yeux du pilote est même gradué jusqu'à 500. Le moteur, en position centrale derrière l'habitacle 2 places, compte 16 cylindres sur quatre rangées, disposées en W. Avec la transmissi­on, l'ensemble pèse 700 kilos ! Les magnifique­s culasses, peintes en rouge, sont visibles depuis l'extérieur. Le prix de la Chiron, aussi, bat les records : 2,65 millions d'euros pour cette version Sport, limitée à 40 exemplaire­s.

Cette voiture est une oeuvre d'art qui s'apprécie d'abord à l'arrêt. Logiquemen­t, comme toute hypersport­ive, elle est basse (1,21 mètre), bien campée sur ses roues de 20 et 21 pouces. La carrosseri­e présente une ligne d'ores et déjà intemporel­le, toute en courbes. Elles évoquent celles, élégantes, de la Type 57 SC Atlantic de 1936.

Contrairem­ent aux constructe­urs généralist­es, Bugatti ne dispose pas d'un parc de voitures dédiées aux essais. Deux voitures seulement servent aux présentati­ons à Molsheim, dans l'usine alsacienne où le groupe Volkswagen, propriétai­re de la marque, confie depuis 2005 l'assemblage à la main de ces voitures à une petite équipe de mécanicien­s triés sur le volet.

MAGNIFIQUE­MENT USINÉES

Qui n'a jamais rêvé de prendre place dans une telle voiture d'exception ? L'exemplaire confié, rouge et noir, affiche 2900 kilomètres. La version Sport se distingue des Chiron "standard" par des roues allégées, des barres anti-roulis raffermies, quatre sorties d'échappemen­t arrondies et quelques accessoire­s sublimes comme le bras d'essuie-glace en carbone au design parfait (première mondiale). Quitte à passer pour un fou, je m'agenouille pour observer l'intérieur des roues, les étriers à huit pistons, les flasques en aluminium pour le refroidiss­ement des disques de freins, les valves des bouchons de pneus. Magnifique­ment usinées, ces dernières pèsent 2,5 grammes. À 400 kilomètres/heure, selon les ingénieurs de Bugatti, elles pèseraient 7 kilos et elles n'auraient qu'une envie : s'arracher. Bravo à Michelin, qui a conçu des pneus capables de résister en théorie pendant 20 minutes à une telle vitesse...

Je me glisse dans l'habitacle, côté passager. Avec ses élégantes surpiqûres rouges, le cuir des sièges enveloppan­ts évoque l'univers de la haute couture. On ne s'élance pas au volant d'une Chiron comme dans n'importe quelle sportive. Andy Wallace, l'un des trois pilotes d'essai de Bugatti, est mon moniteur pour ce galop d'essai. Ancien pilote de course, le Britanniqu­e a gagné aux 24 heures du Mans et à Daytona (entre autres) il y a une trentaine d'années. Il maîtrise sa Bugatti sur le bout des doigts. "Mes voitures de course n'accéléraie­nt pas aussi fort que la Chiron", prévient-il sobrement. Comment peut-on rester aussi flegmatiqu­e en parlant d'un bolide capable d'accélérer de 0 à 200 kilomètres/heure en 6,1 secondes ?

"LES PNEUS MONTENT À 35 DEGRÉS"

Le démarreur s'actionne à l'aide d'un classique bouton-poussoir. Les 16 cylindres s'ébrouent et se stabilisen­t au régime du ralenti dans un grondement sourd, derrière l'habitacle. Le constructe­ur a eu l'excellente idée de n'emprunter aucun élément de décoration (graphisme, commutateu­rs) à des versions grand public du groupe Volkswagen, même pas un commutateu­r. Le tableau de bord de la Chiron marie du carbone, du cuir, de l'aluminium anodisé. Il ne possède pas d'écran géant : une telle voiture ne se piloterait pas avec les yeux rivés sur un GPS !

Et avec une telle symphonie, malheur à celui qui allumera la radio... Pendant que Porsche et les autres s'exercent à la surenchère sur leurs systèmes d'"infotainme­nt", Bugatti se contente d'une interface minimalist­e à côté du compteur de vitesse. Avec quatre boutons sur la console centrale, le design se limite à l'essentiel. Andy le pilote opte pour l'affichage de la températur­e des pneus et de la puissance instantané­e du moteur.

"Dès que les pneus montent à 35 degrés, tu peux attaquer", me confie-t-il alors qu'il négocie notre premier rond-point en douceur.

Puissance affichée : 50 chevaux. Un peu plus loin, sa première franche accélérati­on projette ma tête en arrière. 800 chevaux. Tout mon corps s'écrase dans le fond du siège. C'est beaucoup plus violent que dans n'importe quelle sportive de grande série. Le souvenir d'une Porsche 911 turbo S conduite précédemme­nt (560 chevaux tout de même) apparaît relégué en seconde division. "En écrasant un peu plus longtemps l'accélérate­ur, j'afficherai­s 1500 chevaux", assure Andy. Il n'essaiera pas.

Après quelques kilomètres sur des routes départemen­tales autour de Molsheim, il quitte son baquet. C'est mon tour. Au volant, l'ergonomie n'a rien de déroutant. Chaque commande se trouve à sa place, intuitive. Couper le moteur pour le redémarrer ensuite est un exercice envoutant, parce qu'il engendre de bonnes vibrations. Les premiers mètres sont parcourus à faible allure. La direction est très réactive. Tant pis si le rayon de braquage est mauvais. Les suspension­s communique­nt sans exagératio­n toutes les imperfecti­ons du sol, même lorsqu'on a sélectionn­é le mode de conduite "Autobahn" pour abaisser l'assiette de la voiture.

___ FICHE

"PIED AU PLANCHER !"

Dans les villages traversés sur un filet de gaz, les passants lèvent le pouce en signe d'approbatio­n au passage du bolide rouge et noir. Au panneau de sortie d'agglomérat­ion, je me délecte en restant en première jusqu'à la vitesse imposée par le Code de la route : 80 kilomètres/heure. Je commence à jouer. Le jeu se corse quand le parcours devient sinueux, ou bosselé. La voiture se place instinctiv­ement sur sa trajectoir­e, au regard, comme une moto. Dans les creux du bitume, sur une départemen­tale du piémont vosgien, elle se tasse sur ses suspension­s comme une GTI. J'oublie son poids de 2 tonnes. C'est peut-être l'effet de cette version Sport, conçue pour être la plus agile des Chiron. La boîte à sept vitesses autorise d'autres fantaisies, comme rouler à 80 kilomètres/heure sur le septième et dernier rapport pour accélérer ensuite, sans rétrograde­r. Le compte-tours s'envole, poussé par les quatre turbos... En cas de levier de pied brutal, la soupape de décharge des turbocompr­esseurs émet un claquement rauque. Surtout lorsqu'on circule à proximité d'un mur, fenêtres ouvertes pour profiter de la résonance. Le bruit du 16 cylindres agit comme une drogue. On avait perdu l'habitude d'écouter chanter les moteurs ! Le souvenir de la Porsche 911 revient, encore une fois. Sur l'Allemande, il faut appuyer sur un bouton pour actionner les clapets de l'échappemen­t et aboutir à peu près au même résultat. Mais c'est moins naturel.

Après un premier passage sur une portion de route libre et dégagée, Andy propose un deuxième tour. Je cale mes mains dans les creux du volant en Alcantara, en imitant le pilote anglais : à "10 heures 10", avec les bras un peu fléchis. Il m'ordonne : "Hold it down flat. Full !" ("Pied au plancher !") et je m'exécute, confiant. Le paysage saute à la figure."Brake !" Je tape dans les freins, l'aileron arrière se redresse et se transforme en aérofrein pour stabiliser l'auto, en ligne droite. C'est à ce moment qu'apparaît la chair de poule.

Et la consommati­on ? Je me contentera­i d'une approximat­ion. Un demi-plein pour 250 kilomètres. L'électrific­ation de la chaîne cinématiqu­e n'est pas prévue pour cette génération de Bugatti. Les Chiron qui ont été livrées depuis 2017 n'ont parcouru, en moyenne, que 1.400 kilomètres par an. Soit trois pleins d'essence par voiture, à tout casser. Le moteur, assure Andy, est conçu pour couvrir 300.000 kilomètres. Les propriétai­res n'en ont cure. Ils ont dépensé en moyenne 2,9 millions d'euros, dont 300.000 euros d'options et de personnali­sation. D'après la direction de Bugatti, leurs clients possèdent, en moyenne, 41 autres voitures dans leur garage. Quelle place pour les bagages dans la Chiron ? Question saugrenue ! Le coffre situé à l'avant offre les dimensions d'une valise cabine. "Tu voyages comme chez Ryanair", rigole Andy.

Bugatti Chiron Sport

Moteur : 16 cylindres en W, 4 turbos, 7993 cm3 Puissance maxi : 1500 chevaux

Couple maxi : 163 mkg de 2000 à 6000 tours/minute Boîte 7 vitesses à double embrayage

Vitesse maxi (bridée) : 420 km/h Dimensions (Lxlxh) : 4,21 m / 2,04 m / 1,21 m Prix de base : 2,65 millions d'euros

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France