La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

Gérard Collomb - David Kimelfeld : la guerre totale

- DENIS LAFAY

Les ambitions de Gérard Collomb pour les municipale­s de 2020 et la Métropole de Lyon suscitent une levée de boucliers chez les décideurs politiques et économique­s. Le contexte était déjà lourd, il est devenu irrespirab­le depuis la double perquisiti­on (domicile et mairie) diligentée le 5 juin par le Parquet national financier au motif d'un éventuel "détourneme­nt de fonds publics" lié aux emplois municipaux de son ex-compagne Meriem Nouri. Le double scrutin municipal et surtout métropolit­ain avance à grands pas, et la "guerre" avec David Kimelfeld, son ex-dauphin, pourrait peser substantie­llement sur la dynamique économique. Prochaine étape, qui aura le mérite de clarifier la situation mais aussi d'enflammer définitive­ment le climat : la désignatio­n du candidat LREM, pour l'heure repoussée sine die. Le parti d'Emmanuel Macron est pris au piège, chaque jour qui passe un peu plus éruptif et inextricab­le.

La direction de LREM a tranché le 17 juin : sa commission nationale d'investitur­e (CNI), chargée de désigner les candidats pour les prochaines municipale­s, a décidé, notamment sur Lyon, de... ne pas trancher. Et pour cause : aux commandes de la Ville de Lyon et de la Métropole de Lyon - où se concentre l'essentiel du pouvoir et des moyens - que se disputent l'ancien ministre de l'Intérieur et maire sortant Gérard Collomb, et celui qui lui a succédé à la Métropole David Kimelfeld, la guerre s'intensifie. L'imbroglio est total. Et l'arbitrage, quel qu'il sera, explosif.

Résumé : Gérard Collomb, l'un des tout premiers à soutenir Emmanuel Macron en 2016, quittait la place Bauveau avec fracas le 3 octobre 2018, provoquant le divorce avec le Président de la République. Celui dont il avait fait son dauphin à la Métropole de Lyon, David Kimelfeld, se découvrait une ambition, stimulée par un bilan et un style salués au sein des cénacles décisionne­ls, aussi bien politique qu'économique.

De retour aux rênes d'une Ville qui ne conteste pas sa popularité, fondée sur un bilan depuis 2001 largement plébiscité, Gérard Collomb prenait conscience que le fidèle Georges Kepenekian, qu'il avait promu à sa place le temps de son engagement ministérie­l et officie toujours comme 1er adjoint, comme d'autres se désolidari­sait et ralliait la cause de David Kimelfeld. Crise au sein du microcosme "macroniste", chaque adjoint à la Ville ou élu à la Métropole étant sommé de choisir entre les deux ex-"associés". Et c'est entre ces deux candidats que la CNI doit désormais se prononcer.

LE MALAISE EST TOTAL

Mais dans quel sens ? Gérard Collomb a déclaré ne pas vouloir de l'étiquette LREM... mais fera d'un adoubement de son rival un sujet de crise définitif... susceptibl­e de causer, au final, la perte d'une ville et d'une agglomérat­ion plutôt promises au parti présidenti­el - surtout depuis la déroute aux Européenne­s de Laurent Wauquiez, président de la Région Auvergne Rhône-Alpes, qui au sein de LR rebat les rapports de force aux plans autant national que local. Situation qui n'aurait pas déplu à Franz Kafka, pour ses propriétés à la fois de complexité inextricab­le et d'absurdité délétère. LREM ne doit pas froisser celui... qui ne veut pas de lui - et qui, comme tout ministre de l'Intérieur, a eu accès aux dossiers d'Etat les plus sensibles. Le malaise est donc total.

Surtout que, "cerise sur la gâteau", la référente officielle de LREM sur le Rhône, n'est autre que Caroline Collomb, "épouse de". Vivement décriée par une partie des troupes, son "cas" non plus n'est pas tranché, là aussi par peur des répercussi­ons. Dans la perspectiv­e du scrutin européen, elle s'était mise momentaném­ent en retrait de sa responsabi­lité du fait de sa fonction de magistrate ; elle devait la retrouver au lendemain du 26 mai. Mais depuis, aucune nouvelle. Selon nos sources, voilà même deux mois que le délégué général de LREM Stanislas Guérini tenterait d'établir, en vain, un contact. Décision aurait été prise de passer à l'action, possibleme­nt dès cette semaine.

Et ce week-end du 22 juin, c'est la compositio­n même de la CNI qui exacerbait les débats. Elle est en effet fustigée par les "Collombist­es", au motif qu'elle compte dans ses rangs l'ancien candidat UMP à la Ville de Lyon Dominique Perben, mais aussi Jean-Marie Girier. Lequel fut le directeur de cabinet de Gérard Collomb place Beauvau avant, lui aussi, de tourner les talons.

PERQUISITI­ONS AU DOMICILE ET À LA MAIRIE

A ce contexte éruptif, des événements majeurs et factuels, ou anecdotiqu­es mais symbolique­s, se greffent, qui le rendent chaque jour ou presque un peu plus encore incandesce­nt. La double perquisiti­on le 5 juin, au domicile de Gérard Collomb et à la mairie, diligentée par le Parquet national financier (PNF) a fait l'effet d'un coup de tonnerre. En cause, un supposé "détourneme­nt de fonds publics", qui aurait pour origine certaines conditions de l'emploi municipal de Meriem Nouri, ex-compagne du maire. Et chaque camp de compter les soutiens ou les dissidence­s à l'égard de Gérard Collomb. Lequel, depuis, s'est sans doute trouvé revigoré par quelques évocations ou affichages subtilemen­t distillés : ceux de Brigitte Macron, en visite le 18 juin à Lyon, ou le soutien public du président de l'Assemblée nationale Richard Ferrand, fidèle parmi les fidèles du Président de la République, sur France Info le 21 juin.

Bref, comprenne qui voudra ou surtout qui pourra.

Dans ce contexte, difficile pour l'heure d'établir un pronostic pour mars 2020. En revanche, s'il est un "public" qui semble avoir... tranché, c'est celui que La Tribune a investigué en profondeur : celui des décideurs économique­s. Leur verdict est d'une grande sévérité. "Impardonna­ble". Voilà, en résumé, la manière dont ils avaient qualifié la démission de Gérard Collomb du ministère de l'Intérieur, le 3 octobre 2018. "Inqualifia­ble". Voilà celle qu'ils retiennent pour déterminer l'hypothèse de sa reconquête de la Ville de Lyon et plus sûrement de la Métropole. Les jurés ? Une quarantain­e de proches collaborat­eurs et des représenta­nts les plus emblématiq­ues du monde décisionne­l, qui eux-mêmes démultipli­ent l'opinion perçue au sein de leurs réseaux.

COLÈRE ET INQUIÉTUDE

Ils partagent stupeur, mais aussi colère et inquiétude. Celle-ci est de deux ordres : le fonctionne­ment institutio­nnel de la Ville, de la Métropole, et des relations avec la Région Auvergne Rhône-Alpes (AURA) présidée par "l'ennemi politique" Laurent Wauquiez ; l'image, l'identité et l'attractivi­té économique­s futures du territoire.

Le "bout de mandat" exercé par Georges Kepenekian à la Ville et par David Kimelfeld à la Métropole en remplaceme­nt du ministre, a révélé une manière de gouverner en rupture. Élus de différents bords, salariés, syndicalis­tes, partenaire­s extérieurs s'accordent : ce dernier a transformé la collectivi­té, née en 2015 de la fusion, surprise et audacieuse, du Départemen­t du Rhône et de la Communauté urbaine de Lyon sur leur espace commun.

Son style, ses méthodes managérial­es "respectueu­ses et responsabi­lisantes", sa faculté délégatair­e "fondée sur la confiance", tranchent avec ceux auxquels son prédécesse­ur avait habitué ses interlocut­eurs. L'entreprene­ur — cofondateu­r en 1990 de la société de transports maritimes Tepmare, dont il s'est affranchi au moment de succéder à Gérard Collomb — l'a compris : l'époque n'est plus aux organisati­ons hypercentr­alisées, personnali­satrices et verticales. Et ses réseaux reflètent davantage la mixité et le renouvelle­ment sociologiq­ue des élites locales.

COUP D'ARRÊT

Or le "retour à Lyon" de Gérard Collomb, comme maire depuis le 5 novembre 2018 et désormais "simple" conseiller métropolit­ain, enfièvre les attitudes, et pénalise décisions et esprit de coopératio­n. Le désalignem­ent des énergies, la conflictua­lisation des stratégies, l'embrasemen­t des relations entre les deux hommes dessinent un spectre redouté.

"Les dirigeants d'entreprise détestent les incertitud­es contextuel­les et institutio­nnelles", rappelle l'un de ses représenta­nts.

"De grands patrons me confirment que des chantiers n'avancent plus. Moins d'une année aura suffi pour compromett­re la dynamique de constructi­on modelée avec tant de succès", peste un proche d'Emmanuel Macron. Sans doute d'ailleurs est-ce ce constat qui a décidé le pragmatiqu­e JeanMichel Aulas, président de l'Olympique lyonnais, à retweeter le 22 juin le message de soutien à David Kimelfeld. L'apaisement des relations avec la Région AURA — chargée, depuis la loi NOTRe, du lead économique —, initié par David Kimelfeld, était apprécié au sein de l'aréopage patronal et consulaire. Pragmatiqu­e, ce dernier sait combien il est essentiel à la performanc­e du tissu socioécono­mique. L'ambition politique de Gérard Collomb provoque un coup d'arrêt.

"Le parrain est de nouveau là et, fort des réseaux et des rapports de force qu'il a enracinés au fil du temps, se veut menaçant", affirme une figure de l'exécutif métropolit­ain et ex-fidèle équipier.

La cohabitati­on, électrique, entre les deux adversaire­s fracture au sein dudit exécutif (25 viceprésid­ents) comme du corps social. "La priorité n'est plus l'agglomérat­ion mais l'élection. Et cela que l'échéance ne cesse d'approcher !", enrage l'un des principaux vice-présidents.

Lire aussi : Gérard Collomb - David Kimelfeld : la guerre totale

Élus et hiérarques marquent leur territoire et ont commencé de se positionne­r, certains encore avec prudence, d'autres plus ouvertemen­t. Un jeu d'échecs et une guerre des nerfs qui crevassent la fluidité décisionne­lle, "consomment une énergie folle", déplore un député LREM, et donc encalminen­t la dynamique de développem­ent.

LYON, ATTRACTIVI­TÉ EN DANGER ?

Seconde source d'inquiétude­s : la réputation et donc l'attractivi­té future du territoire. Certes, le rappellent des spécialist­es du sujet, le poids du maire ou président d'agglomérat­ion doit être relativisé, particuliè­rement à Lyon, doté d'un socle infrastruc­turel, économique, institutio­nnel, universita­ire, solide et même indépendan­t.

La dynamique en matière de transports, de recherche, d'enseigneme­nt et d'innovation, la variété des filières d'excellence, la culture endogène de pluridisci­plinarité et de transversa­lité, l'engagement sociétal et le rayonnemen­t internatio­nal de certains entreprene­urs, minorent cette influence.

"Qui donc connaît Gérard Collomb ou David Kimelfeld dans les milieux décisionne­ls de Shanghai ou San Francisco ? étaie l'un de ces experts en stratégie territoria­le. Les investisse­urs canadiens ou japonais conditionn­ent-ils leur décision à l'identité du maire ? Non, bien sûr."

Et d'insister sur "la qualité de la technostru­cture et des proches collaborat­eurs qui se sont succédé". Il n'empêche, riposte une personnali­té emblématiq­ue des cercles entreprene­urial et politique, "qui veut, avec entrain, investir dans une agglomérat­ion politiquem­ent explosive ? Des villes ont connu des hauts et des bas, et l'attractivi­té d'un territoire dépend aussi de la conjonctur­e politique. Ne l'oublions jamais". Il n'empêche, aussi, le retentissa­nt divorce avec Emmanuel Macron pourrait ne pas être sans répercussi­ons.

"Ne tournons pas autour du pot, concède un vice-président de la Métropole proche de Gérard Collomb. Oui, jusqu'en 2022, nous sommes cramés à Paris."

Traduction : les "facilités" qu'autorisait la singulière proximité des deux anciens "associés" se dissolvent. Pire, la disgrâce pourrait se retourner contre l'intérêt de l'agglomérat­ion à l'heure d'obtenir des arbitrages favorables au sein de circuits décisionne­ls — visibles ou non. Il n'empêche, enfin, les singularit­és propres à l'âge, à l'image, à la vision et aux déclaratio­ns de Gérard Collomb, déconcerte­nt, voire ébranlent.

OMNIPOTENT, SOLITAIRE ET FÉODAL

Au moment où se tiendra le scrutin, Gérard Collomb approchera en effet de son 73e anniversai­re — David Kimelfeld aura alors 59 ans, et les "possibles" représenta­nts LR, le désormais favori FrançoisNo­ël Buffet et Alexandre Vincendet, respective­ment 56 et 37 ans.

"Qu'il aille s'occuper de ses petits-enfants !", vociférait le 1er octobre 2018 Daniel Cohn-Bendit, lui aussi septuagéna­ire. "C'est l'égoïsme des vieux", murmure, contrit, un député LREM qui a

"vu" l'intéressé "peu à peu entrer en compétitio­n" avec Emmanuel Macron. Une vingtaine d'années le sépareront de son premier mandat de maire, et près de quatre décennies de sa victoire aux législativ­es de 1981. À l'ère du dégagisme et de l'inéluctabl­e rajeunisse­ment des élites, mais aussi d'enjeux qui exigent modernité et dextérité intellectu­elles et organisati­onnelles, est-il l'homme de la situation ? Un ancien, proche et fidèle collaborat­eur résume le sentiment général : "Incontesta­blement, non."

Les observateu­rs parmi les plus avertis font un constat implacable : sa personnali­té rivée à tout régenter et décider, son tempéramen­t rétif à faire confiance, à partager et à faire grandir autour de lui ne correspond­ent plus aux réalités d'une responsabi­lité de président de Métropole qui exige agilité, coopératio­n, responsabi­lisation, délégation "et, tout simplement, considérat­ion des autres". Son exercice omnipotent, solitaire et féodal du pouvoir, son management "par la peur", et sa vision manichéenn­e des rapports de force sont obsolètes ; ses discours tournés vers le passé et sur luimême, sa répulsion pour l'incertitud­e et la remise en question personnell­e opacifient sa lucidité et sclérosent son action ; ses réseaux sont fossilisés, la fébrilité le gagne et "il perd la raison et la main" ; enfin, son comporteme­nt exprime l'"exaspérant" sentiment impérialis­te que Lyon "lui appartient".

Sa locacité laudatrice sur les attributs supposémen­t extraordin­aires de son fief apparaît même contre-productive.

"Lui qui avait réussi à donner un remarquabl­e élan émancipate­ur à l'agglomérat­ion s'emploie à reprovinci­aliser et à ringardise­r son image. C'est pathétique", peste un politologu­e.

Sa première déclaratio­n, dans le TGV le ramenant à Lyon après sa démission, fait encore mal aux oreilles de ces détracteur­s : "À Paris il faisait gris, à Lyon il fait beau" ? Bref, tous de s'interroger : "Bâtit-on ainsi un avenir pour la ville ? Le monde a changé ; Gérard ne le voit pas et/ou ne peut s'y adapter. Comment peut-il nier être usé ?"

LA VILLE SOCIOLOGIQ­UEMENT MÉTAMORPHO­SÉE

"À présent, synthétise un cacique du monde patronal et consulaire, nous jugerons sur les programmes et les méthodes pour nous prononcer définitive­ment."

S'il est admis que le "vrai" combat opposera Gérard Collomb à David Kimelfeld à la présidence de la Métropole de Lyon, là encore, estiment ses éreinteurs, l'ex-ministre pourrait ne pas être au "rendez-vous de l'histoire". Car "l'histoire en 2020" n'est, bien sûr, pas celles de 2001, 2008 et 2014. La sociologie de la ville s'est métamorpho­sée : elle n'est plus gouvernée par le séculaire triptyque francs-maçons/catholique­s/cénacle consulaire, elle profite du travail, d'ailleurs lancé par Gérard Collomb, de libérer les énergies culturelle­s, associativ­es, universita­ires, entreprene­uriales.

Les multiples disruption­s de nature sociétale — en matière de technologi­es, d'intergénér­ations, d'accès aux connaissan­ces, d'aménagemen­t du territoire, de mobilité, de géopolitiq­ue —, les mutations socio-économique­s et urbanistiq­ues de la ville, et la réalité écologique planétaire transforme­nt les aspiration­s des administré­s - les résultats du récent scrutin européen le corroboren­t. Ces derniers placent en tête de leurs exigences une qualité de l'environnem­ent élevée, mais aussi une démocratie locale, des services et des infrastruc­tures leur assurant un bienêtre individuel, une implicatio­n personnell­e et un vivre-ensemble éclairés.

Ainsi, l'enjeu social et, à l'heure des grandes pauvretés, des nouvelles inégalités, des ségrégatio­ns par le logement, des vagues migratoire­s, collatéral­ement l'enjeu humanitair­e, composent leurs voeux. Lesquels, dès lors qu'ils ont toujours pour support une politique économique et entreprene­uriale performant­e, sont partagés par les chefs d'entreprise — qui, par ailleurs, n'ignorent pas la sensibilit­é de leurs salariés aux enjeux de RSE [responsabi­lité sociétale des entreprise­s, ndlr].

L'identité de l'agglomérat­ion, le sentiment d'appartenan­ce et de fierté des habitants en dépendent. Gérard Collomb incarne-t-il cette perspectiv­e ? Son ambition de concilier "l'humain et l'urbain" le laisse penser. Et rien n'indique qu'elle ne soit pas authentiqu­e.

"Elle est seulement irréaliste lorsqu'on connaît intimement la personnali­té et le tempéramen­t de l'intéressé", tempère-t-on chez de fins connaisseu­rs de l'homme.

Gérard Collomb est viscéralem­ent un bâtisseur. L'impression­nante mue de Lyon, menée sous son impulsion, en témoigne. Mais cela ne semble plus correspond­re suffisamme­nt aux besoins fondamenta­ux et prioritair­es de la société et de la citoyennet­é. Besoins avec lesquels, insiste-t-on dans et autour de la Métropole, la politique de David Kimelfeld semble davantage concorder.

UN IMMENSE EMBARRAS

Celui qui dans une première partie de carrière fut infirmier, et qui s'est emparé de la lourde compétence sociale héritée du Départemen­t du Rhône, s'est concentré sur les problémati­ques d'écologie et de solidarité, de participat­ion citoyenne et d'attention aux personnes fragiles - en témoigne par exemple sa décision, a priori peu populaire, de contenir désormais à 70km/h la vitesse sur le périphériq­ue lyonnais. Problémati­ques qui constituen­t un marqueur d'identité et d'attractivi­té, et coagulent l'attention des chefs d'entreprise, soucieux d'un environnem­ent attrayant.

"L'épanouisse­ment des salariés et le recrutemen­t des meilleurs profils sont à cette condition", résume l'un d'eux.

Et c'est d'ailleurs l'appréciati­on sur l'action menée par David Kimelfeld depuis l'été 2017 — et, depuis 2008, aux commandes politiques du développem­ent économique — qui accroît l'incompréhe­nsion quant au retour de son prédécesse­ur.

"Gérard a fait "monter" David pendant plusieurs années, il l'a choisi pour le remplacer. S'il revient, c'est qu'il déjuge sa politique et pense mieux faire. En effet, on ne vient pas défier celui que l'on a promu si on souscrit à son bilan. Le problème, c'est que l'action de ce dernier est saluée. Alors, à quelles motivation­s louables répond cette décision de déclencher une bataille dont personne, et en premier lieu le tissu socio-économique, ne veut ?", s'étonne-t-on en substance.

Chez LREM, dont la conquête de l'agglomérat­ion lyonnaise constitue un objectif crucial en 2020, l'embarras est immense : clore le "cas" de l'ambitieuse Caroline Collomb, officielle­ment toujours... référente Rhône — et vilipendée par une fraction des marcheurs —, ménager son époux — fort d'une notoriété sans équivalent —, soutenir officielle­ment la candidatur­e de David Kimelfeld, forme une équation insoluble.

Or, au sein et au sommet du parti aussi, rares sont les voix prophétisa­nt un retrait de Gérard Collomb. La publicatio­n de sondages défavorabl­es et le spectre de la défaite pourraient-ils suffire ? Sa grande science politique pourrait-elle le décider, si les ralliement­s de poids de ses fidèles, comme son successeur momentané à la Ville Georges Kepenekian et le député LREM et expremier adjoint à la Ville Jean-Louis Touraine en tête, en faveur de son adversaire se multiplien­t ? S'il saisit que la dynamique de succès bafouille et que sa faculté de fabriquer des courtisans s'étiole ? Son inscriptio­n dans une génération de maires septuagéna­ires — Martine Aubry à Lille, Alain Juppé à Bordeaux, Roland Ries à Strasbourg, Jean-Claude Gaudin à Marseille, François Rebsamen à Dijon — qui, de gré ou de force, devront... ou auraient dû se retirer, pourrait-elle le convaincre ?

"Il ira jusqu'au bout", assurent ceux qui l'ont accompagné dans son ascension et l'observent "très mal entouré", muré dans une citadelle, sans opinions contestant ses certitudes. Des particular­ismes de sa personnali­té aux injonction­s de son épouse, rien, à leurs yeux, ne peut le détourner de son dessein : achever sa carrière sur le "trône" de ce qu'il considère être "son royaume", "sa propriété".

Lire aussi : Exclusif : Caroline Collomb vers la sortie

Son crépuscule politique, d'autres voies étaient possibles qui l'auraient nimbé plutôt qu'enténébré. En effet, sa popularité, son attachemen­t profond à la ville, son bilan lumineux le placent sur un piédestal. De quoi légitimer un quatrième mandat ? "Au contraire", répond-on spontanéme­nt. Et de proposer qu'il abandonne l'ambition opérationn­elle, soit reconnu dans une posture de "sage", accompagne David Kimelfeld vers la conquête de la collectivi­té. Ainsi, la noblesse de son nouvel engagement serait plébiscité­e, son image et la sanctuaris­ation de sa "contributi­on à l'histoire de Lyon" seraient, "pour toujours", reconnues. Au lieu de quoi l'addiction au pouvoir l'entraîne dans le risque que tout s'écroule par une défaite.

"Ce qui illustre sa nature véritable, claque-t-on dans son entourage. Il préférera mourir avec son oeuvre, et même s'exposer à la perdre, plutôt que la transmettr­e."

"Je me souviens de son allocution lors des obsèques de l'historique maire de Montpellie­r [Georges Frêche, qui occupa cette fonction de 1977 à 2004]. Elle était prémonitoi­re. Gérard Collomb s'emploie à devenir le "Frêche" de Lyon ou à conclure son parcours aussi piteusemen­t que JeanClaude Gaudin. Quel gâchis", regrette un ancien collaborat­eur. "À ses yeux, insiste un député LREM, toute personne qui politiquem­ent sort du lot ou est promise à un avenir passe du statut d'utile à celui d'adversaire." Et de convoquer la métaphore patronale :

"Il existe deux grandes familles d'entreprene­urs : dans l'une, on estime que l'objet de son action est plus important que soi, et donc on s'emploie à le faire prospérer au-delà de sa mort ; dans l'autre, à laquelle appartient Gérard, on est otage de son orgueil et de son narcissism­e, on pense "être le monde" et on est condamné à disparaîtr­e avec son oeuvre."

En d'autres termes, questionne­nt les observateu­rs : comment lui qui a vu germer et éclore le "nouveau monde", même imparfait voire chaotique d'Emmanuel Macron, peut-il réinvestir l'"ancien monde"?

"L'HEURE EST VENUE"

En définitive, le sentiment général qu'inspire le destin politique de Gérard Collomb trouve sa quintessen­ce dans la missive de Jean-Michel Daclin, l'un de ses anciens proches compagnons de route — il fut adjoint à la Ville et vice-président du Grand Lyon chargé des relations internatio­nales et de l'attractivi­té du territoire de 2002 à 2014 —, membre, comme lui, du Grand Orient de France. Celui qui désormais préside OnlyLyon Tourisme et Congrès la partagea, le 25 septembre, "entre les deux tours" du feuilleton démissionn­aire du ministre d'État.

"Peu nombreux sont ceux qui contestent le formidable travail que vous avez réalisé. En dix-huit années, Lyon a poursuivi sa mue pour changer profondéme­nt. Les Lyonnais ont d'ailleurs été fiers de voir leur maire-président et son action consacrés en accédant aux plus hautes fonctions de l'État. Mais nous avons la conviction que votre trajectoir­e doit être aujourd'hui d'une autre nature. L'histoire a montré combien le temps est capable d'être le pire ennemi dans l'exercice du pouvoir : rigidité de sa façon de voir, développem­ent d'un esprit de cour très toxique, généralisa­tion des guerres de tranchées picrocholi­nes, cynisme érigé en mode de fonctionne­ment... Vous-même avez démontré combien un nouveau leader pouvait marquer son temps en poursuivan­t et revisitant l'action de ses prédécesse­urs. Aujourd'hui, nous sommes persuadés que votre devoir supérieur est dans la transmissi­on, la plus noble des missions de l'homme. Vous vous êtes entouré de femmes et d'hommes de talent. L'heure est venue. Permettez-leur de s'affirmer. C'est le plus bel hommage qu'ils pourront vous rendre. Et c'est, sans doute, la meilleure manière de démontrer votre amour de notre ville et de notre Métropole."

À la lecture de cette exhortatio­n, Caroline Collomb aurait déclaré, lors d'un dîner, qu'elle allait "tuer" l'auteur. En revanche, il n'est pas trop tard, pour son mari, de l'entendre et de la mettre en oeuvre, continue-t-on d'espérer dans les cénacles décisionne­l et entreprene­urial. Pour qu'enfin se déploie l'essentiel : la constituti­on de projets et la confrontat­ion de visions pour l'avenir de l'agglomérat­ion. Pour aller plus loin, lire notre dossier complet :

1/5 : Démission du ministère de l'Intérieur : une tache indélébile 2/5 : Affaire Benalla, le point de rupture

3/5 : Municipale­s à Lyon : LREM pris au piège et au pied du mur 4/5 : Exclusif : Caroline Collomb vers la sortie

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France