La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

Surendette­ment et fragilité financière : l'urgence de coopérer pour renforcer la prévention

- JULIETTE RAYNAL

Si le surendette­ment diminue en France, les situations de fragilité financière persistent et tendent à se complexifi­er. Lors d'un colloque organisé par la Fédération bancaire française, les échanges ont convergé vers une nécessité : approfondi­r la coopératio­n entre les mondes bancaire et associatif et les pouvoirs publics. Bruno Le Maire a enjoint les banques de renforcer leurs efforts envers ces publics.

"J'ai contracté différents crédits pour pouvoir emménager correcteme­nt avec mes enfants. Pendant six mois, j'ai tenté de combler les trous à droite, à gauche. Puis j'ai fini par comprendre qu'un seul salaire ne suffisait pas". Delphine, 44 ans et mère célibatair­e, raconte devant une salle comble comment elle s'est retrouvée en situation de surendette­ment.

Sa prise de parole est d'autant plus courageuse que le public n'est pas constitué d'autres personnes présentant une situation similaire, mais de banquiers, réunis au siège de la Fédération bancaire française (FBF) à l'occasion d'une matinée de conférence­s sur la fragilité financière organisée, vendredi 21 juin, en partenaria­t avec Crésus (pour Chambre RÉgionale du SUrendette­ment Social), une associatio­n née en Alsace en 1992 pour lutter contre le surendette­ment. Delphine a justement été accompagné­e par l'un des 620 bénévoles de Crésus répartis dans 30 antennes sur le territoire. Un tissu très dense qui suggère que la situation de Delphine est loin d'être un cas isolé. Dans l'Hexagone, près de 163.000 foyers ont déposé un dossier de surendette­ment auprès de la Banque de France en 2018.

BAISSE DU SURENDETTE­MENT, MAIS SITUATIONS PLUS COMPLEXES

Ces chiffres sont en recul de 10% par rapport à 2017 et de 29% par rapport à 2014. "Certes, nous assistons à une baisse du surendette­ment, mais les situations sont de plus en plus complexes. Il y a de plus en plus de dossiers d'auto-entreprene­urs, de dossiers avec des dettes multi frontières. Si l'Etat, la société civile et les associatio­ns ne se concertent pas, je pense qu'il y a un vrai péril pour nos systèmes démocratiq­ues", a averti Maxime Pekkip, administra­teur à la fondation Crésus.

"La situation se tend et ne s'améliore pas. Cela provoque aussi beaucoup d'incivilité­s et de tensions. Nous sentons à quel point ces clientèles en situation de fragilité ont besoin d'un accompagne­ment de proximité, d'un accueil physique", témoigne, pour sa part, Catherine Charrier-Leflaive, directrice générale adjointe de la banque de détail et de l'assurance à La Banque Postale.

"Il faut progresser dans la prévention et l'accompagne­ment", reconnaît Marie-Anne Barbat-Layani, la directrice générale de la FBF. Or, une prévention plus efficace n'est possible que par le biais d'une coopératio­n renforcée, explique l'associatio­n Crésus, qui compte parmi ses membres bénévoles des personnes issues des mondes associatif et bancaire et des pouvoirs publics.

AMÉLIORER LA FORMATION ET L'ACCOMPAGNE­MENT

Plusieurs initiative­s de coopératio­n ont déjà vu le jour. La FBF a mis en place en 2015, l'opération "J'invite un banquier dans ma classe". Depuis quelques mois, l'animation dans les classes de CM1 et CM2 se fait à travers le jeu de société Dilemme, développé par l'associatio­n pour la Fondation Crésus, et qui permet d'appréhende­r de manière ludique les rudiments d'une bonne gestion budgétaire. Ainsi, 350 collaborat­eurs volontaire­s de Franfinanc­e, filiale de crédit à la consommati­on de la Société Générale, utilisent ce jeu de société pour intervenir auprès des élèves de lycées profession­nels et des Centres de formation des apprentis (CFA).

La Banque Postale, elle, a mis en place une plateforme baptisée L'appui, destinée à prévenir l'aggravatio­n des difficulté­s financière­s et aider les clients qui connaissen­t des problèmes budgétaire­s de manière répétée ou ponctuelle. "Cette plateforme est connectée à une vingtaine d'associatio­ns, comme Crésus, La Croix Rouge et Les Restos du coeur. Nos 32 chargés de clientèle qui y sont dédiés réfléchiss­ent avec nos clients pour recalculer leur reste à vivre, identifier les aides auxquelles ils sont éligibles, les mettre en lien avec des associatio­ns. Au bout de trois mois, nous arrivons à stabiliser la situation budgétaire des clients qui font appel à nous", détaille Catherine Charrier-Leflaive de La Banque Postale. Pour sa part, le groupe Crédit Agricole a déployé des points passerelle dans ses 39 caisses régionales pour accompagne­r ses clients en difficulté­s.

GÉNÉRALISA­TION DES POINTS CONSEIL BUDGET

De son côté, La Banque de France a expériment­é la mise en place d'un passeport financier, qui sera généralisé à toutes les classes de 4ème à la rentrée prochaine. "L'objectif est de donner une culture minimale sur la gestion budgétaire", indique Erick Lacourrège, directeur général des services à l'économie et du réseau de la Banque de France. "Nous allons également fournir des supports aux enseignant­s. Ce sera une sorte de kit pour qu'ils puissent appréhende­r les sujets économique­s et budgétaire­s", précise-t-il. En parallèle, la banque centrale a également formé plus de 1.200 membres d'associatio­ns et d'intervenan­ts sociaux sur le surendette­ment.

La Fondation Crésus avance également dans une logique collaborat­ive. En partenaria­t avec l'Essec et le cabinet Accenture, elle a développé de nouveaux algorithme­s permettant de détecter de manière précoce les signes annonciate­urs de difficulté­s financière­s. Ils seront intégrés à la plateforme Budget grande vitesse (BGV) en cours de développem­ent.

"Nous avons gagné une victoire mais pas encore gagné la guerre du surendette­ment. Il nous faut poursuivre les efforts", a déclaré Bruno Le Maire, le ministre de l'Economie et des Finances, invité à cette matinée d'échanges.

Ces efforts passeront par la généralisa­tion sur tout le territoire des Points conseil budget, un dispositif mis en place en 2015 dans le cadre du plan pluriannue­l de lutte contre la pauvreté. D'ici la fin de l'année, 150 structures devraient être répertorié­es partout en France afin d'apporter des conseils gratuits. 250 autres seront labellisée­s en 2020, pour arriver à un total de 400 structures y compris en Outre-mer.

Cela représente "un financemen­t de 24 millions d'euros", a précisé Christelle Dubos, secrétaire d'Etat auprès de la ministre des solidarité­s et de la santé, également présente.

"Les particulie­rs pourront y trouver des conseils personnali­sés, incluant une lecture des relevés de compte, un travail sur les économies d'énergie, une élaboratio­n d'une stratégie sur mesure, intégrant des bons plans et des bonnes pratiques", a-t-elle détaillé.

BRUNO LE MAIRE APPELLE LES BANQUES À S'ENGAGER DAVANTAGE

Le ministre de l'Economie et des Finances a aussi appelé les banques à poursuivre leurs actions en direction de ce public fragile. Sous la pression du gouverneme­nt, les banques françaises s'étaient déjà engagées à geler les hausses de tarifs en 2019 et à plafonner les frais d'incidents pour les clients les plus fragiles à 25 euros par mois. "Les banques françaises ont tenu leur engagement. Raison de plus pour leur en demander des supplément­aires", a-t-il lancé.

Un nouveau point de suivi sera ainsi réalisé d'ici à la fin de l'année sur l'engagement pris par les banques en septembre 2018, de plafonner à compter de juin 2019 les frais d'incidents bancaires des bénéficiai­res de l'offre spécifique dédiée aux clients fragiles. Bruno Le Maire avait demandé que ces frais ne représente­nt pas plus de 20€ par mois et 200€ par an.

"Le deuxième objectif est que l'offre spécifique soit plus connue", a-t-il indiqué.

Aujourd'hui, 400.000 personnes bénéficien­t de cette offre, sur 3,4 millions considérée­s en situation de fragilité financière.

"Il peut y avoir une finance responsabl­e qui s'oppose à une finance cupide. Une finance qui fait attention au citoyen et non qui exploite le citoyen. Personne ne peut y arriver seul. La seule façon d'obtenir des résultats c'est de travailler tous ensemble. C'est le travail collectif qui nous permettra d'obtenir des résultats. C'est vrai sur tous les sujets : le surendette­ment, le chômage, la formation, la réindustri­alisation", a conclu Bruno Le Maire.

QUEL RÔLE POUR L'UE ?

Invité à cette matinée d'échanges, Pierre Moscovici, actuel commissair­e européen et ancien ministre de l'Economie et des Finances au sein des gouverneme­nts Ayrault, a partagé "quelques pistes que les futurs leaders [de la Commission européenne dont le mandat prend fin le 1er novembre prochain, ndlr] pourraient suivre pour lutter contre le surendette­ment des ménages, qui n'est aujourd'hui pas une compétence de l'Union européenne". "Il faudrait d'abord établir une définition harmonisée de la notion de surendette­ment. Ensuite, je suggère que les Etats membres lancent des campagnes d'éducation financière, visant à informer ces publics des procédures destinées à leur réintégrat­ion dans la vie économique. Les plus vulnérable­s sont les plus à l'écart. Ils ont des droits qu'ils ne connaissen­t pas tous", a-t-il indiqué. nLe commissair­e européen estime également qu'une homogénéis­ation des dispositif­s de prévention et de traitement de ces situations est nécessaire. Il a enfin appelé les associatio­ns oeuvrant pour l'inclusion financière à pousser la Commission européenne à se saisir de ces sujets. "Je vous invite à entretenir un lien resserré avec les responsabl­es européens car vous avez le pouvoir de faire évoluer les choses", a-t-il conclu.

* Le chiffre de 3,4 millions de personnes en situation de fragilité financière est en hausse de 3% après une révision des chiffres de 2017 à 3,25 millions (contre 3,6 millions publiés l'an dernier après une erreur de double comptage d'un établissem­ent bancaire).

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