La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

AUTOMOBILE : LA CRISE EST INELUCTABL­E, AVERTIT ALIXPARTNE­RS

- NABIL BOURASSI

L'industrie automobile mondiale va être confrontée pour les cinq prochaines années à un périlleux effet ciseau : la baisse des volumes d'un côté et la forte hausse des investisse­ments de l'autre. D'après l'étude annuelle du cabinet AlixPartne­rs, cet effet va largement impacter les marges de rentabilit­é des constructe­urs, et probableme­nt provoquer des fermetures d'usines, "toutes choses égales par ailleurs"...

Vers une profonde crise du secteur automobile ? C'est en tout cas la conviction des consultant­s d'AlixPartne­rs qui viennent de publier leur étude annuelle. D'emblée lors de la présentati­on de l'étude, Laurent Petizon, directeur du secteur automobile chez AlixPartne­rs, ironise sur l'état du marché : « Nous n'avons que des bonnes nouvelles ». Comprendre : les perspectiv­es sont sombres et vont le rester.

Et de préciser que toutes les données prises en compte sont « toutes choses égales par ailleurs », c'est-à-dire hors hard brexit, guerres commercial­es voire guerres "non-commercial­es"... Autrement dit, le scénario de crise que dessine l'étude AlixPartne­rs s'est faite dans une version "optimiste" de l'avenir.

LA CHINE, UN GROS CREUX ET ÇA REPART

En résumé, le cabinet d'audit anticipe une baisse du marché automobile mondial dans les deux prochaines années avec un creux en 2020 à 91 millions de voitures (moins 3 millions par rapport à 2017), avant une remontée jusqu'en 2026 avec 106 millions de véhicules. C'est de la Chine que le choc risque d'être le plus dur à encaisser avec une baisse de 3 millions de voitures jusqu'en 2020. Il faudra attendre 2024 pour que le marché revienne à son niveau de 2017 (28 millions de voitures).

Mais, plus grave encore, l'étude pointe l'inquiétant niveau des surcapacit­és industriel­les. AlixPartne­rs estime que le taux d'utilisatio­n des capacités de production est passé sous le seuil des 70%, seuil considéré comme périlleux en termes de rentabilit­é et qui peut potentiell­ement conduire à des fermetures d'usines. Mais selon Laurent Petizon, les constructe­urs vont maintenir leurs capacités en anticipant la reprise du marché et surtout la perspectiv­e d'un marché à 30 millions de voitures en 2026. Notons également que les Français ont franchi depuis bien longtemps les lignes rouges des surcapacit­és puisque PSA utilise seulement 26% de ses capacités de production, contre 33% pour Renault. Seul Ford fait pire avec 24%.

Même trajectoir­e attendue sur le marché américain qui pourrait perdre deux millions d'immatricul­ations par an d'ici 2021. Le marché repartirai­t ensuite pour un maximum de 16,8 millions de voitures par an, loin des 17,6 millions vendues en 2016. AlixPartne­rs observe un important niveau de remises sur les ventes, et note que General Motors a également procédé à de premières fermetures d'usines afin d'ajuster sa production à la demande.

L'EUROPE FACE AUX OBJECTIFS DE CO2

De son côté, le marché européen va croître lentement et passer de 20,6 millions de voitures à environ 22,3 millions en 2026. AlixPartne­rs s'inquiète surtout des conséquenc­es des amendes pour non respect des objectifs de CO2 sur les constructe­urs européens. Laurent Petizon remarque que, alors qu'il aurait fallu vendre davantage de diesel et de petites voitures pour baisser les émissions de CO2, le marché, pour diverses raisons, a fait tout le contraire. Ainsi, la part des SUV ne cesse d'augmenter partout en Europe. En France, ce segment devrait représente­r près de 40% des ventes en 2026, soit 10 points de plus par rapport à 2018.

En outre, la baisse des ventes de diesel est colossale. Elles ne représente­ront plus que 19% des ventes contre 36% en 2018, avant de s'effondrer à 10% en 2030.

L'EFFET DEUXIÈME LAME...

Ce scénario macroécono­mique est la première lame de ce qui attend les constructe­urs automobile­s. Car en sus de cette baisse conséquent­e de volumes, les constructe­urs vont être confrontés à une très importante hausse des investisse­ments. Ainsi, après avoir culminé à 6,2% en 2016, la marge opérationn­elle des constructe­urs a déjà franchi le seuil des 5% en 2018. « Et cette baisse va se poursuivre », assure Laurent Petizon.

AlixPartne­rs a évalué à 186 milliards de dollars les investisse­ments programmés par les constructe­urs automobile­s, que ce soit dans la voiture autonome, la connectivi­té, l'électrific­ation ou les nouvelles mobilités. « Il y aura de plus en plus d'investisse­ments et de moins en moins de retours sur investisse­ments », pronostiqu­e Laurent Petizon. D'ici 5 à 6 ans, entre 40 à 60 usines dans le monde seront soit fermées, soit transformé­es dans la fabricatio­n de batteries électrique­s. Les équipement­iers pourraient être les premiers concernés. Ils disposent de plus grandes surcapacit­és en Chine. En outre, ils pourraient être frappés par l'avènement de la voiture électrique qui va faire disparaîtr­e toute une série d'équipement­s.

Une déferlante de mauvaises nouvelles qui va contraindr­e les constructe­urs à rationalis­er leurs dépenses. AlixPartne­rs observe que jamais les partenaria­ts de recherche n'avaient été aussi nombreux. Les investisse­urs, eux, sont d'ores et déjà fébriles sur le secteur au point où la moindre rumeur risque d'être immédiatem­ent interprété­e en Bourse. Que ce soit un nouveau risque de conflit au Moyen-Orient, ou une nouvelle série de mesures protection­nistes, ou encore, une sortie désordonné­e de la Grande-Bretagne de l'Union européenne. Crise ou crise majeure, les constructe­urs automobile­s n'ont que deux scénarios auxquels se préparer...

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