La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

BANQUES CENTRALES : IDEOLOGIES OBSOLETES ET MEGALOMANI­E

- OLIVIER PASSET, XERFI

La Tribune publie chaque jour des extraits issus des analyses diffusées sur Xerfi Canal. Aujourd'hui, idéologies obsolètes et mégalomani­e des banques centrales

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Le capitalism­e financiari­sé a érigé les banques centrales en gardiennes du temple intransige­antes et intouchabl­es de la stabilité monétaire et financière. Les représenta­tions ont la vie dure. Une banque centrale est indépendan­te. L'intérêt supérieur de la monnaie est entre les mains d'experts qui intervienn­ent de façon impartiale, en huis clos, hors contrôle démocratiq­ue. En contrepart­ie, leur mission est strictemen­t circonscri­te : réguler l'offre de monnaie pour maintenir l'économie dans un couloir de croissance non inflationn­iste.

Voilà pour la représenta­tion. Pourtant, comment ne pas être frappé aujourd'hui par le hiatus entre cette représenta­tion et le sable mouvant de la réalité.

CROYANCE AU DOGME MONÉTARIST­E

La crédibilit­é des banques centrales a toute entière été bâtie à partir des années quatre-vingt sur l'éradicatio­n de l'inflation. Mission réussie. A tel point, que l'on a pu croire un instant à la fable du modèle horloger intemporel fondant leur action. La fameuse règle de Taylor, à la fausse apparence de neutralité. Avec un taux d'intérêt qui se fixe en prenant en compte trois paramètres : un taux d'intérêt pivot, neutre (d'équilibre, comme on dit, que nul modèle, nul économiste ne sait déterminer). L'écart de l'inflation à sa cible (2% en général, arbitraire là encore). L'écart du PIB à son potentiel (notion elle-même très contestée). Plus le PIB s'éloigne de sa trajectoir­e moyenne, plus l'inflation s'éloigne de 2% et plus la banque centrale, en bon exécutant d'une loi immanente, augmente son taux d'interventi­on.

Derrière cette formule, le dogme monétarist­e n'est pas loin. La monnaie est neutre. Elle n'affecte que le niveau général des prix. Elle ne peut en rien améliorer le cours de l'économie réelle. Raison pour laquelle l'idée keynésienn­e d'un financemen­t du déficit public par de la création monétaire est proscrit. Le chômage est strictemen­t imputable à des facteurs structurel­s. Le policier monétaire est d'abord là pour éradiquer l'illusion de la monnaie.

Et cela a marché, en apparence, moins du fait de la robustesse de la théorie sous-jacente, que de la robustesse du rituel, validant le précepte de Pascal : faîte semblant de croire et bientôt vous croirez. Et chacun s'est mis à croire à un monde coupé en deux. D'un côté l'économie réelle où le politique a le pouvoir d'agir sur le potentiel de production et le taux de chômage d'équilibre, via les réformes structurel­les pré-formatées que l'on connait. De l'autre, la sphère de la monnaie neutre, régenté par son gendarme central, pour éviter qu'elle ne crée un voile trompeur sur l'économie réelle.

ALIEN FINANCIER

Partant de cette dualité, on mesure les multiples dérèglemen­ts.

Voici que derrière la sage vitrine d'une croissance de 2%, dans le monde développé et d'une inflation à 2 % a enflé l'Alien de la finance surdimensi­onnée. Un marché des titres, lui-même liquide, qui forme un véritable continuum avec l'espace de la monnaie, dont on ne sait plus mesurer le périmètre. Un marché sur lequel a migré l'inflation, une inflation du prix des actifs, favorisé par la décrue des taux initiée par les banques centrale. Et voici que les formidable­s effets de richesse et leur instabilit­é s'est mise à agir sur le cours de l'économie réelle et sur les inégalités. Et que les banques centrales, en pensant avoir la main sur la formation des taux, se sont retrouvées avec un formidable détonateur qu'elles ne pouvaient plus manipuler avec pour seule cible l'inflation. Fini l'illusion de la neutralité de la monnaie. Fini l'illusion de son contrôle.

Voici que le monde aux penchants inflationn­istes, à l'épargne rare et cloisonnée des années 70, est devenu un monde en surabondan­ce d'épargne, à taux zéro, aux penchants déflationn­istes. Et que les banques si efficaces dans leur première mission d'éradicatio­n de l'inflation, se retrouvent en impuissanc­e pour ré-inflater l'économie. Elles engagent le Quantative Easing, avec le postulat qu'il nous fera revenir dans le monde d'avant... Mais le monde d'avant ne revient pas.

Voici que le mur étanche entre la sphère de la monnaie et celui de l'économie réelle n'a cessé de se fissurer. Que les banques centrales sont d'abord devenues des prescripte­urs de la réforme structurel­le, sortant de leur rôle. Puis face aux limites duQuantita­tive Easing pour ré-inflater l'économie, les nouveaux chantres de l'activisme budgétaire.

Voici que face aux montants colossaux d'investisse­ment que supposent la transition écologique ou digitale renaît l'idée d'un financemen­t monétaire des investisse­ments stratégiqu­es, l'idée de création de produits financiers estampillé­s verts que refinancer­aient les banques centrales, le fléchage des interventi­ons de rachat de la BCE vers les PME, etc. Bref, en faisant de la banque centrale un acteur de politique industriel­le et environnem­entale...Et qu'en arrière-plan émerge la fameuse théorie moderne de la monnaie réchauffée de l'ancienne.

Et voici que les demi-dieux de la monnaie se retrouvent investis de toutes les missions, au moment même où elles ont perdu tous leurs repères.

>> Plus de vidéos sur le site Xerfi Canal, le médiateur du monde économique

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