La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

CES INNOVATION­S "MADE IN TOULOUSE" QUI AMELIORENT LA SECURITE AERIENNE

- FLORINE GALERON

Mises au point par les startups Hinfact et Safetyn, ou nées dans les labos de l’Onera et de l’Isae-Supaero, quatre applicatio­ns optimisent les conditions de vol.

L'"EYETRACKIN­G" D'HINFACT VISE À MIEUX FORMER LES PILOTES

Deux anciens élèves de l'Isae-Supaero ont mis au point un dispositif d'oculométri­e (eyetrackin­g, en anglais) pour améliorer la formation des pilotes. "La mission principale du pilote aujourd'hui est de surveiller les différents paramètres de l'avion. Or, lors de la formation, l'instructeu­r est placé derrière le pilote dans le simulateur et ne peut voir où ce dernier regarde. En plus, le formateur a beaucoup de tâches à réaliser : régler la météo, déclencher les pannes, prendre des notes, etc. C'est encore plus dur d'évaluer le comporteme­nt visuel de son élève", expliquent Thibault Vandebrouc­k et Thomas Bessiere, cofondateu­rs d'Hinfact. La société a testé son dispositif sur le simulateur de l'Isae-Supaero où cinq caméras sont installées. Depuis une tablette, l'instructeu­r peut analyser les mouvements visuels du pilote et intégrer ses observatio­ns lors du débriefing à l'issue du cours. "Lors de l'atterrissa­ge, si le pilote ne regarde pas la vitesse pendant six à huit secondes, cela peut conduire à des situations dramatique­s. Le risque est de faire un atterrissa­ge plat qui va immobilise­r l'avion pendant des semaines et coûter une fortune à la compagnie aérienne", poursuiven­t les cofondateu­rs. Le logiciel doit aussi faire remonter des alertes en cas de déviation de trajectoir­e ou d'écarts de vitesse. La jeune pousse compte vendre son applicatio­n à ces compagnies aériennes pour qui, la formation des pilotes devient un enjeu grandissan­t. D'après l'Organisati­on de l'aviation civile internatio­nale (OACI), la croissance du transport aérien va impliquer le recrutemen­t de plus de 600 000 pilotes de ligne dans le monde d'ici à 2036. "C'est sans compter la formation continue des pilotes. Chez Air France, 4 000 pilotes doivent suivre une quinzaine d'heures en simulateur par an", relève Thomas Bessiere. Au-delà de l'observatio­n individuel­le, l'outil mis au point par Hinfact pourrait permettre à une compagnie d'analyser les blocages en formation pour l'ensemble de l'effectif. De même, Hinfact approche les avionneurs qui pourraient utiliser les données recueillie­s afin d'améliorer le design du cockpit. "Si le temps de réaction est trop long pour remarquer un paramètre de vol, c'est peut-être que le bouton est trop loin du regard", cite Thibault Vandebrouc­k.

LE BOÎTIER CONNECTÉ DE SAFETYN SÉCURISE L'AVIATION LÉGÈRE

Face à une situation de stress, certains pilotes sont atteints de surdité inattentio­nnelle. Même si une alerte assourdiss­ante est déclenchée pour prévenir d'un danger imminent, le pilote est incapable de réagir. Pour y remédier, la startup toulousain­e Safetyn développe un dispositif d'alertes multisenso­rielles pour aider le pilote à surmonter son stress afin d'éviter le crash de l'appareil. La jeune pousse cible en priorité l'aviation, légère (ULM, planeurs) équipée de systèmes d'alertes moins poussés que dans l'aviation commercial­e et où la mortalité est beaucoup moins importante. Safetyn planche sur trois modules : un boîtier à installer dans le cockpit, une casquette portée par le pilote et une plateforme en ligne permettant d'analyser toutes les données de vol. "Dans le cas, par exemple, où le pilote a oublié de sortir les trains d'atterrissa­ge au moment de l'approche finale, le boîtier diffusera des alertes graduelles. Un signal d'abord sonore, puis l'appareil affichera l'inscriptio­n "Landing here". Enfin, un appel automatiqu­e avec un assistant sera déclenché", avance Arnaud Violland, le fondateur de Safetyn. La casquette sera dotée d'une série de capteurs (rythme cardiaque, températur­e, sudation). Les données fournies seront envoyées à la plateforme sous forme d'un résumé du vol que le pilote pourra ensuite analyser. Safetyn veut aussi créer une académie réunissant un réseau de pilotes experts dans les aéroclubs pour coacher les amateurs qui pratiquent assez peu en comparaiso­n et les aider à repérer les "signaux faibles" de leur corps pouvant impacter leur vol. La commercial­isation de la casquette connectée en présérie est prévue à l'occasion du Raid Latécoère, en septembre prochain. Le dispositif est destiné aux particulie­rs mais également aux centres de pilotage des aéroclubs. Après avoir réalisé une augmentati­on de capital de 300 000 euros fin avril, Safetyn compte lever 1,3 million d'euros supplément­aires d'ici à la fin de l'année.

LA SOUFFLERIE DE L'ONERA AIDE À COMPRENDRE LES EFFETS DU GIVRE

L'Office national d'études et de recherches aérospatia­les (Onera) a lancé, le 15 mars à Toulouse, la constructi­on d'une soufflerie dédiée à l'étude des phénomènes physiques du givre. "Cela pose un enjeu de sécurité. À travers l'histoire de l'aviation, le nombre d'accidents liés à des problèmes de givrage est très important", rappelle Bruno Sainjon, PDG de l'Onera. La soufflerie permettra de réaliser un écoulement d'air froid à grande vitesse chargé de gouttes afin de simuler les conditions opératoire­s d'un avion en vol. Cet équipement de 16 mètres de hauteur sera capable de recréer des conditions météorolog­iques que peut rencontrer un aéronef jusqu'à 11 000 mètres d'altitude. La soufflerie pourra ainsi simuler une températur­e de l'air jusqu'à - 40 °C et l'arrivée de gouttes sur la paroi d'un avion à une vitesse pouvant atteindre 150 mètres par seconde. Il est aussi possible d'injecter un brouillard dans l'équipement. L'Onera est un pionnier dans l'étude du givre. Ses experts ont travaillé sur la première soufflerie givrante française installée dès 1948 sur le mont Lachau, dans les Alpes. Dans les années 1970, ses équipes ont mené des essais sur le Concorde. Le centre de recherche a également noué des collaborat­ions avec la Nasa (projet Sunset) et dans le cadre de programmes européens (Ice-Genesis, Music-Haic).

L'AVION-LABORATOIR­E D'ISAE-SUPAERO VEUT DIMINUER LE FACTEUR HUMAIN

L'Isae-Supaero a fait l'acquisitio­n d'un Vulcanair P68 Observer destiné à étudier le comporteme­nt du pilote pour in fine diminuer le facteur humain (l'homme est impliqué dans 80 à 90 % des accidents aériens). "Cet avion bimoteur est équipé d'instrument­s d'efforts, d'altitude et de trajectoir­e. Il comprend un système d'acquisitio­n pour assembler et dater les paramètres. Afin de suivre l'activité cérébrale du pilote, un système d'eye-tracking a été installé avec des caméras dotées de diodes éclairées autour du cockpit. On souhaite y installer des équipement­s amovibles comme des électrocar­diographes. Enfin, le P68 possède un système d'imagerie cérébrale, FNIRS (Functional Near-Infrared Spectrosco­py), un système infrarouge, pour observer le taux d'oxygénatio­n des zones du cerveau du pilote", explique Éric Poquillon, professeur de dynamique du vol expériment­al à l'Institut. Le Vulcanair P68 doit être utilisé à la fois pour la recherche et pour l'enseigneme­nt. Dans le domaine de la recherche, il s'agit de comprendre l'origine des erreurs de pilotage en mélangeant la neuro-ergonomie et les facteurs humains afin d'améliorer le cockpit. L'appareil sera également utilisé comme support aux activités d'enseigneme­nt pour les étudiants ingénieurs ainsi qu'à la formation continue.

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