La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

ENTRE LE LOCAL ET L'EUROPE, LA LENTE MONTEE EN PUISSANCE DES REGIONS

- ANTOINE ACHARD

IDEE. Bruxelles mise de plus en plus sur cet échelon au rôle pourtant mal connu des citoyens pour le développem­ent économique. Par Antoine Achard, Université de Bordeaux

Les troubles sociaux qui secouent la France depuis plusieurs mois ont donné lieu à une série d'annonces de la part du président de la République Emmanuel Macron. Parmi celles-ci, il a notamment souhaité « ouvrir un nouvel acte de décentrali­sation adapté à chaque territoire », lors de la conférence de presse du 25 avril dernier qui visait à clore la séquence du grand débat national. Les analystes politiques et économique­s commencent à imaginer les contours que pourraient prendre un nouvel acte de décentrali­sation. Il pourrait par exemple être question de rapprochem­ent entre les instances départemen­tales et régionales au travers du projet de conseiller territoria­l qui siégerait dans les deux assemblées.

Nous souhaitons exposer ce qui mène à la régionalis­ation des politiques et la place qu'occupent les régions françaises, ces jeunes institutio­ns qui peinent à être reconnues au sein du paysage politicoad­ministrati­f français. Elles constituer­aient un échelon d'interventi­on pertinent pour résoudre la crise du modèle français de politiques publiques, entre le local et l'Europe.

Nous proposons donc de revenir sur les étapes qui mènent à un approfondi­ssement de la régionalis­ation des politiques publiques dans un mouvement entamé à la fois par l'État central mais, également supporté par l'Union européenne. Nous allons donc proposer un retour qui expose ces deux dynamiques de régionalis­ation.

L'EUROPE POUR METTRE FIN AUX GUERRES

Le rêve d'une Europe unifiée n'est pas nouveau et les tentatives ou réflexions pour le réaliser ont été nombreuses. Elles ont été de plusieurs ordres : militaire, avec par exemple l'empire romain, carolingie­n, l'Europe napoléonie­nne, religieuse, l'idée de la « Christiani­stas » très défendue par Pierre Dubois au XIII? siècle, ou politique avec la création de la Société des Nations (SDN) après le premier conflit mondial.

Après la Seconde Guerre mondiale et devant l'échec de la Société des Nations à atteindre la paix, c'est sur le volet économique que les nations européenne­s vont travailler pour unifier l'Europe avant de lui donner une dimension politique. L'Europe s'est donc construite sur le charbon et l'acier avec la CECA, puis sur l'atome, avec la Communauté européenne de l'énergie atomique (CEEA), avant de devenir la Communauté économique européenne (CEE), puis l'Union européenne (UE).

Très rapidement dans sa jeune histoire, l'Europe a cherché à régionalis­er ses politiques, dans la lignée de la pensée défendue par l'écrivain suisse Denis de Rougemont en 1946 qui exprimait que pour « faire l'Europe, il faut d'abord faire des Européens ». En effet, les États-nations européens se trouvent dans une position où ils sont trop grands pour adresser les problèmes rencontrés au niveau local, mais également trop petits pour lutter et traiter seuls face à l'émergence des superpuiss­ances que constituen­t aujourd'hui la Chine, les États-Unis, mais également la Russie ou l'Inde.

MULTIPLICA­TION DES PROGRAMMES RÉGIONAUX

L'UE, dès son institutio­nnalisatio­n par le Traité unique européen (TUE) de 1992, et ses États membres se sont dits « résolus à poursuivre le processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l'Europe, dans laquelle les décisions sont prises le plus près possible des citoyens, conforméme­nt au principe de subsidiari­té ». Ceci dans le but de concevoir des politiques ayant un effet plus important sur les territoire­s et avec les institutio­ns locales qui sont celles disposant de la connaissan­ce la plus fine des enjeux locaux.

Les rapports entre l'Europe et les régions se sont alors densifiés, avec la création du Comité des régions en 1994, mais également la création d'agences de représenta­tion des régions à Bruxelles. Dans le même temps se sont développée­s de nombreuses collaborat­ions interrégio­nales, souvent transfront­alièresà l'image des Eurorégion­s à cheval sur plusieurs pays. Aujourd'hui encore, les programmes en faveur des régions se multiplien­t, avec Interreg, ou encore les fonds Feder et Feader que gèrent les régions. Ces programmes s'inscrivent dans la stratégie européenne Horizon 2020 (prochainem­ent Horizon Europe) qui demande aux régions de définir de plans de spécialisa­tion de leur territoire.

Toutefois, l'Europe des régions n'a encore jamais vraiment décollé parce que les Européens restent encore plus attachés à leur nation qu'à l'Europe, et que les projets européens sont perçus comme vague ou sont invisibles. Cependant, sur de nombreuses questions c'est bien l'Europe qui dispose aujourd'hui des moyens réglementa­ires et financiers pour intervenir. Rappelons simplement que la loi européenne est supposée prévaloir sur les prérogativ­es nationales.

LA LENTE DÉCENTRALI­SATION FRANÇAISE

En parallèle, la France a initié un mouvement de décentrali­sation, qui depuis longtemps est préconisé par des intellectu­els, alors que le pays est plutôt empreint d'une tradition centralisa­trice forte. Un processus qui a d'abord valu au Général de Gaulle de démissionn­er face à l'échec du référendum en 1969, avant de s'imposer en 1972 avec la création officielle des régions. La loi Deferre en 1982 connue aujourd'hui comme étant l'Acte I de la décentrali­sation autorise l'interventi­on économique des collectivi­tés locales.

La décentrali­sation s'est accompagné­e d'une déconcentr­ation des organes étatiques en région. Les directions régionales ont été placées sous l'autorité des ministères, afin de contrebala­ncer le pouvoir des nouvelles institutio­ns régionales. Les compétence­s des régions sont toutefois renforcées en 2004 lors de l'Acte II de la décentrali­sation, qui reconnaît les régions dans la Constituti­on. Il faut attendre les réformes de 2007 avec la Réforme de l'administra­tion territoria­le de l'État (RéATE) et la Révision générale des politiques publiques (RGPP) pour voir les institutio­ns déconcentr­ées de l'État commencer à se réformer et à réduire leur périmètre.

Enfin, en 2014 et 2015, deux réformes sont adoptées, la loi Modernisat­ion de l'action publique territoria­le et d'affirmatio­n des métropoles (MAPTAM), dont l'objectif est de clarifier les compétence­s des collectivi­tés territoria­les. Une loi suivie de près en 2015 par la loi portant sur la nouvelle organisati­on territoria­le de la République (loi NOTRE) qui ont pour objectif de simplifier le millefeuil­le territoria­l, rationalis­er la dépense publique et réaliser des économies d'échelles. Ces réformes controvers­ées ont été critiquées par les citoyens mais également la communauté de la recherche.

Les régions françaises ont atteint une taille critique, en termes de superficie et de population. Les dernières réformes les placent dans une position de pilote des politiques publiques régionales. Mais elles sont encore bien loin du budget des régions allemandes ou espagnoles, 5 à 10 fois inférieure­s, comme en témoigne un billet d'Olivier Bouba-Olga, professeur des Université­s en aménagemen­t de l'espace et urbanisme à l'Université de Poitiers.

Nous avons assisté depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale à la naissance de deux échelons politiques, l'Europe et les Régions. L'Europe pour atteindre un objectif de paix et d'homogénéis­ation économique des territoire­s européens. Les régions comme institutio­ns clefs pour appliquer des politiques ayant un effet de levier intéressan­t grâce à une connaissan­ce plus fine des problémati­ques locales.

Toutefois, il semble que le débat est systématiq­uement ramené aux problémati­ques nationales. Lors des élections locales ou européenne­s, dont les enjeux sont d'adresser des problémati­ques locales ou supranatio­nales, les observateu­rs et acteurs politiques appellent souvent les électeurs à venir voter par rapport à un contexte national et les analystes présentent souvent les résultats sur le plan national.

Il serait bon de donner les clefs pour comprendre la nouvelle organisati­on politique et économique en France et en Europe. Ceci pour considérer que si l'Europe doit nous protéger d'un nouveau déchiremen­t, les réponses viendront aussi et surtout de la prise en compte des problémati­ques locales, par les institutio­ns locales et régionales et non plus par le gouverneme­nt central qui ne peut pas adresser la diversité et les spécificit­és des territoire­s dans leur intégralit­é. Si l'État conserve sa raison d'être, les territoire­s ont autant besoin que l'on respecte leur diversité et leurs spécificit­és par la conception de politiques au plus proche de ces derniers.

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Olivier Bouba-Olga

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